La sagesse des grand-mères, par Bat.Jacl

Recouverte de terre et de foin, je reprends mes esprits, assise dans une salle à manger. La première chose qui me frappe de ce nouveau lieu est son atmosphère attractive. Loin de…




Chapitre 5: Un cou à se rendre chèvre, par Wargen

Je ne sais pas si les animaux sont capables de communiquer consciemment. Mais à la lueur tremblante au fond des yeux de la pauvre bête, j'ai l'impression qu'elle me supplie de la délivrer.
Une pression des mains sur les barreaux m'indique qu'il ne fait pas froid dans le four. J’attrape un carré en laine qui traîne à côté pour me protéger les mains et tente d'ouvrir la grille. En vain. Il y a une serrure qui la maintien fermée. Si on veut faire cuire un être vivant, même attaché, il vaut mieux que la porte ne puisse s'ouvrir suite à un mouvement du cuit en question. Quelle vieille femme horrible !
Une rapide inspection de la sombre salle, seulement éclairée par la lueur du four, me laisse supposer que je ne trouverais pas la clef ici. Elle ne contient en effet, en plus du four, que des caisses en bois et des sacs en lin fermés à terre. Quelques ustensiles de cuisine et de ménage accrochés sur des patères aux murs. Des pots scellés rangés sur des étagères en bois et une table en bois vide au centre de la pièce.
Je retourne dans le sombre et froid couloir pour continuer ma recherche de clef. Je découvre alors la porte fermée située juste en face de la cuisine. Je ne l'avais pas remarquée dans la pénombre, obnubilée par la clarté chaleureuse provenant de la cuisine. La porte n'est pas verrouillée et s'ouvre en grinçant. Une perle de sueur apparaît sur ma tempe droite : j'espère que personne n'a entendu. Mais le bruit de fond venant de la pièce principale, la voie puissante de la vieille femme mélangée à la mastication et aux demandes de bouts supplémentaires de mes compagnons qui semblent avoir émergé de leur léthargie, recouvre le tout. La pièce baigne dans la pénombre, mais je devine, du pas de la porte, un nombre indéterminé de masses sombres informes. En m'approchant, je m'aperçois qu'il s'agit de statues d'humains ou d'animaux. Au touché, on dirait que ce n'est pas solide. Un peu granuleux et ça s'émiette. Comme un gâteau. Des gâteaux en forme d'animaux ou d'humains, de taille réelle, certaines avec des parties en moins : main, patte, museau, hanche, tête... Et celui-ci qui, malgré la pénombre, le bas du corps et le nez en moins, me rappelle étonnamment Père mystérieusement disparu sans prévenir, l'année dernière...
 
 
-Tu as trouvé la salle d'eau, mon sucre d'orge ? hurle la vieille dame depuis la pièce principale.
Je sursaute et sort de ma contemplation.
Je crie du plus fort que je peux : -Oui !
Je ne sais pas si elle m'a entendu, mais j'ai l'impression qu'elle est suffisamment occupée par Herta et Michon pour être pleinement concentrée sur moi. Reprenant mes esprits, je me dis que si la clef n'est pas dans la cuisine, elle doit se trouver dans la pièce principale ou avec la vielle dame. Je m'approche furtivement de la pièce éclairée. La vieille femme me tourne le dos, motivant mes compagnons, des miettes en forme de sourire autour de leur bouche et les assiettes remplies devant eux, à manger le petit bout de la poutre de la maison qu'elle vient de leur apporter.
Sa position me permet de remarquer le trousseau de clefs accroché à la ceinture en corde plutôt lâche qui maintient la grande cape grise de la vieille femme autour de sa taille. Il faut que je récupère le trousseau. Il faut que je le récupère... Il faut... il faut... J'ai une idée !
 
Je retourne furtivement dans la cuisine, déplace deux caisses en bois à côté de l'entrée après m'être assurée que j'étais complètement cachée en étant accroupie derrière, et bascule un balais dans le faible espace entre les deux caisses. Les contournant, je teste la solidité du manche à balais ainsi coincé. Pas de doute, à moins d'aller vite ou d'être très fort, le manche ne bougera pas si des jambes viennent à cogner dedans. Je remets le bâton en position haute. Et retourne devant la grille du four.
-J'ai peur, ma petite chèvre, mais on va faire en sorte que cela réussisse.
A l'aide d'un long couteau denté, j'arrive tant bien que mal à faire tomber la pomme de la gueule de l'animal. Celui-ci, libéré de son bâillon, se met à bêler à tue-tête. Je cours m'accroupir derrière les caisses en bois, prête à faire basculer le balais.
Au bout d'une minute, les cris incessants de la chèvre finissent par faire apparaître une étrange lueur verte tremblotante en provenance du couloir. La lueur s'accentue jusqu'à ce qu'une pierre lumineuse verte ne passe le pas de la porte. Suivis du bâton au bout duquel elle est enchâssée. Puis de la grosse main droite qui le tient. En enfin la vieille femme toute entière. La luminosité générale de la pièce devient plus importante qu'avec la seule lueur du four, mais pas autant que dans la pièce principale. Je suis heureusement toujours cachée dans une zone plutôt sombre, derrière mes caisses.
-Allons bon mon appétissante chèvre, tu as réussi à faire tomber ta pomme ! s’esclaffe la vieille femme.
Elle prend le trousseau de clefs de sa ceinture, ouvre la porte du four, prend la pomme tombée sur la plaque comme si elle ne ressentait aucune douleur du fait de la chaleur, et tente de la remettre dans la gueule de la bête. Celle-ci ne se laisse pas faire et tente de mordre le bras qui s'avance.
-Oh que tu m'énerves, saleté ! beugle la vielle dame.
Elle tend son bâton, qui voit sa lueur verte diminuer. Lorsque celle-ci devient nulle, une décharge verte éclate et atteint la chèvre qui s'immobilise, prisonnière d'une sorte de boule d'éclairs verts scintillants. Je retiens de pousser un cri de terreur pour ne pas dévoiler ma présence.
-Non mais, vilaine beyte ! réplique la vielle femme avec contentement.
Elle remet la pomme dans la gueule de l'animal, referme la grille, verrouille la serrure, pose le trousseau de clef sur le rebord du four et fait disparaître la boule d'éclairs, la lueur verte générale revenant dans la pièce et la chèvre se remettant à gesticuler. Elle dit, d'un ton doucereux :
-Tu m'as l'air bien dodue et appétissante, je te mangerais avec délice. Encore 8 heures de cuisson pour que ça prenne. Mais vois-tu ma belle, j'ai eu la chance de trouver trois nouveaux plats qui ont bien plus de potentiel que toi ! Juste la petite perle de nacre à rembourrer un peu pour qu'il y ait de quoi grignoter !
Je tremble en entendant ces paroles.
-Où est-elle d'ailleurs, cette petite peste ! reprend-elle de manière plus énervée. Elle en met bien du temps, à se laver les mains !
 
La vieille femme sort de la pièce d'un pas décidé. Elle va sûrement aller dans la salle d'eau et s'apercevoir que je n'y suis pas ! Je suis paniquée et ne sais que faire. J'ai peur ! Mais mon corps semble ne pas en tenir compte. Il bondit fermer la porte, pousser une caisse en travers, puis saute vers le trousseau de clefs, ouvre la grille sans trembler, balance violemment par terre la plaque de four contenant la chèvre, puis lui enlève la pomme de la gueule et cisaille les liens ligotant son corps et l’empêchant de se mouvoir à l'aide du long couteau denté que je tenais inconsciemment en main depuis le début. Je remarque au passage que la couche luisante recouvrant la chèvre est plus solide et épaisse que ce que je ne pensais. Un peu comme une pâte de gâteau en train de cuire...
Reprenant mes esprits, j'entends la vieille femme tenter de rentrer dans la pièce, puis s'énerver contre la porte buttant sur la caisse en en bois en maugréant des choses incompréhensibles.
 
 
Je cherche de la tête une cachette sûre, mais ne trouve rien d'utile. Je suis coincée comme un rat avec la chèvre de M. Seguin qui tente de retrouver tant bien que mal l'usage de ses pattes.
Tout à coup, la vieille dame cesse de s'énerver et grommeler. Quelques secondes de calme qui me semblent bien inquiétantes. Je me place à portée de main d'une étagère contenant des pots, qui pourraient me servir de projectiles, et tiens mon couteau bien serré en main.
Aussi soudainement que le calme était revenu, la porte explose. Et la vieille femme rentre dans la pièce.
La lumière verte revenant progressivement, je la découvre alors pleinement : un nez crochu et bulbeux, un sourire atroce laissant apparaître des dents jaunies de travers, des yeux verts vitreux, quelques mèches de cheveux blancs et rêches sortant de sa capuche, un petit corps trapu, d'énormes mains disproportionnées aux doigts acérés, celle de droite accrochée à son bâton enchâssé d'une pierre verte. Une sorcière !
-Tu es là, petite peste ! Tu es bien moins docile que les autres ! Il faut dire que tu n'as pas mangé de gâteau de bienvenue...
Je saisis un pot, mais le précédent élan de courage de mon corps semble s'être arrêté : mes tremblements de peur font atterrir le pot, d'un jet lamentable, à deux mètre de ma cible. La sorcière balaye un nouvel essai plus concluant de son énorme main gauche.
-Ah ah ah ah ah! Tu es pitoyable en croyant m'avoir ainsi, petite perle de nacre ! Au panier, maintenant !
Elle pointe son bâton dans ma direction, et la lueur verte commence à s'abaisser. Tournant la tête dans tous les sens, je cherche rapidement une sortie, une cachette ou un rempart. Mais elle m'a acculée au fond de la pièce, et se trouve entre moi et la sortie. Je me déplace vers une caisse en bois, mais la pierre enchâssée au bout de son bâton suit ma course et ne laisse guère d'espoir quant à mon devenir...
 
Alors que la lumière va disparaître, signe qu'un éclair vert à l'effet inconnu va me frapper, la sorcière hoquette. Je plonge en direction d'une caisse et entends une décharge foudroyer le mur derrière moi. Me relevant, je remarque que la vieille femme a une corne de chèvre qui dépasse de son abdomen. Un liquide rouge sombre épais en ressort. Un bêlement rageur se fait entendre. Elle vient de se faire empaler par la chèvre de M. Seguin ! La sorcière, aussi surprise que moi, ne semble néanmoins pas gênée par cette profonde blessure. Après avoir gesticulé et lutté contre l'animal, elle se dégage et envoie valdinguer son empaleur d'une grande baffe de sa main gauche. Mais durant ce faible laps de temps disponible, mon corps semble avoir repris le dessus sur mon esprit. Je plonge sur la sorcière qui me tourne alors le dos, et l'égorge à l'aide du long couteau denté qui ne m'avait toujours pas quitté. Un râle terrifiant et démoniaque provient de la bouche de la sorcière, tandis qu'un filet de liquide rouge sombre épais se met à couler de son cou largement ouvert.
-Ah ah ah ah ah !
Je recule sous l'effet de son rire. Tout à coup, sa tête commence à pivoter légèrement sur son axe. Lentement. A 90°. Sans que le reste de son corps ne suive. A 180°. Elle me regarde de ses horribles yeux verts vitreux, un sourire dément aux lèvres, son filet de liquide nappant tout le pourtour de son cou. Sa tête dans ma direction. Son corps, à l'opposé, vers la chèvre de M. Seguin. Elle veut parler, ou rire, mais seules des bulles rouge sortent de sa bouche.
Cette vision me fait défaillir, et je me retrouve à quatre patte, à vomir tout ce que mon corps pouvait rendre. La crise passé, complètement vidée, je relève la tête dans sa direction. Elle avait commencé à faire revenir son corps dans la même direction que sa tête, mais la chèvre était repassée à l'attaque et tentait d'enfoncer ses sabots dans le corps de la sorcière. La tête avait donc également recommencé à tourner dans le sens inverse. La lumière du bâton diminuait, signe d'une nouvelle décharge. Je me remets sur mes pieds, défaille de nouveau, me relève et veut me précipiter sur le corps de la vieille femme, ou de quoique ce soit, pour dévier le bras tenant le bâton. Malheureusement, je glisse dans mon vomi et retombe sur mes genoux. L'éclair part, et la chèvre de M. Seguin explose, rependant son sang, ses entrailles, ses membre et sa tête à travers la pièce. Je reçois un bout de boyau sanguinolent sur le visage.
-Glahbl glahbl glahbl glahbl glahbl !
Retrouvant une sorte de courage, je ramasse le couteau. Et saute sur le corps devant moi. Je plante mon arme dans la main tenant le bâton. Sous l'effet, la poigne titanesque de la main se détend, et j'en arrache le contenu.
Alors, un cri suraigu retentit, et je sens que l'immense force mystique, qui ne faisait ressentir aucune douleur à la sorcière suite à un empalement et un égorgement, s'évapore. La sorcière est vaincue. Et dans une dernière vision d'horreur, je vois son corps se mettre à fondre et s'étaler lentement sur le sol, comme de la cire. Avant que le noir ne recouvre tout.
 
 
-...faim...
-...pièce chaude...
-...tout fini.
-Fallait manger moins vite, grand nigaud !
-Mais j'ai faim ! Elle est où Grand-Mère ?
-Tu va vite en besogne, en l'app'lant Grand-Mère. Bon, aller vite en besogne, tu t'y connais ! Hinhinhin ! Mais c'est vrai qu'elle est plutôt sympathique c'te bonne vieille femme.
-On voit pas grand chose, mais ça à l'air d'être le bordel dans cette pièce !
-Et qu'est ce qu'ça pue ! On dirait qu'ça sent la chèvre mouillée !
-Mouillée ? Grillée, tu veux dire ! Viens on va prendre de quoi éclairer, on voit que dalle ici !
 
-Oh putain, c'est vrai qu'c'est l'bordel ici ! dit Herta.
-Regarde cette... ce gros truc fondu au sol ! répond Michon.
-Et là... là.... et aussi là. Et là aussi. Y avait une chèvre ici. Elle d'vait être en un morceau un moment. On dirait qu'elle a explosé !
-Là ! Eden ! Elle est morte ?
-Oh, r'gardez moi ce bellâtre qui vient au chevet d'la pucelle ! T'en fait pas, elle va bien, ta poupée. Ça doit être le seul truc dans c'te pièce qui va bien, d'ailleurs !
-Eden... Eden !
On me secoue. D'abord doucement. Puis plus violemment.
-Vas-y doucement ! s'exclame Michon.
-Elle est pas en sucre, ta mignonne, elle s'en r'mettra, répond Herta.
-Ta gueule !
- Hinhinhin, tu fais moi le fier, d'habitude, quand tu veux m'montrer ton engin...
Une première claque. Suivis instantanément d'une seconde. Mes paupières commencent à papillonner.
-Eden !
-Tu vois qu'elle était pas morte ! Si tu veux qu'elle s'remette, va lui chercher d'l'eau et un peu à manger, mon grand.
 
Mes yeux s'ouvrent complètement au moment où Michon sort de la pièce. Herta est penchée sur moi. Elle me traîne délicatement sur le sol, s'assoit dos à un mur, enlève mon capuchon, pose ma tête sur ses cuisses vigoureuses, puis me masse doucement le cuir chevelu en me regardant dans les yeux :
-Faudra qu'tu nous racontes c'qui s'est passé ici, ma belle, pas'qu'c'est un beau carnage !
Je ferme les yeux en expirant, bercée par le massage crânien.
 
Une fois rassasiée, réchauffée, et partiellement remise, je leur raconte. L'histoire que j'ai déduite, qui voulait faire de nous trois les prochaines pièces du garde-manger de la sorcière. Elle qui nous aurait transformée en gâteau par je ne sais quel sortilège ou préparation. Et comment j'ai délivré la chèvre de M. Seguin qui était en voie de transformation en gâteau ; comment la sorcière s'en est rendue compte ; comment nous avons, la chèvre, au prix de sa vie, et moi-même, pu la défaire. Mon récit terminé, je regarde leur visage et comprends que je n'ai pas entièrement convaincu.
-C'est complètement fou, souffle Michon.
-T'as dû prendre un sacré coup sur la caboche, ma belle, lâche Herta.
Je ferme les yeux, et expire un grand coup. Puis les rouvre, les regarde tous les deux et leur répond :
-Vous n'avez vu d'elle qu'une vieille dame gentille et affable, non ? Et vous avez goûté très rapidement au gâteau. De mon côté, je n'y ai pas touché. Je n'ai jamais eu confiance en elle, et l'ai vu sous son vrai visage lorsqu'elle est rentrée ici. Ce n'était pas beau à voir. Pour sa « mort », vous voyez bien cette grande tâche de... je ne sais pas quoi, mais qui ressemble à de la cire, au sol, avec sa cape par dessus. Je ne pourrais pas prouver que cette tâche, c'est elle, mais j'aurais été tordue, et quel intérêt, de faire croire que c'est elle, et qu'elle se trouve autre part. On aura qu'à explorer la maison pour ça, de toute façon. De plus, je ne pense pas qu'il se soit passé beaucoup de temps entre le moment où elle vous a quitté, et le moment où vous êtes venus ici. Et je ne feignais pas mon étourdissement, vous avez pu vous en rendre compte. Donc je n'aurais pas eu le temps de faire quelque coup monté que ce soit. Pour la chèvre de M. Seguin : je n'ai pas à vous prouver qu'une chèvre est morte de manière explosive ici il y a peu de temps ; vous pouvez aller voir la tête qui doit traîner quelque part, je pense que vous la reconnaîtrez. Mais finalement, l'argument le plus parlant, c'est celui-ci », dis-je en pointant mon doigt vers la porte d'entrée de la cuisine, et vers la porte fermée lui faisant face de l'autre côté du couloir sombre. « Aidez-moi à me relever. »
 
Après m'avoir remise sur pieds et s'être assurés que je tenais bien toute seule, nous entrons dans la pièce en question. A la lueur des chandeliers, il ne fait plus aucune doute que la statue que j'avais prise pour Père... était bien Père, qui avait donc été capturé, transformé, et commencé à être mangé par la sorcière. Lorsque l'on apprend la disparition d'un être aimé, il y a toujours un grand chagrin. Mais une disparition laisse toujours l'espoir, même ténu, qu'elle ne soit que provisoire. Je venais malheureusement d'apprendre en cette sombre nuit que, si Père avait disparu, c'est parce qu'il était mort, si tant est que l'on puisse nommer ainsi sa transformation. Un deuxième grand, immense, chagrin en quelque sorte. Mais mes yeux restent secs.
 
 
Un bruit de sanglots éclate. Je m'approche d'Herta, regarde la cause de ses pleurs, et l'enlace par derrière, plaquant mon frêle corps contre son dos pour lui apporter un peu de chaleur et de réconfort. Sa mère avait été une très belle femme. Moins trapue et puissante mais plus grande et altière que sa fille, elle avait toujours eu une grande prestance et un beau visage chaleureux, avec des yeux vifs. Même transformée en gâteau. Les longs cheveux soyeux et ondulés n'avaient perdu que leur couleurs auburn lors de la transformation. L'absence des deux bras venait malheureusement gâcher sa grande beauté physique.
 
-Eh, là, il y a un gâteau qui ressemble vachement à oncle Miréval ! On dirait presque que c'est lui !
 
Michon est un homme bien bâti, qui combine une grande force physique avec un visage agréable, qui est gentil, serviable et courageux derrière son air fier, bourru et casanier, et aurait même des qualités que je ne pourrais soupçonner ou comprendre d'après Herta. Mais il s'agit également d'une personne assez lente à la détente. Je lâche Herta et m'approche de lui :
-Michon, il s'agit d'oncle Miréval, et non d'une copie.
-T'es sûre ? C'est vrai tout ce que tu nous as raconté ?
- Mais bien sûr, bougre de con d'idiot décérébré ! lui hurle Herta depuis sa statue maternelle.
 
Après reprise de nos esprits et exploration de la maison, nous avons trouvé, en plus des pièces déjà connues : une chambre, une salle d'eau, une pièce qui devait servir à la préparation des potions et sortilèges de la sorcière, un autre garde-manger avec d'autres gâteaux d'humains et animaux transformés, une porte principale donnant sur une sombre et dense forêt dont le feuillage laisse passer de rares rayons de lune rouge, et quatre portes donnant sur des souterrains d'un noir absolu qui absorbe toute lumière, les chandeliers n'ayant ici aucune utilité ici. Nous venons d'un des quatre tunnels, mais impossible à chacun de nous de se souvenir duquel nous avons débouché.
 
Sur le pas de la porte, nous nous demandons que faire maintenant :
-Je propose de rester ici cette nuit, de se reposer, et de voir ce que l'on fait demain, dis-je.
-J'me sens pas d'rester ici avec tous ces gens qu'on connaît transformés en gâteau, bougonne Herta.
Je la comprends.
-Pourquoi est-ce qu'on rentre pas chez nous ? demande Michon.
-Et on fait comment ? réponds-je.
-Bah, on revient par les tunnels.
-Lequel ?
-J'en sais rien. On les teste, un par un ?
Du Michon tout craché.
-Sans lumière, en ne sachant pas s'il y a des trous, des pièges, des bifurcations...
-Ch'uis d'accord avec Eden, c'est pas une bonne idée, me conforte Herta.
-Ouai, mais par la forêt, on sait pas par où aller ! réplique Michon.
-Ouai, mais c'est moins oppressant, dit Herta. « Té, viens dehors et regarde, on voit... oh putain ! »
A son air interloqué, nous sortons également, pour découvrir que les murs de la maison brillent faiblement dans le noir. Même les bouts de gâteaux que tient Michon dans ses mains, ainsi que les miettes qui restent collées autour de sa bouche, scintillent légèrement.
-Marrant ça ! s'exclame Michon. « Tiens Eden, tu peux me tenir ça, je vais pisser. »
Il me tend ses bouts de gâteaux et rentre dans la maison.
-Est-ce qu'on peut pas s'servir d'ça pour s'repérer dans la forêt ? me demande Herta.
-Si. Bon, ça peut également attirer d'autres personnes ou animaux, et des animaux peuvent les manger. Mais ça éclaire un peu plus que les rayons de la lune. Et ça permettrait de bien baliser le chemin. C'est mieux que rien...
-Vu qu'on reste pas ici et qu'on peut pas rentrer par les tunnels, autant ramasser plein d'gâteau, et s'en servir comme bouffe et repères dans la forêt.
Nous ramassons des paniers en osier trouvés dans les gardes-mangers et commençons à les remplir de bouts de gâteaux découpés ça et là dans les murs de la maison.
Au bout de cinq minutes sans nouvelles de Michon, je commence à m'inquiéter et me dirige vers la salle d'eau. Je le trouve en chemin, dans la cuisine, penché sur la tâche de... sorcière.
-Michon, ça va ?
Il sursaute, se retourne, et laisse apparaître un visage assez pâle.
-Je... j'ai l'impression d'avoir vu bouger un truc en passant devant la porte, et... j'ai l'impression que c'est en train de se reconstituer...
Je regarde attentivement pendant quelque secondes, et effectivement, l'ensemble à l'air de bouger tout doucement, comme si la tâche se contractait pour... se reformer. En regardant alentour, je me rends compte que le bâton enchâssé de sa pierre verte se trouve pris dans la tâche. Je veux l'enlever, mais il semble bien collé et ne veut pas se détacher. Michon tente également de son côté, sans succès. Je n'aime pas ça. Pas du tout.
-Michon, il faut qu'on y aille, vite !
Nous attrapons Herta au passage, lui expliquons rapidement de quoi il retourne, et tombons d'un commun accord pour prendre le chemin de la forêt en laissant de manière régulière des bouts de gâteaux phosphorescents derrière nous afin de pouvoir se retrouver au cas où...




Pas d'un pouce, par MadBlackHands

La nuit semble interminable. Sûrement à cause de cette foutue lumière rouge qui donne à chaque arbre, à chaque motte de terre, à chaque rocher, une allure de…