Un cou à se rendre chèvre, par Wargen

Je ne sais pas si les animaux sont capables de communiquer consciemment. Mais à la lueur tremblante au fond des yeux de la pauvre bête, j'ai l'impression qu'elle me supplie de la d&eacut…




Chapitre 6: Pas d'un pouce, par MadBlackHands

La nuit semble interminable.
Sûrement à cause de cette foutue lumière rouge qui donne à chaque arbre, à chaque motte de terre, à chaque rocher, une allure de film d’horreur. Et sous mon capuchon de pourpre, je dois certainement ressembler à une terrifiante criminelle sur le point de brûler le prochain village qu’elle croisera.
En dépit de l’odeur sucrée dont nos doigts sont badigeonnés, la forêt a des relents de mousse, si ce n’est de pourriture. C’en est écœurant.
- Ben mazette… C’en fait des choses pour seule ‘tite nuit ! lâche Herta au bout d’une bonne demi-heure de marche.
Même si son intervention tombe sans réponse, entendre autre chose que le vent dans les branches a quelque chose de rassurant. Michon ne dit plus rien depuis que nous sommes partis, lui qui n’est pourtant pas avare de paroles d’ordinaire. Personnellement, je préfère compter mes doigts de pied dans ma tête, -ils ont toujours le même nombre, ce qui est bien agréable- plutôt que de réfléchir à quoique ce soit d’autre. Une petite brume nocturne s’infiltre entre nos jambes et poursuit sa course dans tout le bois ; elle s’épaissit au fur et à mesure de notre avancée, jusqu’à engloutir totalement la faible lueur de nos gâteaux.
- Ça m’dit rien qui vaille, c’te purée d’pois soudaine.
- Comme dans tout conte qui se respecte, il faut un élément perturbateur qui sépare les protagonistes, répond Michon. Un grand classique !
Son éloquence soudaine me file aussitôt la migraine tandis que Herta hausse les épaules, désinvolte. Toutefois, elle avait raison : ce brouillard n’annonce rien de bon, et plus nous nous enfonçons dans la forêt, plus il nous recouvre de ses vapeurs grisâtres. S'entrevoir devient une tâche toujours plus ardue, et je constate que les deux autres sont dans le même état que moi.
D’une petite voix, j’appelle mes amis, les ayant perdus de vue la minute suivante. J’obtiens pour seule réponse un écho qui se répercute sur les derniers troncs distinguables.
D’instinct, je décide de m’arrêter au milieu du sentier pour porter mes mains auprès de ma bouche.
- MICHON ! HERTA !
Le parfum du gâteau me fait hausser le cœur, et le silence me brise les oreilles.
- HERTA ! MICHON !
A ma gauche, on me répond enfin ; ce n’est ni la voix du grand dadet, ni celle de la bourrue qui me servent de compagnons d’infortune.
Il s’agit plutôt d’une étrange petite mélodie, un air connu au village, de ceux qu’on chante lors des repas de fête. La chansonnette s’approche doucement de moi, et au vu de ce qui m’arrive depuis le début de cette aventure, je reste sur mes gardes, en position de défense, bien ancrée dans le sol. Mes poings se serrent, à l’image de ma mâchoire, et ma capeline dessine dans mon dos une superbe arabesque dans le vent.
La voix est maintenant à moins de trois mètres…
Deux mètres…
Un.
Au hasard, j’envoie ma main rencontrer la fine silhouette encore cachée par la brume. L’individu, pas bien grand, pousse un cri à la fois de surprise et de douleur.
- Nan mais ça va pas de péter le nez des gens comme ça !
Ce ton un peu rocailleux ne m’est pas inconnu. Je baisse ma garde, les yeux pleins de repentir :
- Poucet ? C’est bien toi ? Mais… Tu es porté disparu depuis au moins trois ans !
- Eden ! Je me suis juste égaré un moment… J’avais laissé des petits cailloux sur mon passage, pour m’y retrouver, mais ça n’a pas été très efficace…
- Tu m’en diras tant…
Espérer retrouver son chemin dans une si dense forêt s’avère mission impossible ; même Poucet, un gamin intelligent et malin, s’est fait prendre au piège. Je l’examine d’un peu plus près et constate avec inquiétude sa maigre silhouette, la crasse sur ses joues et la boue dans ses cheveux. Trois ans, c’est long, en particulier pour un petit garçon comme lui.
- J’ai perdu mes amis en chemin… Tu ne les aurais pas croisés, par hasard ? Si on les retrouve, on pourrait peut-être te ramener au village.
- Un soir de lune rouge ? Rentrer au village ? Crois-moi Eden, nous sommes presque plus en sécurité dans ce bois que chez nous ! La Bête rôde sûrement déjà parmi les maisons.
Sans m’en rendre compte, je hoche la tête, frappée par le souvenir de cette monstruosité qui nous avait poursuivis jusque chez les Grettels. L’air se fait un tantinet plus froid, le vent me mord les jambes et les bras ; je rajuste mon capuchon sur mes épaules.
- Poucet, comment as-tu fait pour survivre ici, tout seul, pendant tant de temps ?
Son sourire, troué par une incisive manquante, se ternit et quelque chose dans ses yeux malicieux semble s’éteindre. Il me répond, avec une monotonie dérangeante, qu’il s’est débrouillé comme il le pouvait et qu’il s’est dégottée une grotte un peu plus loin pour dormir.
- Je peux t’y emmener si tu veux ! Tu dois avoir envie de te reposer après toutes ces péripéties !
La dernière personne m’ayant dit cela quelques heures plus tôt a par la suite tenté de me transformer en festin pour son prochain goûter.
Mon hésitation se fait sentir, et le jeune garçon se renfrogne. Sa moue boudeuse me rappelle celle de mes sept petits frères et sœurs ; ils doivent avoir le même âge.
Je m’accroupis devant lui, essuie mes mains peintes de sucre sur ma jupe, et lui remet une mèche blonde en place derrière l’oreille.
- Excuse-moi… Je suis juste inquiète de savoir ce que sont devenus Herta et Michon.
Et puis, j’en ai un peu ma claque de me retrouver toute seule pour finir dans des situations catastrophiques sans le vouloir.
Le bonhomme comprend et hoche à son tour la tête. Poucet amusait tout le village, avant de se perdre en forêt ; il jouait des tours à tout le monde -rien de méchant- et était d’une politesse remarquable. Tous les villageois s’accordaient pour lui prédire un avenir radieux tant il brillait de virtuosité et d’espièglerie.
Un cri dans le lointain coupe notre entretien.
- C’est Herta ! Il doit lui arriver une nouvelle mésaventure ! Allons à sa rencontre !
Quand je me relève, aux aguets pour retrouver ma coéquipière, je constate que Poucet ne partage pas mon état d’alerte. Au contraire, le petit se triture les mains, les yeux baissés sur la pointe de ses chaussures, bredouillant quelques mots incompréhensibles. Je l’interroge du regard, sans savoir quoi gérer en priorité : la demoiselle en détresse ou le gamin perdu depuis trop longtemps.
Je me penche de nouveau vers lui, souhaitant être la plus rassurante possible.
- Ne t’en fais pas, je suis avec toi maintenant. Tu rentreras avec nous, en sécurité.
Ses pupilles croisent les miennes en un éclair, et ce que j’y vois me fait froid dans le dos. Le blanc de ses globes oculaires a laissé sa place à un noire intense.
- Oh je ne suis pas inquiet, en trois ans, on apprend à survivre…
Comme figée sur place, je ne peux m’empêcher de scruter tous les détails qui m’avaient échappé jusqu’à maintenant. Les cernes violacés, les veines sombres sur ses temps, ce regard si vide, ces dents si aiguisées, et par-dessus tout… Le sang séché qui persiste à ses commissures.
- En revanche, poursuit l’étrange petit garçon, toi, tu devrais t’inquiéter davantage pour ton amie.
Je fais un bond en arrière et finis parmi les feuilles mortes, les fesses une nouvelle fois par terre et le front une nouvelle fois en sueur. Poucet ne m’abandonne pas à mon triste sort ; en une respiration, doté d’une vitesse hallucinante, il vient me surplomber. Ses yeux morts plongent dans les miens, je tressaute.
- Elle a dû tomber dans un de mes pièges…
Mon nez commence à me piquer alors que mes ongles s’enfoncent dans la première racine qui me tombe sous la main.
- C’est dommage… Elle était jolie.
D’un souffle, quand le mien est coupé, il fond sur moi et je ne peux retenir un hurlement à travers la nuit.




Pas besoin de me Poucet, par Bat.Jacl

Animé par la fureur, Poucet me charge. Dans le noir intense de ses yeux, une lumière verte pulse à chacune de ses enjambées démesurées. Je comprends le lien …