Lune sanglante, par Wargen

Thiercelieux était un village charmant, paisible, tranquille et monotone depuis que j'étais née. Il y avait bien entendu des histoires, des ragots, des morts, voir même quelques disparus, mais rien d…




Chapitre 2: Copains comme cochon, par Wargen

Je referme doucement la porte de la maison sans toucher les ustensiles en argent. Il ne faut surtout pas que Grand-Mère sache que je suis dehors, ni réveiller mes trois jeunes sœurs et mes trois jeunes frères.
La ruelle est déserte malgré la sensation de lourdeur indescriptible qui se dégage du lieu. Comme si une présence invisible s'insinuait partout à travers le chanvre de mon capuchon et le lin de mon pantalon, s'enroulait autour de la massive poutre de bois sortant du pignon de notre maison, accompagnait les morceaux de paille voletant dans cette bise glaciale au milieu du chemin. Je décide d'aller vers la fontaine, peut-être que je rencontrerais quelqu'un.
Je marche d'un pas mal assuré en collant les bords des maisons, tournant la tête toutes les deux secondes en direction des bruissements et feulements qui fusent inlassablement. Tout à coup, en passant devant la ruelle sombre et étroite entre les maisons de M. Seguin et de la famille Bélier, un bruit de pas se fait entendre derrière moi ! Je tourne la tête mais un fort coup de vent rabat le capuchon et m'aveugle à moitié. Apeurée, désemparée, je tourne et m'enfuis dans l'étroite ruelle sombre. Et tombe sur un cul de sac.

Je me blottis au plus profond de l'impasse, à demi cachée derrière un coffre en bois.
-Alors, on a peur du noir, ma p'tite Eden ?
La voix goguenarde de Michon se fait entendre, avant que sa carrure d'athlète se dessine sous les rayons de la lune rougeâtre, dans l'embrasure de la ruelle étroite. D'un coup, toute la tension accumulée depuis le début de la soirée s'estompe, et je me retrouve à me précipiter dans ses bras et blottir ma tête contre son poitrail.
-Eh béh, ma p'tite Eden, on devrait traîner un peu plus souvent dehors, la nuit !
-Tais-toi, idiot ! dis-je en relevant la tête vers son visage. Et en y découvrant des yeux plus inquiets que ce que son ton joyeux laisse supposer.
-Qu'est-ce que tu fais dehors cette nuit ? me demande-t-il en me guidant hors de la ruelle sombre.
-J'allais te poser la même question, grand bêta. J'imagine que tu as vu ce qu'il s'est passé depuis le coucher du soleil ? Tout ces trucs avec le sang d'agneau et les couverts en argents... J'ai demandé à Grand-Mère pourquoi, et elle n'a rien voulu me dire...
-Pareil pour moi ! me coupe Michon. Père n'a rien voulu savoir et m'a envoyé son poing dans la gueule. Tu sais comment on est dans la famille. Il m'a dit de me la fermer et de me boucler dans ma chambre si je ne voulais pas prendre une dérouillée.
Je regarde son rude visage au clair de lune rouge, et y décèle un bleu sur la tempe gauche.
-On a 17 ans, on est aînés de 7 enfants, on a le droit de savoir ! continue-t-il.
-Tu ne trouves pas ça bizarre...
Un sifflement m'interrompt brusquement.

Un aboiement suivis d'un grognement. Encore. De nouveau le sifflement, superposé à un cri aiguë suivis d'un hurlement ! Je ne sais pas d'où ça vient ! Michon ne semble pas plus assuré que moi. Il me prend par la main et se met à courir vers la fontaine du village. Elle est à cinquante mètre de nous, mais des bruits viennent de derrière nous. Et ce fichu capuchon qui m’empêche de voir en arrière. Michon court plus vite que moi avec ses grandes jambes musclées. Je sens que je le gêne, mais il ralentit fréquemment et refuse de me lâcher la main. Les bruits de pas se rapprochent derrière nous, accompagnés des mêmes sifflements. Des choses floues bougent dans notre champ de vision. Le vent nous envoie des brindilles de paille dans la figure. La lune rouge donne une teinte irréelle et monstrueuse aux objets de tous les jours que nous voyons habituellement dans les rues du village.
Tout à coup, Michon trébuche et s'affale par terre. Il a la présence d'esprit de me lâcher la main. Je m'arrête et le regarde se tenir la cheville. Il semble s'être fait une petite entorse. Je tente de le relever tant bien que mal. Et m'aperçois que ce qui courre derrière nous est une silhouette humaine. Un peu plus grande que moi. Mais bien plus trapue. Avec un capuchon rouge. Deux mèches rousses qui en sorte. Des tâches de rousseurs. Et un sourire carnassier.

La mère-enfant Herta !
-Bougre d'idiote ! hurle-je, tu n'aurais pas pu nous...
Elle continue sa course, me saute dessus et me plaque au sol, sa main en bâillon sur ma bouche.
Après avoir repris son souffle elle me susurre à l'oreille :
-Ta gueule salope. Et t'avise pas de toucher à mon Michon.
Puis, légèrement plus fort pour que Michon, qui vient de se relever et arrive vers nous, puisse entendre :
-On est pas tous seul dehors. Mais ce « on », il a pas l'air très humain. Faut pas qu'on parle trop fort pour pas se faire avoir.
-De quoi tu parles ? demande Michon.
-Z'avez pas entendu le ramdam, pendant qu'j'vous sifflais pour vous alerter ? C'est le bâtard du père Igor qui s'est fait trucider par un truc. Et pour trucider un mastoc du genre, faut que ça soye un sacré morceau.
-Comment tu sais tout çà ? lui demande-je.
-Tu es peut-être un peu jeune pour ça ma petite... me répond-elle avec son sourire carnassier.
-Elle a juste un an de moins que toi, rétorque Michon.
-Ouai, mais est-ce qu'elle s'est déjà fait défleurer, la pitiote ? se tourne-t-elle vers le solide gaillard en lui appuyant l'index sur le buste.
-Tu étais donc en train... de t'amuser avec le père Igor, ce soir. Puis il a fallu que tu sortes de chez lui pour retrouver ta maison et tes frères et sœurs... dont tu es également l'aînée. Au nombre de sept. Et c'est au moment du retour que tu nous as repérée de loin. Et que tu as entendu ce qu'il s'est passé entre le bâtard du père Igor et la... chose. Tu savais que ça ne pouvait être que le bâtard du père Igor car il le laisse dehors quand tu... t'amuses avec lui.
-Maline la petiote ! s'esclaffe Herta. Mais c'est quoi c't'histoire de sept ?
-Et la... Chose, en ayant fini avec le bâtard du père Igor, a due poursuivre son chemin... vers ici.
-Oh putaing ! Le visage d'Herta, qui regarde dans notre dos, devint translucide. Courrez !!!!

Herta est une force de la nature. Malgré un choc émotionnel, ou autre, a priori intense, elle a la présence d'esprit de lutter. Cela doit venir de sa nature brutale et sauvageonne. Et du fait qu'elle élève seule ses six petits sœurs et frères.
-L'entrepôt à foin des Grettels ! crie-t-elle. Droite, gauche, droite, plongez tête la première !
-Oui, mais c'est pas... ! reponds-je.
-C'est pas loin, me coupe Michon.
-Oui, mais c'est pas solide !
Personne ne semble avoir entendu. Herta a pratiquement cinq mètres d'avance sur nous et plonge déjà dans l'entrepôt. Je sers de béquille à Michon dont l'entorse s'est ravivée dans la course. Derrière nous, le bruit est passé d'un tapotement à une cavalcade. Et une succession de couinements et de grognements.
Nous plongeons avec Michon dans l'entrepôt dont Herta s'empresse de refermer la porte en bois et de rabattre la poutre permettant de la maintenir fermée.
Nous nous planquons tous les trois derrière le gros tas de foin, Michon entre nous deux.
Le bruit dehors se rapproche. Il semble entrer dans la première ruelle. La course est moins effrénée, quelque chose semble gêner... la Chose. L'étroitesse de la ruelle ?
Je regarde l'entrepôt. Une simple structure en bois, supportant un toit et des murs en paille compressée.
-Tu te rappelles, Herta ? C'est là la première fois que... rougit Michon.
Herta ne le regarde pas, elle a le regard vide, des larmes commencent à en couler. Quoiqu'elle ait vu, cela devait être... terrorisant ?
Même la porte n'est pas totalement en bois, seulement le cadre, le reste étant de paille compressée.
La Chose vient d'entrer dans la seconde ruelle. Le temps semble fonctionner au ralentit.
L'entrepôt n'est pas solide. Normal, il n'est censé stocker que du foin. La Chose passe devant la porte, en furetant. Elle semble immense ! Michon met ses mains en baillons sur nos bouches. Des larmes coulent des yeux d'Herta. Je fais un bisou dans la paume de la main de Michon, qui en dépose un sur mon capuchon rouge. La Chose renifle. Je renifle. Ça sent l'urine. Herta s'est pissée dessus. Tout à coup, un énorme bruit apparaît. Comme quelqu'un qui aspire de l'air. Beaucoup d'air !




À couper le souffle, par Bat.Jacl

Et dans une réponse à son aspiration démentielle, le monstre crache tout l’air emmagasiné. Comment arrive-t-il à gonfler autant ses poumons ? Son souff…