L'eau de là, par Wargen

Me retournant, un joli lac s'offre à ma vue. Il est alimenté par une petite cascade provenant d'une partie de la forêt plus élevée, sûrement là d'o&ugra…




Chapitre 9: Phag(at)ocyté, par Wargen

Le cri me fait sursauter. Je veux hurler mais un hoquet me coupe le souffle. Ma tête tourne. Et alors que le hurlement venant de je ne sais où se calme et semble se transformer en gémissements, je réussis finalement à lâcher un cri de terreur suraiguë tout en tombant en position fœtal sur l'humus spongieux que forme le chemin à cet endroit précis.
J'ai froid, j'ai faim, je suis fatiguée, j'ai la frousse. J'en ai marre. Je veux que tout se finisse maintenant. La sorcière, la chose, la bête ou je ne sais quoi d'autre. J'abandonne. Fini.
 
Malgré tout, j'entends le son. Bref mais intense. Par dessus les gémissements qui retombent et reprennent, par vagues. Un sifflement. Je l'ai entendu il n'y a pas longtemps. Il y a quelques heures ? Je ne sais plus, le temps n'a plus aucune notion pour moi. Un nouveau sifflement. Mais je le reconnais maintenant. Le sifflement d'Herta. Ils ne sont plus très loin. Ce n'est pas fini. Pas encore.
 
Je me relève, encore prise de vertiges, et réussi à remettre debout sur mes deux jambes.
Aller, marche, ma belle.
Je suis les bouts phosphorescents, je suis le chemin. Je tente de me guider aux gémissements, qui redeviennent des cris ponctuels. Ce n'est pas très loin devant, sur ma gauche. Encore un sifflement. A 20 mètres ? 50 mètres ?
-Ramène toi, on est là !
La forte voix chuchotée d'Herta. Je sursaute mais me rassure dans la même foulée.
Je vois des buissons bouger à 5 mètres sur ma gauche. Et je les entends bouger.
-Viens vite, reste pas sur l'chemin !
Je vois son capuchon, noir en l'absence de luminosité, émerger des buissons. Elle les écarte, et m'invite à la suivre. Il fait sombre et je ne la reconnais pas. Mais c'est sa voix, j'en suis sûre. Je la suis dans la végétation. Nous parcourrons en silence et difficilement une dizaine de mètres, avant d’atterrir sur une petite zone légèrement dégagée. Un corps sombre recroquevillé en boule, allongé sur le flanc, prend un quart de l'espace disponible. Une tache phosphorescente brille à côté de ce qui semble être une tête. Les râles et gémissements viennent de cette masse sombre.
-Qu'est-ce qu'il se passe ?
-Comme tu n'peux pas l'voir, mais l'deviner à sa corpulence, c'est Michon, qu'est mal en point.
Herta ouvre son baluchon de gâteau et réalise quelques petits tas autour de la silhouette sombre. L'ensemble, ainsi que la tâche phosphorescente déjà présente à mon arrivée, permet d'y voir un peu plus clair. Et de constater qu'il s'agit effectivement de Michon. Il semble avoir de la fièvre, son capuchon renversé laissant apparaître sa tête dégoulinante de sueur, ses cheveux trempés. Sa mâchoire est crispée sur un bout de bois, ce qui n’empêche pas quelque râles de s'échapper de ses lèvres. Ses bras sont serrés autour de sa taille, ses genoux appuyant dessus. On dirait qu'il force sur ses cuisses pour enfoncer ses bras plus profondément dans son ventre. Il tremble. Je m'agenouille à ses côtés et passe ma main sur son front. Il est bouillant. Il ouvre des yeux vitreux et, semblant me reconnaître, desserre son étreinte pour dégager sa main droite qu'il glisse dans mes cheveux.
-Kve f'ême.
Je prends sa main dans la mienne et la serre fort.
-Je ne comprends rien avec ton bâton.
-Laisse tomber, reprend Herta, j'préfère pas qu'il l'enlève avec l'boucan qu'y fait !
-Mais que s'est-il s'est passé, depuis qu'on s'est perdu de vue ?
-Pfff, si j'le savais... D'ailleurs, tu viens d'où ? Qu'es-ce tu foutais ?
-Je... je ne sais pas si tu me croirais. Toi, d'abord.
Elle me fixe d'un regard mort, et a un renvoi.
-D'solé, j'me sens pas bien d'puis quelque temps. J'espère qu'j'ai pas choppé l'même truc qu'lui, glisse-t-elle en forçant un rire qui ne cache pas son inquiétude.
-Alors ?
-Bah... Avec la purée de pois, on s'est pris par la main, avec Michon, histoire de pas s'perdre, vu qu'toi, tu v'nais d'disparaitre. Et en marchant , j'me suis r'trouvé le cul par d'd'ssus la tête, en m'faisant prendre dans une sorte de piège à la con. Heureusement qu'Michon était là pour m'détâcher. Alors, on s'est dit qu'on allait s'planquer dans des buissons proches de la route, et attendre que ça s'lève, pour mieux y voir. Au début, le Michon, y s'sentait pas bien, mais j'pensais qu'c'était dû à la peur. Y causait pas, alors j'ai pas cherché à en savoir plus. On s'est installé dans un buisson pour zyeuter l'chemin. Pis au bout d'un moment, j'ai entendu des gargouillis v'nir d'son ventre. J'y d'mande si y va bien, y m'parle même pas : il hoche la tête pour dire non et il dégobille dans le buisson en faisant un bruit d'tout les diables. J'me dis qu'y faut pas rester là, et j'trouve ce tout p'tit coin dégagé. On y file fissa, et il s'écroule direct en boule par terre. Là, j'me dis qu'ça sent pas bon. Y commence à gémir tout douc'ment en se tenant l'ventre, comme là, mais en moins fort.
Je me rends compte que Michon vient de me lâcher la main et s'est remis en position fœtale en se tenant le ventre.
-Et ça a fait qu'empirer.
J'ai l'impression de voir des choses bouger silencieusement derrière elle.
 
 
-J'ai même essayé d'le soulager, mais même ça, ça voulait pas.
-De le soulager ?
-Rah, faut tout t'apprendre, pucelle.
Elle roule Michon sur le dos. Il ne semble même pas s'en apercevoir, tremblant de toute part. Elle descend son pantalon en jute, laissant apparaître un sexe long et épais, même au repos, qu'elle attrape et commence à branler. Quand même ! Je comprends qu'elle soit jalouse de son Michon. Une sensation de chaleur commence à envahir mon entrejambe. J'oublie la peur, la nuit, les monstres. J'imagine son sexe dans... Herta lâche le bout de Michon qui retombe inerte, et elle remonte le pantalon.
-Tu vois ? Aucune réaction. Et j'peux t'dire qu'en temps normal, ça monte fissa ! Du coup, j'pouvais pas l'laisser là pour tenter d'chercher des plantes ou des racines, il avait d'plus en plus mal. Pis d't'façon, j'aurais rien vu dans c'te forêt, par un noir pareil.
 
Tout à coup, Michon relève brusquement son buste et, le bâton ayant quitté ses lèvres, se met à hurler du même son inhumain que tout à l'heure. Nous sursautons toutes les deux.
-Putain, faut l'faire taire, y risque d'attirer des trucs ici !
Elle sort un couteau d'une de ses bottines. Non, elle ne va pas...
Elle lève le bras. Je me précipite sur elle en gueulant :
-Non !
Son bras retombe avant que je ne l'atteigne. Le pommeau du manche frappe violemment la tempe de Michon, dont le buste retombe dans un bruit assourdi par la terre spongieuse. Il semble inconscient. Elle n'a pas frappé du côté tranchant.
Je termine ma course sur elle en lançant mes mains sur la sienne tenant le couteau :
-Mais t'es complètement folle ! Donne moi ça !
-Dégage, salope !
Je tente de tordre sa main pour lui faire lâcher le couteau.
-Lâche ça, t'aurais pu le tuer!
Sa poigne tien bien l'arme.
-Et après !
Je plante mes ongles dans la chair de sa main.
-Putain, ça fait mal !
Mes ongles sont plutôt acérés. La main d'Herta s'ouvre, et le couteau tombe à terre. Je veux me précipiter dessus, mais sa main gauche m'attrape par le cou et me soulève pour me remettre sur mes pieds. Sa poigne titanesque me coupe la respiration. Je tente de planter mes ongles dans son bras, mais son capuchon et la veste en dessous sont bien trop épais pour que cela fonctionne. La main qui me tient ! Elle semble avoir comprise. Elle me projette à terre, et plonge sur le couteau. Le temps que je me relève, elle se tient déjà sur ses garde, couteau en avant, de l'autre côté du corps inerte de Michon. Ma situation n'est pas enviable. J'ai peur qu'il ne me reste qu'à parlementer :
-Qu'est-ce qu'il se passe, maintenant ?
-Tu vas t'calmer, p'tite, et r'prendre tes esprits. J'pensais pas qu'la bite à Michon t'f'rais cet effet, ricane-t-elle.
Le picotement dans mes joues indique que je rougis dans la pénombre. Voyant que je ne réponds pas, Herta reprend :
-Faut bien qu'tu comprennes des p'tits trucs, ma belle. D'une, c'est moi qu'ai l'couteau, et j'sais m'en servir. Vaut mieux qu'tu m'écoutes et qu'tu restes sage. De deux, faut qu'tu comprennes qu'dans son état, Michon est dev'nu un poids mort. Faut qu'on l'abandonne ici et qu'on s'taille d'là fissa. J'sais pas s'il a rameuté des bestiasses avec ces hurlements, mais j'ai pas envie d'le savoir. Et c'te forêt m'fout les jetons. Faut soye qu'on change de cachette pour attendre le soleil, soye qu'on tente d'sortir d'la forêt. Mais dans les deux cas, c'est sans lui.
Elle pointe le couteau en direction de Michon.
-Tu es un monstre !
-Non, j'veux juste vivre. Pas d'états d'âme. J'me suis bien amusée avec lui, y s'est bien amusé avec moi. Mais là, c'est fini. Y sortira pas vivant d'ce merdier dedans lequel on est, j'te l'parie !
-D'accord, pars, va te cacher, tente de trouver la sortie. Moi, je reste là, avec lui !
-Non. T'as pas bien compris qui s'est qu'a l'couteau. Et toi, ma belle, tu continues d'm'être utile. Et je continue de t'l'être. T'es bien trop intelligente pour que j'te laisse là. Et t'as bien trop besoin d'moi pour sortir de là.
Je sais malheureusement qu'elle n'a pas tout à fait tord, compte tenu de la situation. Et je sais qu'elle sais que je le sais.
-Vu qu'tu dis rien, c'est qu'tu sais qu'j'ai raison. Viens ici toper l'accord, et on s'en sort toutes les deux.
J'enjambe le corps inerte de Michon et me présente devant elle. Elle range son couteau en signe de bonne volonté, et me tend la paume droite. Je la regarde dans les yeux. Et lui crache au visage.
-P'tit pu...
Elle me pousse en arrière, levant le bras comme pour me gifler, mais est prise d'un haut le cœur.
En reculant sous l'effet de la poussée, je trébuche en arrière sur le corps de Michon, et m'affale sur le postérieur.
Il me semble que des buissons bougent silencieusement.
Et je vois.
Et je sens.
 
 
Je vois Herta à quatre pattes, la tête vers le sol, vomir une substance phosphorescente.
Je sens quelque chose gesticuler sous mes mollets, quelque chose qui semble venir du ventre de Michon.
Interloquée par cette étrange sensation, je me relève, et commence à déshabiller le grand corps athlétique. Je passe mes doigts sur son ventre qui semble anormalement gonflé. Ma main continue son cheminement vers le pantalon. Passant en dessous, je m'aperçois que le gonflement continue jusqu'ici. Une chose flasque au bout légèrement visqueux touche ma main. Je comprends ce que c'est, mais cela ne me provoque cette fois-ci aucune sensation. Je suis complètement obnubilée par ce ventre surgonflé, et malgré tout, ce petit sillon qui semble se déplacer anarchiquement en surface. Comme si quelque chose évoluait en dessous. Et voulait en sortir ?
J'entends un dernier hoquet d'Herta. Je lève la tête dans sa direction. Elle lève la sienne, et me regarde de ces yeux larmoyants :
-J'me sens pas bien.
A mon regard, elle se doute que quelque chose cloche. Elle s'approche à quatre pattes, et regarde dans la direction indiquée par mon doigt.
-C'est quoi ?
-Je n'en sais rien. En tout cas, ça n'a rien de normal. On dirait quelque chose qui veut sortir.
-Ça m'plait pas. Faut qu'on s'casse d'ici.
-Non, je veux savoir.
-T'es folle.
Je la regarde. Sentant qu'elle n'est pas au mieux de sa forme, je bondis dans sa direction, la renverse, et m'empare de son couteau.
-Eh ! Tout doux, la belle ! Qu'est-ce tu veux faire avec ? M'faire remballer mes belles paroles de d't'à l'heure ?
-Non. Je vais lui pratiquer une petite incision dans l'abdomen, pour voir s'il n'y a pas effectivement quelque chose qui veut sortir.
-Ah, tu voulais l'sauver, final'ment, c'toi qui va l'faire crever !
-Une petite incision. Je recoudrais avec un fil tiré de son capuchon et son épingle.
Herta ne répond rien. Je n'attendais de toute façon pas de réponse de sa part. Je m'assieds sur les tibia en chevauchant la tête de Michon, me penche et place la lame du couteau sur son ventre. Herta s'approche doucement, les yeux fixés sur le couteau. J'expire un grand coup, et me met à appuyer légèrement.
J'ai à peine le temps de commencer la légère incision que le ventre explose dans un bruit de flétrissure. Nous sursautons et crions toutes les deux. Des bouts de chairs, de viscères et de gâteaux sanguinolents et visqueux nous éclaboussent le visage. Une odeur âcre et forte se répand dans l'air.
-Putain, j'en ai dans les yeux, ça pique.
L'acidité de l'estomac, sans doute. Je m'approche d'Herta, et lui essuie le visage. Les bouts de chair et de viscères sont chauds sur mon visage. Une fois ses yeux nettoyés, elle passe un coup de son capuchon sur mon visage. La fraîcheur de la nuit revient sur mes joues.
C'est alors seulement que nous le voyons.
Nous avons toutes les deux un haut-le-cœur.
Il est d'ailleurs très visible, brillant dans le noir. Une sorte de petit bonhomme plat, tout en rondeur, de la hauteur d'une petite pomme. Il semble fait de la même matière que le gâteau de la maison de la sorcière, puisqu'il brille de la même manière. Sa tête ronde est ornée de deux yeux que l'on croirait fait de deux raisins secs. Sa bouche, ventousée sur un gros organe marron de forme triangulaire, semble faite de petits triangles blancs pointus que l'on croirait être du sucre glace.
J'ai des frissons, la tête me tourne.
Ses deux bras ressemblent à deux langues de chat, attrapant à bras le corps l'organe ventousé à sa bouche. Je crois que c'est le foie. Pour s'approcher encore un peu plus, la petite chose lève une jambe du cloaque sanguinolent dans lequel elle se trouvait. La jambe ressemble à s'y m’éprendre aux bras.
J'entends Herta qui renifle bruyamment.
La chose est en train de manger le foie de Michon. De l'arrière de son corps sort en continu une traînée de substance qui ressemble au gâteau. Comme si elle mangeait l'intérieur du corps de Michon, pour déféquer en continu du gâteau venant remplacer le vide. Je remarque alors que l'estomac et les intestins ont complètement disparus, remplacés par une épaisse couche de gâteau.
La petite créature continue son chemin vers le milieu du foie, pataugeant dans une soupe de sang, glaires, viscères et gâteau, sans nous prêter attention.
Je suis sidérée. Je crois qu'Herta avait raison. Je crois qu'il n'y a plus rien à faire pour Michon.
 
Soudain, un cri aiguë me sort de ma morbide contemplation. Herta se rue sur la petite créature, l'extirpe du torse en parti ouvert et la décapite d'un coup de dent rageur et recrache la tête. Elle réduit le restant du petit corps en bouillie de gâteau. Puis elle s'effondre en sanglotant.
 
Je ne pensais pas que l'on pouvait vider autant de larmes sur toute une nuit. Alors que celle-ci n'était pas encore finie. Je me glisse tout doucement aux côté d'Herta, la prends dans mes bras et m'allonge sur le flanc, la forçant à faire de même. Je cale sa tête sur mon épaule et me mets à lui caresser la tête.
Je viens de comprendre qu'elle avait compris qu'elle avait également mangé du gâteau chez la sorcière.
 
Des buissons se mettent à bouger silencieusement devant mes yeux...




Couleur rose sang, par Bat.Jacl

Je ne suis pas folle, j’ai bien vu ces buissons bouger. Enfin, je crois. De toute façon, ce n’est certainement pas le vent qui les écartés de cette manière. Je…