…les futés, dans les fourés..., par Wargen

Lucien pointa machinalement la faux dans la direction du gros matou. Qui lui répondit en faisant le dos rond et en sortant les griffes. Tout en gardant son sourire carnassier démesur&ea…




Chapitre 7: ...dans de beaux draps..., par MadBlackHands

Un battement de cœur en moins.


C’était ça. Il venait de louper un battement et le choc résonnait dans tout le reste de son corps, jusqu’à ses orteils.


Un terrible vertige prit d’assaut son crâne, il dût s’aplatir contre un arbre pour ne pas s’écrouler dans l’herbe. Lucien le ressentait dans la moindre parcelle de sa peau ; il lui manquait quelque chose, et ça faisait terriblement mal.


Enflammé.


Il lâcha un juron et la faux qu’il tenait encore entre des mains. Les paupières frémissantes, la peau comme recouverte d’écailles, les poumons prêts à exploser, il enfonça ses doigts dans l’écorce. Le paysage tanguait sous ses yeux, il savait qu’il devait vite retrouver Alice… La Marcheuse… L’autre fille… Mais il n’arrivait même plus à tenir sur ses jambes. Sous ses pieds, il crut voir un gouffre s’ouvrir ; une faille terrifiante séparait maintenant le sol, aussi noire, profonde et gelée que l’espace.


Et ça l’attirait.


Inévitablement.


Juste avant de plonger dans ce chaos, Lucien crut apercevoir une silhouette rougeoyante palpiter au loin. Mais ça n’avait plus d’importance. Pas plus que ce foutu chat mauve, perché sur une branche juste en face, tête à l’envers et corps retourné, qui murmura dans un espiègle rictus.


-         Vous avez échoué ici, chanceux chapardeurs. Bonne chance. Alice n’est pas contente et la Reine se vengera sûrement.


Il sombra. Une chute. Longue. Un vertige. Doux.


 


                                                                                                                                                           


 


Leyla hoqueta à cause de l’énorme plat qu’elle venait d’effectuer sur le sol, d’une grâce sans pareille. Un éclair parcouru ses côtes, elle gémit. Sous ses doigts, elle ne reconnut pas l’herbe verdoyante qu’elle avait eu la chance de rencontrer quelques instants plus tôt ; c’était plus dur et bien moins agréable.


De la moquette ?


 La brunette ouvrit les yeux avec peine, comme si elle revenait d’un long sommeil. Hélas, elle comprit bien vite que le cauchemar était loin d’être achevé, en particulier lorsqu’elle entendit un affreux bruit de succion à sa gauche, suivi d’un cri étouffé.


-               Bordel !


Comment ne pas reconnaître la voix -magnétique en dépit de sa grossièreté- de ce cher Lucien. Leyla, toujours en étoile de mer sur le sol, le considéra un instant alors qu’il ébouriffait son crâne endolori ; il ne semblait pas avoir apprécié la chute.   


-               J’commence à en avoir ma claque de toutes ces conneries ! Et puis elle est où l’autre…


Elle aussi, elle en avait sa claque.


Leurs regards se croisèrent, celui de Lucien se voila d’une certaine bienveillance, ce qui étonna beaucoup la jeune fille. S’habituant à cette nouvelle lumière tamisée, elle constata qu’elle avait bien atterrit sur une moquette dont les motifs formaient de drôles de ruches alternant jaune, brun et rouge. Elle connaissait cette moquette, tout du moins elle l’avait déjà rencontrée, c’était certain.


Encore un éclair dans les côtes. Sa bouche se tordit dans une étrange grimace.


Lucien devait être en train de dire quelque chose en s’approchant d’elle, ça semblait gentil, mais la belle concentrait bien trop son attention sur les lieux pour l’écouter. Non pas qu’elle était hautaine et dédaigneuse, loin de là. Mais lorsqu’elle comprit où ils venaient réellement de débarquer, elle en eut la nausée. Sa tête pivota vers celle du jeune homme, la mine grave.


Lui, il la considérait de haut en bas, presque inquiet et pourtant tout aussi agacé de ce soudain silence.


C’était ça, elle l’agaçait.


Et il crevait d’envie de prendre son visage entre ses mains, d’enfoncer ses pouces dans ses petites joues rondes, de crisper ses doigts derrière ses oreilles ; de serrer cette bouille terrifiée jusqu’à ce qu’elle disparaisse. Rien qu’avec cette sombre pensée, Lucien remarqua que ses bras tremblaient, comme contractés par cette pulsion de violence. Une veine apparut sur son front, il détourna le regard en un soupir.


Quelque chose clochait.


Ce devait être à cause de ce couloir qui semblait sans fin, tapissé de part et d’autre de portes numérotées. Les murs, d’un crème vieillot, luisaient sous les luminaires accrochés à intervalles réguliers. Au loin retentit une clochette d’ascenseur en train de s’ouvrir. Dans l’air flottait une odeur de propre et de meurtre.


Lucien ne comprenait pas, Leyla se tordait d’anxiété.


D’un mouvement particulièrement lent, la demoiselle tendit sa main vers Lucien pour chercher de quoi s’accrocher, avec l’impression que ce contact devenait vital. Elle agrippa ses longs doigts –qui auraient pu être ceux d’un pianiste- autour de l’auriculaire de son partenaire, trop timide pour apprivoiser sa main d’une seule traite. Ce tout petit contact surprit le type qui frissonna avant de bafouiller.


-               Qu’est-ce qui t’arrive ? T’as l’air terrifiée…


-               Tu sais toujours pas où on est maintenant, c’est ça ?


Sa voix se brisa en fin de phrase et comme pour empêcher Lucien de répondre, qu’en effet, il n’en avait aucune foutue idée, un crissement mécanique résonna derrière eux. Comme un seul homme, ils firent tous deux volte-face pour tomber nez à nez avec un jeune garçon, perché sur son tricycle, dévalant le fameux couloir dans leur direction. Sa petite tête blonde dodelinait alors qu’il avançait, tout petit qu’il était, et dès lors que ses yeux croisèrent ceux des deux intrus, il stoppa net sa course pour les observer d’un air curieux.


Lucien comprit immédiatement.


Il n’avait jamais lu le livre, mais se souvenait bien du film, en particulier parce qu’il y avait emmené une fille au cinéma, persuadé qu’elle viendrait se blottir dans ses bras pendant les scènes un peu flippantes.


Leyla, quant à elle, s’adoucit aussitôt ; elle s’attendait au pire à propos de cet endroit, mais ce personnage devait être le seul plus sympathique de l’histoire –si l’on ne compte pas sa mère.


-               Shining ? murmura Lucien sans détourner les yeux du nouvel arrivant.


-               Shining, répondit sa comparse sur le même ton.


-               Lui, il est pas méchant hein ?


-                Lui, non, son père par contre… On ferait mieux de pas trop s’éterniser ici.


Le petit blond repris son chemin vers eux jusqu’à s’arrêter à leur niveau, son vélo n’émettait pas un seul bruit sur cette horrible moquette. Il était si petit, l’innocence brillait encore dans le fond de sa pupille ; ça et, une autre chose bien plus profonde, bien plus sournoise. Sa petite voix d’enfant fit presque sursauter Leyla.


-              C’est vous les fantômes de la chambre 237 ?


Tous deux, d’instinct, fixèrent leur attention sur la porte à leur gauche. 237. Leyla frissonna.


-              Absolument pas, et il est hors de question que j’y rentre ! Pas plus que dans la suite…


-              Faut trop qu’on aille dans le labyrinthe ! s’émerveilla tout d’un coup Lucien, ce qui fit rire le petit garçon.


Leyla jaugea le brun à ses côtés, le sang glacé.


Il n’a dû voir que le film...


-              On pourra y faire un tour avec ma maman après le goûter si vous voulez ! Il fait beau dehors ! Je m’appelle Danny !


Lucien lui sourit, et même Leyla sembla s’apaiser un instant.


-       Salut l’mioche ! Moi c’est Lulu et ma copine là, c’est Leyla. Et on n’est pas non plus des fantômes…


Le visage dudit Danny s’assombrit en un instant, sa petite mine d’enfant venait tout juste de prendre une maturité fulgurante, comme s’il avait déjà vécu mille vies.


-              C’est certain… Mais si ça vous dit, je peux aussi vous emmener voir des fantômes… Des vrais.


Lucien regretta presque aussitôt son amicalité.