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Chapitre 1: Le Domaine, par AlexGNSTR

C’était ce que, dans la région, on appelait pompeusement « un domaine ». Laissons ce terme là et admettons simplement qu’il s’agissait d’un grand lotissement. Perchées au sommet d’une colline, émergeant comme une île d’un océan de pins parasols, près de quatre cents maisons se serraient les unes aux autres. Elles toisaient, en contrebas, la ville qui s’étalait jusqu’à la mer et ne manquaient pas d’évoquer la pittoresque image des villages perchés qu’on trouvait dans l’arrière-pays. Le domaine, vu de loin, avait tout d’une carte postale de ce joli coin de Provence.


Lorsqu’on empruntait la petite route qui sinuait entre les grands pins, il fallait parcourir un bon kilomètre avant que deux zigzags consécutifs se lancent à l’assaut de la colline et mènent devant le portail principal. Surmontée d’une arche maçonnée et flanquée d’une maison de gardien étroite et haute, aux allures de mirador, cette entrée en imposait. Une fois qu’on avait pénétré dans la résidence, on ne pouvait qu’admirer les parterres fleuris encadrant une voie goudronnée impeccable.


Les maisons, toutes différentes, s’accordaient néanmoins dans un ensemble harmonieux. Leurs façades étaient en majorité enduites dans des teintes douces allant du blanc cassé à l’ocre rosé. Elles s’octroyaient parfois la fantaisie de pierres apparentes par petites touches et étaient invariablement coiffées de toitures peu pentues, en tuiles canal. Des volets à persiennes complétaient cette image d’Épinal avec leurs touches de vert amande, de bleu ciel, de rouge terre cuite, de brun chocolat ou de jaune moutarde. Ce mélange bigarré se posait sur un fond nuancé de verts. Les oliviers, les chênes et les cyprès enveloppaient les bâtisses dans un écrin végétal dense et confortable.


Çà et là, l’avenue principale était ponctuée d’impasses où se groupaient les habitations par petites quinzaines, donnant à voir leur face chaleureuse et cachant derrière elles des jardins en restanques.


Ainsi se déployait l’immense copropriété sur une ligne de crête de presque deux kilomètres. Deux kilomètres au terme desquels on arrivait sur une grande esplanade. Autour de cette dernière, se répartissaient deux cours de tennis, une aire de jeux pour enfants, huit terrains de pétanque, une piscine aux dimensions peu communes, pourvue de vestiaires, d’une pataugeoire, d’une cascade et d’un toboggan, ainsi que d’un grand bâtiment de plain-pied, aux larges baies vitrées et au toit plat. Affectueusement nommée La Gargote, la bâtisse avait de multiples usages. Salle des fêtes en hiver, elle se transformait à l’arrivée des beaux jours, en un bar restaurant qui faisait également, dépôt de pain, rôtisserie et épicerie de dépannage. Sur sa terrasse, les chaudes soirées d’été s’animaient de concerts, de karaokés et d’une quantité pléthorique d’animations, dignes des clubs de vacances de la région.


Il faut dire qu’environ la moitié des maisons du domaine étaient des résidences secondaires. Elles n’étaient donc habitées qu’en période estivale. Ce qui aurait pu sembler un inconvénient le reste de l’année, lorsque l’euphorie de l’été retombait et que les lieux se dépeuplaient, était en fait vécu comme une bénédiction par les riverains permanents. Une fois les estivants rentrés chez eux, le calme revenait. Les habitants « à l’année », tel qu’ils s’appelaient eux-mêmes, se connaissaient tous plus ou moins et se côtoyaient. Une vraie vie de village, avec ses bons et ses mauvais côtés.


La tranquillité que suggérait ce cadre enchanteur était cependant toute relative. Depuis quelques semaines maintenant, les voisins se saluaient de loin, les amis semblaient s’éviter et la Gargote était bien moins fréquentée qu’elle aurait dû l’être en cette fin septembre chaude et ensoleillée. Les habitants du domaine étaient aux abois. Un corbeau était à l’œuvre. 


Tous les trois ou quatre jours, un feuillet de papier jaune pâle était déposé dans chaque boîte aux lettres durant la nuit. Les plus sombres aspects de la vie intime des uns et des autres étaient ainsi dévoilés. La curiosité morbide, qui ressurgissait du plus profond de chacun dans ce genre de situation, amenait les résidents à s’interroger, non pas sur l’identité de l’odieux dénonciateur, mais sur celle de sa prochaine victime.


Nombreux étaient déjà ceux qui avaient fait les frais de ces pamphlets. Jamais aucune preuve n’était apportée à ces affirmations et, la plupart du temps, les individus qu’elles visaient criaient à la calomnie et au mensonge. Toutefois, le doute s’insinuait ; perfide, inévitable et destructeur.


La première sur qui les regards lourds de jugements s’étaient posés avait été Clotilde. Elle élevait seule sa fille, enchainait les petits boulots et les ennuis avec sa mère sénile. Tous s’accordaient pourtant à dire que sa grande générosité n’avait pas d’égal et que son sourire aurait su illuminer la journée d’automne la plus maussade. Mais lorsque le corbeau avait prétendu qu’elle avait plus d’affection pour ses bouteilles de gin que pour sa progéniture, elle s’était vue ostracisée du jour au lendemain.


Quelques jours après cela, deux familles avaient été prises pour cible par la missive accusatrice du corbeau. Franck et Jean-Charles étaient connus de tous pour leur grande amitié et leur passion pour le football. Ils ne manquaient jamais l’occasion de regarder un match ensemble et leurs épouses respectives, Lucie et Amélie, s’en accommodaient très bien. Les maris dans une maison, les enfants et la baby-sitter dans l’autre, elles en profitaient pour sortir entre filles. Cependant, la seconde lettre du corbeau avait annoncé que, lors du dernier match qu’ils avaient regardé ensemble, Franck et Jean-Charles avaient poussé le curseur de la camaraderie un peu plus loin et qu’après avoir sans doute bu plus de bière que d’habitude, s’étaient abandonnés ensemble à la découverte de territoires jusqu’alors inexplorés. Les copines de soirée en étaient alors venues aux mains, s’accusant tour à tour d’avoir su et de n’avoir rien dit ou bien de n’avoir jamais été bonne à satisfaire son homme au point qu’il aille chercher ce qui lui manquait auprès d’un autre. Le tout s’était fait dans une empoignade rageuse et hystérique, sur la terrasse de la Gargote, en plein apéro dominical.


C’est à la suite de ce spectacle pathétique que l’établissement s’était peu à peu vidé. Le scandale, c’est excitant. Tout du moins tant qu’il ne vous touche pas de trop près. Ceux qui, tour à tour, étaient pointés du doigt par les lettres anonymes étaient évités comme des pestiférés dont la honte aurait éclaboussé quiconque les approchait.


Sylvie, la gérante du restaurant, désespérait de voir sa clientèle fondre comme neige au soleil. Et le coup de grâce lui fut porté le jour où, à son tour, elle fut sur la sellette. À en croire le billet de l’accusateur, son vin était coupé à l’eau, la nourriture qu’elle servait était périmée et l’hygiène de ses cuisines laissait à désirer. Elle eut beau clamer que personne ne s’était jamais plaint et qu’aucune intoxication n’avait jamais été déplorée à la suite d’un repas dans son établissement, le mal était fait. Les derniers courageux qui fréquentaient encore la Gargote cessèrent de venir et Sylvie songea à clore la saison avec un mois d’avance.


Les révélations s’enchainèrent. Un tel fut accusé d’avoir renversé le chat de sa voisine, un soir qu’il rentrait d’avoir fait la fête. Il fut imputé à une telle de s’être, quant à elle, montrée violente envers sa compagne. On lut même que les jardins saccagés au printemps précédent ne l’avaient pas été par des sangliers, mais par les fils du gardien.


À ce rythme-là, tous les habitants du domaine finiraient par être accusés de quelque mauvaise action ou vice inavoué. Les annonces donnant lieu à des réactions de plus en plus imprévisibles, un drame était à redouter. Si cette mécanique implacable avait déjà apporté son lot de haine et de destruction dans la vie, auparavant paisible, des riverains, tous s’accordaient sur une certitude : il fallait vite mettre la main sur le délateur. Et très vite même, avant que le pire ne se produise.




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