Concours de nouvelles : Arbre, par information.the.root.book

Salutations à tout·e·s, Êtes-vous prêt·e·s à vous lancer dans une aventure littéraire hors du commun ? 🚀 The Root Book lance son premier…




Chapitre 1: On aurait dû le jeter du pont, par VanessaP

— Clarisse, passe-moi la pelle.


Clarisse s’exécute, trop choquée pour réfléchir. Elle retourne au coffre du trois-cent-huit de son père, récupère l’instrument et le tend à Jonas. Ce dernier l’attrape et commence à creuser, sous le faible faisceau de lumière que sa lampe torche lui envoie. Du haut de l’arbre qu’il a sélectionné. Dans la forêt où il les a emmenés. Avec le véhicule qu’ils ont emprunté. Sans permis.


Jonas, le plus âgé, n’a pourtant que seize ans et à peine quelques heures de conduite à son actif. Cela ne devait pas se passer comme ça. Lui et ses cadets, Nathan et Jeanne, sont venus passés la nuit, chez elle et son frère Elliot, pendant que leurs parents profitaient des spectacles parisiens. Les enfants étaient restés seuls, sous la surveillance de Jonas, si l’on pouvait dire. Celui-ci préférait geeker sur son jeu vidéo plutôt que vérifier si les petits étaient nourris, couchés ou rassurés. Alors ils ont mangé n’importe quoi et se sont endormis à point d’heure, effrayés par les histoires de fantômes de Nathan.


Pourtant, cette nuit-là, Jonas s’est montré bien utile, lorsque l’homme a tenté d’entrer par effraction dans la maison. Et qu’il a réussi.


— Bon, Clarisse, reste pas plantée là ! Va plutôt faire le guet !


Faire le guet. Clarisse n’a que quinze ans. Elle ne voit pas bien ce qu’elle pourra faire si elle fait le guet et que quelqu’un approche. Malgré tout, elle acquiesce et repousse Elliot qui s’accroche désespérément à sa chemise de nuit.


— Je veux maman… murmure le gosse de six ans.


— Ça va aller, Elliot, le rassure Clarisse, je reviens dans un moment, reste avec les autres.


Sans tenir compte de ses suppliques, elle se dirige en direction de la route, pour surveiller les environs.


 


Jonas sue à grosses gouttes au-dessus d’un trou encore inexistant malgré ses coups de pelles répétés. Jeanne, à quelques mètres de lui, vide toutes les larmes de son corps.  


— Nathan, va mettre les petits dans la voiture ! s’agace Jonas.


Nathan peste. Il a quatorze ans et n’a aucune envie de jouer les babysitters. Pourtant, la situation est grave. Trop grave. Alors, il attrape Jeanne qui sanglote et Elliot qui s’est accroché à lui et les guide tous deux jusqu’au véhicule. Quelle idée de les avoir amenés ?


Jonas reste seul dans la nuit. Il creuse, creuse et creuse encore. Ses pelletées sont de moins en moins remplies, mais son outil cogne inlassablement contre des pierres, en une musique effrayante. Jonas en soulève certaines, se heurte à d’autres, impossibles à déloger. Il continue malgré tout, décalant sa visée. Cela fait quinze minutes qu’il y est. Peut-être même trente. Et l’orifice obtenu ressemble à peine à l’ouverture d’un terrier de lapin. De blaireau éventuellement. Mais quelle alternative ? Alors il creuse encore.


 


Jeanne est fatiguée. Du haut de ses dix ans, elle pleure doucement dans la voiture, aux côtés d’Elliot qui s’est accroché à elle et de Nathan qui peste dans sa barbe. Mais elle ne leur prête aucune attention, elle ressasse les évènements de la nuit. Tout est de sa faute. Si elle n’avait pas bu tout ce soda, elle n’aurait pas eu envie de faire pipi trente minutes après s’être couchée. Et elle n’aurait pas vu l’homme entrer par la baie vitrée à l’arrière de la maison. Elle n’aurait pas crié. Cela n’aurait pas alerté Jonas, absorbé dans son jeu vidéo. Il n’aurait pas attrapé la belle sculpture en pierre noire des parents de Clarisse et Elliot. Et il ne l’aurait pas abattue sur la tête de l’intrus.


Maintenant, ils sont là, dans l’obscurité et le froid de la nuit, à enterrer un macchabée.


« C’est comme ça qu’il faut faire, quand on tue quelqu’un », a dit Jonas.


S’il le dit, cela doit être vrai. C’est lui le grand après tout. Mais Jeanne préfèrerait dormir dans son lit en cet instant et entendre les talons de Maman lorsqu’elle rentrerait en riant discrètement, avant de monter l’embrasser. Tout est de sa faute. Ses sanglots redoublent.


 


            Nathan en a marre des gémissements de Jeanne. Il en a marre des ordres de Jonas qui s’est pris pour le chef de la bande. Lui n’a aucune envie de se trouver là. Il l’avait dit qu’ils auraient simplement dû jeter le corps par-dessus le pont de Maisons-Laffitte. Ils auraient alors juste eu à le balancer et à rentrer chez eux avant que les parents ne reviennent. Soi-disant que cela aurait été trop visible. Du coup, maintenant ils sont là, dans cette forêt lugubre, à attendre que Jonas creuse son trou pour y enterrer le braqueur. Tant mieux qu’il soit mort. Nathan ne voit pas en quoi c’est un problème. Si ça n’avait pas été lui, ça aurait été l’un d’eux. Légitime défense. Voilà tout.


— Mais tu vas finir par la fermer ! crie-t-il à Jeanne, lassé de ses lamentations pitoyables.


Un silence s’installe un instant. Juste un instant. Puis Jeanne sanglote de plus belle, rejointe par Elliot dans sa sérénade.


— Je veux Maman ! se plaint-il.


— Oh et puis merde, lance Nathan, avant d’ouvrir la portière et de sortir du véhicule, je vais prendre l’air.


 


            Clarisse s’est suffisamment éloignée pour ne plus entendre les coups de la pelle heurtant les pierres. Chacun des bruits lui rappelle celui violent d’un crâne qui se brise, puis celui du choc sourd d’un homme qui s’écroule sur le sol. Le cri de Jeanne l'a réveillée et elle est descendue voir ce qu’il se passait. Juste à temps pour observer le crime de Jonas. Juste à temps pour voir le sang s’écouler de l’occiput défoncé de l’individu. Cette image resterait à jamais gravée dans sa mémoire. Comme celle du liquide rouge et visqueux qu’elle s’est efforcée d’éponger pendant que Jonas et Nathan trainaient le corps par la baie vitrée. Tout ce sang… Elle frotte ses mains sur sa chemise de nuit, pour en effacer les traces invisibles. Elles demeureront imprimées dans son esprit, quoi qu’il arrive.


            Un froissement régulier alerte Clarisse qui retient sa respiration. Elle se cache derrière un arbre en se montrant le plus discrète possible. Ses doigts posés contre le tronc, elle jurerait y percevoir un battement… Le sien probablement.


— Clarisse ? appelle la voix inquiète de Nathan.


— Ah c’est toi… fait-elle en sortant de sa planque, qu’est-ce que tu fais là ? Jonas a fini ?


— Non, bien sûr que non, il n’aura jamais fini… peste-t-il, on aurait dû…


— Allons, Nathan, tu sais bien que ça n’aurait pas été possible ! Déjà pour monter le corps jusqu’à la voiture, il a fallu qu’on s’y mette à trois… Nous n’aurions jamais pu le soulever par-dessus un pont !


Nathan se renfrogne en ronchonnant dans sa barbe. Il sait qu’elle a raison, mais ne l’admet pas. Râler, c’est bien tout ce qu’il peut faire. Quand Jeanne l’a secoué pour le réveiller cette nuit, en lui disant qu’un homme était mort, il ne l’a pas crue, bien sûr. Il s'est tout de même levé, devant son air affolé et l’a suivie jusqu’au salon. Il s'est figé en apercevant Jonas, sa statuette ensanglantée à la main, fronçant les sourcils devant un corps inerte qui pissait le sang. Un mort. Dans le salon. Lorsque Jonas a remarqué Nathan, ses yeux se sont éclairés d’une lueur d’espoir et il a commencé à distribuer ses instructions. Tous l'ont écouté sans broncher… Que pouvaient-ils faire d’autre ?


Un ronronnement s’élève au loin.


— Tu entends ? demande Nathan.


Clarisse fait oui de la tête. Elle regarde en direction du bruit et aperçoit bientôt des lumières qui transparaissent par intermittence à travers la forêt. Une voiture approche.


— Il n’y a pas d’autre route que celle qu’on a empruntée… constate Nathan.


Clarisse le sait. Elle est déjà livide à l’idée du cauchemar qui se poursuit. Les phares éclairent entre les arbres, suivant le chemin qui mènera inévitablement le véhicule jusqu’à eux. Qui peut bien venir dans une forêt en pleine nuit ? À part une bande d’enfants ayant tué un homme, bien sûr.


— Il faut prévenir Jonas, décide-t-elle et Nathan ne la contredit pas.


 


            Jonas n’a pas avancé d’un centimètre depuis au moins quinze minutes, il en est sûr. La lampe torche dont il se saisit lui confirme ses soupçons. Il a déblayé un maximum de cailloux, mais s’est finalement heurté aux racines de l’arbre sous lequel il a choisi d’enterrer sa victime. Quelle idée de creuser là ? C’était une idée de merde. Comme toutes les idées qu’il avait eues depuis le début de la soirée. Il n’aurait jamais dû accepter de garder les gosses déjà. Il s'est dit qu’il pourrait ainsi jouer tranquillement, mais ça non plus il n’aurait pas dû. S’il n’avait pas tué virtuellement des hommes des heures durant, peut-être n’aurait-il pas eu le réflexe d’attraper cette statue de malheur pour assommer l’intrus qui a fait hurler Jeanne. Le temps qu’il réalise son geste, tous les gamins étaient réveillés. Quel piètre gardien il faisait ! Il ne voulait pas que ses parents voient ça. Pas après toutes leurs remontrances sur les jeux violents devant lesquels il passe son temps. Il fallait se débarrasser du corps d’abord et l’arrivée de Nathan lui a donné une idée. Ils le porteraient tous les deux jusqu’à la voiture, iraient l’enterrer dans la forêt et reviendraient avant que les parents ne rentrent. Ils auraient laissé Clarisse et les petits s’il n’avait pas tant galéré à le hisser dans le coffre. Ils ont eu besoin d’elle. Et il n’était pas question que les gosses restent tout seuls à la maison après ça. Alors, les emmener a paru une bonne idée, ou du moins, la moins pire. Pourtant, à présent, ils pleurent dans la bagnole. Que fout Nathan ?


            Jonas jette sa pelle de dépit, s’essuie le front d’un revers de manche, saisit sa lampe torche et se dirige vers la voiture. Il découvre Jeanne et Elliot en larmes, dans les bras l’un de l’autre. Seuls.


— Où est Nathan ? demande-t-il, plus sèchement qu’il ne l’aurait souhaité.


— P…pa…r…ti…i… i, sanglote Jeanne en pointant la forêt.


            Quel abruti…


— Je veux Maman… réclame Elliot en chouinant.


— Allez, c’est bon, calmez-vous, tout va s’arranger.


Il ne voit pas bien comment et regarde les gamins, impuissant à les rassurer. Puis il entend des pas qui courent en leur direction. Il contourne la trois cent huit pour découvrir Clarisse et Nathan.


— Putain, t’étais où ? crie Jonas à son frère.


— Une voiture arrive, répond Nathan.


— Fait chier…


— Je veux Maman, signale Elliot en serrant un peu plus Jeanne contre lui, qui sanglote toujours.


— Oui, oui, Elliot, attends, s’impatiente Clarisse, avant d’ajouter à l’intention de Jonas : bon, qu’est-ce qu’on fait ?


Jonas ne dit rien. Il pince les lèvres de désarroi alors que Jeanne continue de pleurer.


— Je veux maman ! insiste Elliot en chougnant également.


— Tais-toi Elliot ! lui balance Nathan, on aurait dû le jeter du haut d’un pont, on n’en serait pas là.


Les larmes d’Elliot redoublent.


— Mais non, il ne parle pas pour toi, le rassure Clarisse en fusillant Nathan du regard.


— Eh bien, trouve une solution, toi, puisque t’es si malin ! braille Jonas à son frère.


La voiture se rapproche ; on entend à présent clairement le bruit de son moteur et des changements de vitesse. Jeanne pleure de plus en plus fort.


— Arrêtez de vous disputer ! ordonne Clarisse, vous voyez bien que ça perturbe les petits !


— Mais ils sont déjà perturbés les petits ! Ils ont assisté au meurtre d’un mec, putain ! Et maintenant, ils sont là à attendre qu’on l’enterre ! Tu crois que c’est en se parlant gentiment qu’ils vont arrêter de chialer ? explose Jonas.


— Je veux Maman ! crie Elliot à s’en fendre les poumons.


— La ferme Elliot ! aboie Nathan.


Clarisse prend son petit frère dans ses bras et Jeanne enfonce sa tête dans le ventre de la jeune fille pour étouffer ses sanglots. La voiture ne se trouve plus qu’à quelques centaines de mètres, encore un virage et elle apercevra la trois cent huit et les gamins au bord de la route.


— Ça suffit ! Que tout le monde se taise maintenant ! Tâchons au moins de faire bonne figure.


Jonas se place devant le cadavre pour tenter de le camoufler et éteint sa lampe torche. Nathan croise les bras et soupire de dédain, mais le rejoint quand même. Clarisse serre Jeanne contre elle pour l’encourager à la suivre jusqu’aux garçons. Ils sont à présent tous les cinq alignés, comme des ronds de flan et attendent le couperet, immobiles. Seuls les sanglots de Jeanne et les soubresauts d’Elliot brisent le silence qui les entoure.


La voiture arrive. Ses feux éclairent la route à quelques arbres de là, qui les camouflent sommairement. Si l’on y prête attention, il n’y a aucune chance de les louper. Jonas a avancé la trois cent huit au plus loin qu’il pouvait, mais la forêt est trop dense pour qu’il puisse s’y enfoncer plus. Alors, du sentier, on ne peut pas la manquer.


Le véhicule ralentit en passant devant eux, un visage les scrute à travers la vitre. Puis, il continue sa route sans s’arrêter. Les feux n’éclairent plus le chemin, le bruit de moteur décroit jusqu’au virage suivant. Jonas attend, sans bouger, redoutant un demi-tour, mais rien ne se passe. Il expire enfin.


Jeanne pleure toujours contre Clarisse. Cette dernière berce tendrement Elliot qui se blottit contre son cou.


— Et maintenant ? demande Nathan.


Jonas n’en sait rien. Il ne croit pas à leur chance, si l’on peut l’appeler ainsi. Mais même s’ils s’en sont sortis sur ce coup-là, le corps est loin d’être enterré. Même s’ils réussissent à s’en débarrasser, ils ne rentreront probablement pas avant leurs parents. Et même s’ils réalisent cet exploit, le coffre de la voiture gardera certainement des traces de leurs méfaits, malgré le drap avec lequel ils avaient pris soin de le protéger.


 


            Jeanne ne pleure plus. C’est ce qui alerte Nathan. Ses sanglots se sont arrêtés et elle fixe maintenant quelque chose derrière eux d’un air ahuri. Nathan se retourne :


— Putain, qu’est-ce que… ? commence-t-il.


Les autres observent à leur tour. Là où reposait le mort, quelques minutes auparavant, ne réside plus qu’un amas de terre et de racines.


— Tu avais terminé d’enterrer le corps, Jonas ? demande Clarisse sans y croire.


Il secoue la tête. Il rallume sa lampe torche et dirige son faisceau sur le tas nouvellement formé. Aucun doute possible : le macchabée est dessous. Un mouvement dans la lumière les fait reculer d’un bond. Les racines viennent de bouger. Jonas pince les lèvres en observant la zone. Clarisse retient son cri pour ne pas alerter Elliot qui s’est finalement calmé dans son cou. Nathan se frotte les yeux, incrédule. Jeanne, enfin, exprime tout haut ce que tout le monde pense, mais n’ose formuler :


— C’est l’arbre qui… c’est l’arbre qui l’a enterré.




Chapitre 2: J+O, par MadBlackHands

« Ooh, you make me liiiiiive


Whatever this world can give to me


It’s youuuu, you’re all I seeeee »


Jo tape mollement le rythme des basses sur le cuir de son volant, c’est la seule chose qui le tient encore éveillé à cette heure tardive.


Il roule.


Depuis une poignée de minutes maintenant. Sur la route, personne derrière lui ni en face ; ses pleins phares noient le goudron de lumière, et il se réjouit de ne pas avoir à les éteindre à chaque croisement. Parfois, un nid de poule fait tressauter sa radio et ça le fait bien marrer Jo, quand la voix du chanteur se perd en grésillement, ça lui laisse le temps de réinventer des paroles qu’il oublie, de toute façon, à chaque fois.


« Ooh, you make me li---ve, honey »


 Les bois autour de lui s’éclairent progressivement, ils découpent un décor obscur à sa petite virée nocturne. Cette bonne vieille Martha ne s’en remettrait pas si elle apprenait où Jo s’apprêtait à cacher sa boîte à bijoux, durement volée ! Tout le village déteste la forêt ! Mais pas Jo. Ce p’tit coin de verdure, c’est son coffre au trésor, c’est là où il aime enterrer les fruits de ses larcins.


La cleptomanie est un trouble psychique qui se caractérise par une obsession à voler des objets.


Rien pour changer sa routine à ce bon vieux Jo.


Rien pour l’inquiéter.


Sauf les quatre gamins qu’il vient de croiser sur le bord de la route.


Alignés sagement sur le bas-côté, à peine visibles entre les arbres, ils avaient dévisagé Jo, la mine atterrée et blafarde. Le garde-forestier eut à peine le temps de les entrapercevoir qu’il tournait déjà dans un nouveau virage, les yeux brûlants et la bouche pâteuse. Une apparition ? Encore un tour de son imagination ? Que font-ils à une heure pareille, sur le bord de ma route, et autour de mon arbre ! ‘Sont pas censés dormir à c’t’heure-ci les gosses ?


Jo peste dans sa barbe, contraint de s’arrêter quelques mètres plus loin. Ce décalage lui bouscule son programme toujours parfaitement calibré, n’empêche que gamins ou pas, il doit absolument se débarrasser de son chapardage. Mais ça l’ennuie de ne pas le faire comme d’habitude. Vraiment.


« You’re my sun---shine


And I want you to know »


Il se gare lui aussi dans un chemin à la dérobée, suffisamment loin pour ne pas être repéré depuis la route. Par chance, sa voiture se fond bien plus dans le décor, et lui, il a son permis. Il éteint ses phares, allume sa lampe frontale, enfile ses gants, attrape sa pelle, sa pioche, son butin, et saute de la caisse. A défaut de pouvoir – comme d’habitude, bordel – creuser au pied de son arbre, le vieil homme furète entre les nouvelles cimes qui s’offrent à lui. Trop grand. Trop fin. Trop dur. Puis pas assez ceci ! Et encore moins cela ! Ses mains s’agrippent à la boîte de Martha comme s’il cherchait à garder une certaine contenance. Jo s’agace toujours trop vite, ses voisins le lui rappellent à chaque fois qu’ils en ont l’occasion.


L'anxiété peut créer des sentiments envahissants de peur, d'inquiétude et de crainte.


Les minutes défilent, il doit creuser son trou, peu importe l’arbre choisi désormais. Jo jette son dévolu sur un chêne commun et, à contrecœur, commence sa pénible entreprise. Il sait y faire, ça c’est certain, à la moindre difficulté, il sort sa pioche et élimine les plus grosses résistances à sa quête ; si bien qu’au bout de quelques pelletés, le petit puits ouvre sa bouche béante à son créateur. Plus qu’à y plonger le coffre et faire demi-tour !


Presque rien ne change de sa routine finalement.


Sauf que ce n’est toujours pas son arbre.


Le pauvre chêne subit un coup d’œil lassé, dans lequel brille un soupçon de colère, mais Jo n’a pas le choix. Il glisse son trésor à l’intérieur de la terre molle puis referme le tout. Il n’est pas satisfait, tant pis.


Ses outils retrouvent bien vite leur place sur le siège passager du pick-up, et le conducteur, derrière son volant, ne prend même pas la peine de retirer ses gants pleins de poussière, perdu dans la contemplation des pédales.


Hors de question de laisser son arbre aux mains de petits voyous incapables de faire les choses discrètement ! Jo s’extirpe en trombe de sa voiture, bien décidé à demander des explications à ce groupe de jeunes vandales. Il connaît la forêt comme sa poche, les retrouver ne devrait donc pas poser problème.


« Whenever this world is cru---el to me


I got you to h---elp me forgive »


Un faisceau de lumière perdu sur le sol capte aussitôt son attention dans le lointain, il accélère le pas, les poings enfoncés dans ses poches. Arrivé nez à nez avec une lampe torche abandonnée au pied de son arbre, Jo relève enfin les yeux.


Le silence de mort qui pèse sur les lieux lui vrille les entrailles.


« Ooh you make me live »


La 308 gisait là, cloporte de métal au cœur de l’obscurité, sans personne pour la conduire, où même pour la surveiller.


Personne.


« When things turn out bad


You know I’ll never be lonely »


-          Y’a quelqu’un ? tente Jo, avant de se baisser pour ramasser ladite lampe torche, sortez de votre cachette les jeunes, je vous promets que vous n’aurez pas d’problème.


Toujours personne.


Si ce n’est un bref mouvement à l’intérieur de la voiture noire. Jo dirige son rayon de lumière vers cet imperceptible tressaillement tout en s’approchant vers l’objet de sa colère, pourtant, la petite tête aperçue ne refait pas surface. Il en vient à toquer contre la vitre arrière, juste avant de braquer la lampe sur la banquette du véhicule. Et c’est là qu’il les voit. Recroquevillés sur eux-mêmes, planqués au pied des sièges, tous les deux tétanisés, les yeux rivés sur le nouvel arrivant. Jo constate alors que la portière n’est pas verrouillée, il lui suffit donc d’actionner la poignée pour enfin mettre un terme à cette affreuse aphonie.


-          Qu’est-ce qui vous arrive les morveux ? ‘Sont passés où vos p’tits copains ?


L’amitié est un sentiment d'affection, de sympathie qu'une personne porte à une autre.


Les deux enfants le scrutent, les lèvres tremblantes, cramponnés l’un à l’autre. A vue de nez, Jo ne leur donne pas plus de dix ans, voire beaucoup moins pour le garçon. Sa main libre vient gratter sa barbe d’un geste pensif, il n’a jamais été très doué avec les « morveux ». Il commence par détourner la lueur aveuglante de sa torche, puis entame avec le ton le plus rassurant qu’il a en stock.


-          Comment vous vous appelez ?


-          Jeanne, balbutie la toute petite fille – qui semble encore plus petite en cet instant – et lui c’est Elliot.


Jo opine du chef. Le voilà bien avancé. Il tourne sur lui-même, comme pour vérifier s’il n’y avait personne d’autre de planqué dans les fourrés. Son attention finit inéluctablement par retomber sur ses deux interlocuteurs.


-          Qu’est-ce qui vous est arrivé ? Où sont vos putains d’autres camarades !


Si sa voix vire au brusque, Jeanne ne détourne pas les yeux du grand type qui lui fait face. Elle tremble à la fin de sa phrase, mais reste accrochée à ce type. A cet adulte. Responsable et bien plus capable de gérer la situation.


« I’m happy at hom---e »


La pauvre jeune fille, sans lâcher Elliot une seule seconde, parvient à dégager un de ses bras de leur étreinte désespérée pour venir pointer du doigt l’arbre juste derrière le garde forestier. L’arbre de Jo. Et alors que ce dernier fait enfin volte-face pour le contempler, la gamine ouvre la bouche, encore humide de larmes.


-          On a fait une bêtise. Une grosse bêtise. Et… Et Jonas… Jonas a voulu creuser un trou ici… Sauf que Nathan voulait le jeter du haut du pont… Alors que Clarisse… Elle voulait juste…


Jo ne suivait déjà plus le fil de l’histoire. D’abord, parce qu’il ne comprend rien aux jérémiades de Jeanne – sans pour autant faire beaucoup d’efforts pour inverser la tendance – mais surtout parce qu’une toute autre chose captive sa concentration.


Sur le tronc de son arbre, là où l’écorce dénude un peu le bois, il s’écrase contre un souvenir. Un « J+O », inscription trop tendre pour être supprimée par le temps, reluit dans les étincelles de sa loupiote. Jo sourit. Ce genre de sourire amer qui rouvre des plaies anciennes.


Olivia.


C’est son arbre. Le leur.


Jusqu’à ce qu’elle disparaisse en forêt, un soir d’hiver.


-          L’arbre a avalé le monsieur ! Enfin non… Il l’a mis dans le trou ! Et puis, et puis, et puis… Ils se sont tous les trois approchés, pour voir. Mais l’arbre les a avalés aussi ! Ils ont disparu ! Clarisse, Nathan et Jonas, tous les trois ! Ils sont sous l’arbre maintenant ! Je veux ma maman…


Le récit de Jeanne s’étouffe dans une nouvelle salve de sanglots, ce qui a pour effet de reconnecter Jo à la réalité. Il ne peut s’empêcher de retenir un juron.


Ça a recommencé.


Sans vraiment savoir comment rassurer les deux enfants, le type se gratte derechef la barbe, le regard évasif.


-          Bon… Les morveux… Surtout vous ne bougez pas d’ici. Je vais aller les chercher ces Clara, Nathaniel et compagnie, pas d’inquiétude, vous êtes plus ou moins en sécurité ici.


Elliot renifle de la façon la plus bruyante et immonde qui soit.


-          Je reviens vite.


Sur ces brèves paroles, Jo claque la porte de la 308 et n’a même pas le temps de voir les deux petites têtes se coller à la vitre, déjà en route vers le tronc de l’arbre.


En tête à tête avec le géant végétal, Jo se sent tout petit, presque autant que Jeanne et Elliot, restés sagement dans la voiture. Il constate rapidement que l’arbre semble surélevé, créant une petite cavité entre ses racines et le sol.


Et au fond de cette minuscule grotte, il les surprend, ces deux petits points lumineux qui brillent d’un drôle d’éclat. Comme deux yeux assoiffés dans les ténèbres. Un soupir gras vient lui percer les tympans, juste avant de s’évanouir dans le vent. Pourtant Jo, à l’inverse de Jeanne, ne frémit pas d’un pouce.


Des cris résonnent sous terre.


Jo passe une main distraite sur la gravure d’une époque révolue, saisit une racine de l’arbre dépassant de la mélasse et fait une prière. A quel dieu, il ne sait pas vraiment, mais en cet instant même, il y croit dur comme fer.


La souche chauffe sous ses doigts.


Aussitôt, l’arbre engloutit Jo dans un enchevêtrement de racines et il s’enfonce à son tour dans les profondeurs de la terre.


Elliott et Jeanne, tapis dans l’ombre, ont tout juste le temps de le voir disparaître entre les écorces que déjà, un nouveau mouvement se fait au pied du colosse de feuilles.


Ils ne peuvent retenir un dernier cri : le petit tas où devait reposer l’homme cambrioleur, celui-là même qu’ils ont accidentellement tué deux heures plus tôt, s’agite sous leurs yeux.


« Oh you’re my best friend oooooh


Ooh you make me live


Live, live, live


I’m happy at home ».




Chapitre 3: Pendant ce temps, par saule

         Laure éclate de rire à la blague de Bertrand, de concert avec les autres. Bon sang, ça fait du bien de se prendre une soirée comme ça, de temps en temps… Elle croise le regard de Marion, avec elle sur la banquette arrière, et elle sait qu’elles pensent pareil. Pourtant… Laure se tourne vers la fenêtre et soupire silencieusement. Combien de temps encore pour être à la maison ? Comment vont Clarisse et Elliot ? Oh, cinq minutes, tout au plus… Cinq minutes et elle les trouvera dormant dans la chambre où ils ont entassé des matelas pour que les enfants puissent dormir ensemble, de vrais petits anges… À moins que… Elle secoue la tête, riant de sa propre paranoïa. Qu’est-ce qui peut avoir mal tourné, hein ? Clarisse est grande, Jonas les surveille… Les arguments d’Adrien, quand elle parlait de payer quelqu’un pour les garder : « … et puis tu as vus combien ça coûte ? Lâche-les, un peu, qu’est-ce que tu veux qui leur arrive ? On les laisse à la maison, pas au fin fond de la jungle amazonienne ! » Et comme ils étaient tous les trois d’accord sur ce point, elle s’est rangée à leur avis. Même si quand même, la présence d’un adulte l’aurait rassurée. Mais bon. Ils ont sans doute raison, elle est trop protectrice. Il faut qu’elle lâche, un peu.


         Enfin, elle aperçoit la maison ! Bon les lumières sont éteintes, au moins, ils n’ont pas veillé jusque là. Ils ont été raisonnables, déjà ça de pris.


         Les pneus crissent sur les gravillons de l’allée, les phares éclairent la cour… Laure fronce les sourcils et son cœur donne un coup de marteau ; quelque chose ne va pas.


          — Tu as garé ta voiture ailleurs, Adrien ?


Elle sait bien que non, son mari le lui confirme.


— Arrête la voiture, Bertrand, ordonne Marion.


 


Bertrand obéit immédiatement –mais doucement quand même, il ne s’agirait par d’encastrer ses passagers dans le pare-brise… La portière derrière lui s’ouvre alors que le véhicule est encore sur son inertie, il tourne la tête et voit Marion qui saute de la voiture, sérieux elle ne pouvait pas attendre deux secondes c’est un coup à… Et voilà elle peste, elle a dû se tordre une cheville et tu vas voir que ça va lui retomber dessus en plus, il soupire.


La voiture est à peine stabilisée que Laure sort à son tour, avec la pondération d’un furet sous acide, sérieux mais quelles hystériques, elles croient quoi, que c’est à la seconde ?


Bertrand se tourne vers Adrien en quête de soutien mais ne voit que son dos pendant qu’il sort rejoindre les femmes.


La portière claque et Bertrand reste seul avec le ronron du moteur.


 


Marion manque de se casser la gueule en sortant de la voiture qui ralentit.


Mais quelle conne !


Mais quelle idée les talons aussi ! En grimaçant de sa cheville tordue, elle se précipite vers la porte d’entrée. Clavée ! Et putain, les autres qui lambinent… ! Y a urgence là ! Elle ôte à la hâte ses talons inconfortables qu’elle laisse tomber au sol et fait le tour de la maison en courant pour rejoindre la baie vitrée à l’arrière. Putains de gravillons mais quelle idée ! Les éclairages automatiques s’allument sur son passage. Qu’est-ce que… Elle s’arrête brutalement, dérape et manque de tomber encore. Elle fixe le sol. Elle s’accroupit pour ramasser un gravillon. Ensanglanté.


 


Laure est à peine descendue qu’elle voit Marion partir comme une folle à l’arrière de la maison. Elle-même court vers la porte d’entrée tout en fouillant son sac à la recherche des clés, elle trébuche et se rattrape in extrémis, mais elles sont où ces... Ah les voilà, elle agite le trousseau en l'air et appelle :


— Marion !


Mais Marion n'est plus là, bon ouvrir la porte, mais c'est laquelle la bonne ah la voilà, ses mains tremblent elle peine à l’introduire dans la serrure saloperie de… ah ! La porte s’ouvre et elle se rue à l’intérieur, allume la lumière du plat de la main. Elle se précipite à l’étage et ouvre la porte de la chambre, pitié faites que les enfants soient derrière… Non, les couvertures sont en désordre, les oreillers enfoncés, mais aucun gamin. N’y tenant plus, elle éclate en sanglot.


 


Adrien a suivi Laure, il la voit courir dans l’escalier quand il entre. Bon, soyons méthodique, il dépasse l’escalier et illumine la salle à manger, qu’il scrute à la recherche d’un indice. Miettes de chips, cannettes de soda en déshérence… Rien d’anormal –enfin, pour une maison laissée à des enfants seuls pendant toute une soirée.


— Venez voir !


Marion, dans le salon. Les sourcils froncés, Adrien traverse le capharnaüm pour la rejoindre. Le salon est allumé. Marion, les traits exorbités, lui montre le sol. Adrien regarde et se fige. Qu’est-ce que… Sur le carrelage blanc, des traînées rouges grossièrement essuyées, qui virent au brun. Que…


— C’est du sang, appuie Marion.


— Du sang ? Comment ça du sang ?


La voix vacillante de Laure dans son dos. Il se retourne. Elle est appuyée au mur, pâle comme un masque de théâtre no.


— Le sang de qui ?


— Je ne sais pas, dit Adrien, il ne trouve rien d’autre à dire.


— Tu ne sais pas ?


Laure le regarde comme s’il venait de la trahir. Il secoue la tête d’impuissance. Que répondre ?


— Putain Adrien mais dis-moi ce qui s’est passééééé !


 


— Fermez-la !


C’est tout ce que Marion trouve à dire pour calmer Laure qui perd ses nerfs et réveiller Adrien qui a un regard de vache affolée. Les yeux de Laure se rivent sur elle.


— Oh, toi, la ferme ! C’est ton fils qui était censé garder tout le bazar, non ? Regarde ce qu’il a fait ce petit con… !


Marion la gifle à la volée.


— Tu n’insulte pas mon fils !


Non mais elle se prend pour qui c’te salope ? Laure rougit violemment et lève le poing pour riposter. Qu’elle y vienne non mais…


— Mais ça va pas la tête ?


Adrien s’est mis entre elles, bras écartés pour les séparer.


— Vous croyez pas qu’on a autre chose à faire que se foutre sur la gueule ?


— Quoi par exemple ?! explose Laure. T’as des idées Monsieur Je-sais-tout-J’en-sais-rien ? 


La vache affolée, le retour. Putain, elle arrivera à rien avec eux. Elle va pour quitter la pièce.


— Heu… Ben… Appeler la police, répond Adrien.


Marion se retourne d’un bloc. Putain les mecs tous les mêmes : ça fait genre « je gère t’inquiète pas » mais au moindre pépin ça appelle à l’aide. Mais le visage de Laure s’est illuminé et elle sort son téléphone.


— Tu as raison, ils sauront quoi faire.


Non…


— Mais vous êtes cons ou quoi ?


Deux paires d’yeux outrés se lèvent sur elle.


— On sait pas ce qui s’est passé ici. Si ça se trouve, c’est nos gamins qui ont tué quelqu’un. 


Et tout d’un coup, elle ne sait pas trop pourquoi, ça lui semble être le plus probable. Elle répète :


— Nos gamins ont tué quelqu’un. Et vous voudriez leur mettre les flics sur le dos ? Vous voyez pas les ennuis en cascade ? 


Ils ne disent plus rien. Marion peut voir les rouages de leurs cerveaux s’activer. Putain, elle a réussi à les convaincre, ils… Laure rompt le silence :


— Si un de nos gamins a tué quelqu’un, c’est Jonas. Et il a mis mes enfants en danger pour camoufler son crime. Tout ce que je veux, c’est que... mes enfants... Il peut lui arriver n’importe quoi, j’appelle.


Marion lui arrache le téléphone des mains, le jette au sol et l’écrase d’un coup de talon. La douleur fulgure dans son pied nu et elle crie, ah, saleté d'écran ! Elle se met à cloche-pied pour retirer l'écharde de verre.


— Mais t’es folle ou quoi ? crie Laure.


— J’ai dit : on n’appelle pas les flics, grogne-t-elle. 


Ah, bon sang, il est où cet éclat ? Ah ! Elle le trouve, il est bien long et bien effilé le salaud, elle relève la tête, derrière l'écharde rouge ils la regardent tous les deux, comme s’ils hésitaient entre s’enfuir à toutes jambes ou lui sauter dessus pour lui faire la peau. Sa propre voix résonne dans sa tête : « on n’appelle pas les flics », « on n’appelle… »


— Oh putain !


Elle lâche son pied et le tesson et sort son portable. Quelle cruche. Comment n’y ont-ils pas pensé avant ?


— Qu’est-ce que tu fous ? s’exclame Laure.


— J’appelle Jonas. 


Elle le colle à son oreille et la sonnerie d’attente lui vrille l’estomac. Elle marmonne :


— Allez, réponds, réponds !


— Allo, oui ?


La voix de Jonas !


— Jonas vous êtes où putain ? s’étrangle-t-elle.


Silence. Puis :


— Nan, en fait je suis pas là. Mais laissez-moi un message. BIP !


Elle regarde son téléphone, au bord du sanglot nerveux. Mais quel…


— Mais quel petit con !


Elle jette l’appareil contre le mur et il s’y fracasse, bien fait pour lui à ce sale petit…


— Mais quelle idioooote !


Elle a crié, et les deux autres qui la regardent comme si elle était la dernière des tarées… Elle part en courant vers la porte d’entrée.


 


Bertrand n’aime pas laisser sa voiture n’importe comment. Alors il sort fermer les portières arrière –sérieux ça aurait pris tant de temps que ça ?– et il la gare correctement avant de couper le moteur. Voilà.


Il regarde la maison. Ils sont déjà trois à l’intérieur, alors un de plus ça ne rimerait pas à grand-chose. Les alentours par contre… Bertrand sort de sa Dacia, qu’il prend le temps de verrouiller, ça ne mange pas de pain. Bon, par où commencer ?


Un hurlement à l’intérieur de la maison, des voix féminines hystériques qui montent dans les tours, sérieux les voilà qui s’engueulent, non mais ça rime à quoi ?


Il soupire et son regard tombe sur l’endroit où était garée la 308 d’Adrien au moment de partir. Sérieux Jonas, t’as fichu quoi encore ? C’est quand même pas croyable ça !


Soudain, la porte d’entrée s’ouvre à la volée et Marion débaroule vers la voiture.


— La clé, Bertrand !


 


Bertrand la regarde d’un air bovin, putain ça lui manquait ça, mais quel incapable ce type, qu’est-ce qui lui a pris de l’épouser ?


— La clé ! Allez hop en voiture !


Elle ponctue l’ordre d’une bonne claque sur la carrosserie et Bertrand se réveille enfin, il ouvre la voiture. Elle prend le siège conducteur et tend la main :


— Donne la clé, passager pour toi. 


Il obéit avec une lenteur exaspérante, elle lui arrache la clé des mains et elle tourne le contact. 


— Grouille.


Elle est tentée de partir sans lui tellement il la ralentit mais un élan de loyauté la retient : c’est le père de ses enfants quand même –puis il pourrait être utile. Elle prend donc son mal en patience le temps qu’il fasse le tour de la Dacia et s’asseye puis elle enlève le frein à main, enfonce l’embrayage et passe la première. La portière claque et elle appuie sur l’accélérateur. Les pneus crissent sur le gravier, la voiture proteste contre la ceinture que Bertrand n’a pas encore mise. Il la fait enfin taire alors qu’ils sont déjà sur la route.


— Sérieux, c’est quoi ce bazar ? Que font Adrien et Laure ? Où sont les gosses ? Tu nous amènes où là ?


Sa voix monte dans les aiguës. Elle est tentée de l’envoyer paître mais se ravise et lui explique. Si elle connaît encore ses fils, elle sait exactement où ils sont.


 


La fatigue a fini par vaincre Elliot, qui est tombé dans un sommeil agité. Jeanne se mâchouille la lèvre. Ça fait longtemps que le monsieur est parti, ça fait… oh, au moins trois heures ! À travers la vitre, elle regarde le petit tas de terre, qui n’a pas bougé depuis. L’arbre l’a mangé lui aussi et elle ne croit pas qu’il reviendra. Elle ne le reverra plus jamais, comme elle ne reverra plus jamais ses frères et Clarisse et ça fait un vide là dans son ventre et en plus tout est sa faute… Elle renifle pour chasser un sanglot, il ne faut pas qu’elle pleure pas là pas maintenant…


Elle secoue la tête. Non. Il a dit qu’il les ramenait. Il a dit qu’il allait les chercher et qu’il revenait avec Jonas et Nathan et Clarisse, il l’a dit. Il va revenir, c’est juste une question de temps.


Soudain, le monde s’illumine, une lumière forte et blanche qui bouge, Jeanne se redresse et colle son visage à la vitre latérale. Des phares. Qui viennent vers eux.


 




Chapitre 4: I'm happy at home, par MathieuScernain

« Qu’est-ce qui s’est passé ? »


Clarisse se relève dans une obscurité quasi-totale. Où sont les autres ? La voiture ? La forêt ?


À tâtons, elle sent de solides parois terreuses qui l’entourent. Une caverne ? Instinctivement, elle se touche le crâne, puis le reste du corps pour identifier d’éventuelles blessures. Elle est indemne. Mais comment a-t-elle atterri ici ? Puis des images surgissent par fragments. L’arbre et ses racines tentaculaires qui ont pris vie, le sol qui s’est dérobé, la panique de ses amis, puis le noir.


« Jonas ! Nathan ! »


Quelques secondes de battement se resserrent sur sa poitrine tandis que le silence la vêt d’un inquiétant manteau de solitude.


« Clarisse ?! Par ici ! »


Soulagée, elle reconnaît la voix du plus jeune des garçons au loin et perçoit une fébrile lueur qui s’enfonce dans un tunnel. Trop heureuse de l’entendre, elle court dans cette direction et sent que chaque pas la ravive un peu plus. La source d’éclairage s’étend jusqu’à inonder les environs, et ce qu’elle voit lui coupe le souffle.


Des excroissances végétales par centaines qui composent les fondations jusqu’au plafond de l’imposante pièce circulaire où elle se trouve. Des membres grouillants, pareils à une colonie d’insectes qui se déplacent en permanence tout en faisant corps, alors qu’un étrange cliquetis donne l’impression de chuchotements complices entre chaque composant de cet organisme surnaturel. Et au centre, elle découvre Nathan à côté d’un cocon en bois translucide qui entoure un orbe, la source lumineuse qui habille les alentours.


Clarisse envisage un instant de serrer son ami dans ses bras, mais celui-ci ne lui prête aucune attention, absorbé par l’une des parois de cet extraordinaire terrier. Elle suit son regard, et prend la couleur de l’effroi.


Suspendu tel un crucifié avec ses vêtements déchiquetés, couvert de sang avec les bras et les jambes fermement emprisonnés par un mélange de lianes et de branchages, Jonas est là.


« Oh mon Dieu ! Est-ce qu’il est… »


 


Jonas se sent étrange. L’impression de flotter dans un océan cotonneux alors qu’une partie de ses membres le démange terriblement. Pourtant, il reste dans une position curieuse, incapable de bouger jusqu’au petit doigt.


« Nathan ? Clarisse ? »


Il scrute l’horizon, mais n’aperçoit rien. Il n’y a que d’infimes variations nuageuses aux couleurs délavées. Un peu de rose, d’azur et du vert qui crayonnent un paysage évanescent.


« Qu’est-ce que… ? »


Une forme humaine apparaît devant lui, maintenue tel un pantin de bois à l’aide de fil. Il doute un instant, mais cet accoutrement, cette stature, il s’agit bien de l’homme qu’il a tué.


« Meurtrier… »


Une voix spectrale de femme résonne soudain dans son crâne tandis que l’image du cadavre s’intensifie dans sa laideur la plus crue jusqu’à lui donner l’impression d’être recouvert d’immondices.


« Stop ! Arrêtez ! »


La lugubre silhouette en décomposition s’efface et soudain, il n’y a plus que les teintes pastel. Jonas tente inutilement de se libérer. Pensant que ses arguments pourraient calmer son invisible ravisseuse, il s’empresse de poursuivre :


« C’est faux ! C’était un accident ! Je voulais juste défendre mes… »


Il n’a pas le temps d’en rajouter que les picotements à chaque extrémité de son épiderme décuplent d’intensité et le font hurler. Il tremble, pris de convulsions suffocantes avec son corps au supplice. Ce calvaire le parcourt durant de longues secondes puis, plus rien. Le néant, et ses sanglots qui tapissent en toile de fond.


Pour la première fois depuis des années, il souhaiterait que sa mère soit présente.


 


« Nous devons faire quelque chose ! »


Clarisse acquiesce, sans savoir quoi proposer tandis que Nathan tente de joindre les actes  à la parole en cherchant de tous côtés une solution. Il ne parvient pas à calmer son agitation, ayant remarqué que les tortures exercées à l’encontre de son frère s’aggravent. Jonas devient diaphane à vue d’œil. 


Il se met à souhaiter l’impossible. Trouver des armes imaginaires, n’importe quoi pour lui permettre d’éradiquer cette création du diable.


« Je ne comprends pas ce mot que l’arbre a soupiré…  Tu l’as entendu ? Peut-être que nous devrions lui parler ? »


« Conneries ! Il est en train de se faire pomper tout son sang par ce gigantesque parasite ! Bordel, si on avait juste jeté ce foutu corps par-dessus le pont, ou même lui avoir mis le feu… »


Une illumination vient au jeune homme qui fouille dans ses poches. Il a toujours un briquet sur lui. Il hasarde son attention sur les parois et repère une branche de bonne taille qui semble moins robuste que les autres et se jette dessus.


« Qu’est-ce que tu fais ?! »


« Je vais nous concocter un feu de joie pour enfumer cette saloperie ! »


Surexcité par sa trouvaille, il n’écoute pas le grondement qui résonne en réponse à son assaut. Concentré, il ne recule pas, s’acharne, même s’il remarque que les racines alentours se déplacent différemment. Rien à foutre du danger, il ne laissera pas tomber son frère.


Il tire, grogne, force, jure, sent que ses muscles atteignent leurs limites, mais parvient enfin à arracher ce modeste trophée.


« Attention ! »


Le garçon n’a pas le temps de crier victoire qu’il est saisi par les chevilles et décolle dans les airs. Il se débat, mais ne sait pas où porter les coups tandis que l’emprise gagne en puissance. Plein de rage, il perçoit cette même colère qui transpire par tous les membres de l’arbre qui l’immobilisent peu à peu. Cette fureur végétale est telle que sa hargne s’atrophie instantanément tandis qu’une nuée de piqûres le pénètrent le long des bras et des jambes. Il est fichu.


 


Clarisse croise le regard terrorisé de Nathan. Il ne reste qu’elle, abattue, incapable de trouver une idée. Elle commence même à reculer devant ce spectacle de martyrs, consciente que sa vie est tout autant menacée.


« Relâchez-les ! Pourquoi faites-vous ça ?! »


« Meurtrier ! »


Elle comprend enfin ce mot caverneux qui la tétanise. L’arbre sait, et souhaite les punir. Des dizaines de pensées contradictoires se chevauchent à l’intérieur de son crâne. Elle vient de franchir une nouvelle étape dans l’improbabilité du monde dans lequel elle vit et n’a clairement pas les connaissances pour se confronter à une telle situation. Elle a besoin d’aide, d’un adulte, n’importe qui.


Ses yeux s’éclaircissent lorsqu’elle entend la voix d’un homme en réponse à ses prières.


 


 


"You're my sunshine


And I want you to know


Jo atterrit et lâche un puissant râle contrarié. Il a beau être venu plus d’une fois dans les bas-fonds de cet arbre, il ne s’habituera jamais à cette entrée rocambolesque. Il dégaine sa lampe frontale et repère au loin une ombre qui accourt tout en agitant les bras. La mission de sauvetage sera peut-être plus rapide que prévu.


« Au secours ! Mes amis… ont été capturés par… Des plantes… Elles parlent… Je ne sais pas… J’ai besoin d’aide ! »


Il la dévisage tandis qu’elle piétine. L’adrénaline va finir par lui déclencher un malaise.


Sales mioches qui n’ont pas pu s’empêcher de venir fouiner trop près de son arbre. Parmi les milliers de présents dans cette foutue forêt, pourquoi a-t-il fallu que vous choisissiez celui-ci ?


Il pensait pourtant avoir refroidi l’ardeur des garnements de la ville qui rôdaient souvent dans le coin en retrouvant les parents d’une partie d’entre eux afin de s’assurer qu’ils se fassent passer un savon. Il avait suffi de jouer sur la fibre maternelle en mentant sur la présence possible de loups, et toutes les mères lui avaient juré qu’elles allaient enfermer leurs bouts de chou à triple tour.


Tous les coups sont bons pour empêcher des intrus d’approcher trop près de son magot, et d’Olivia.


Mais les adolescents trouvent toujours un moyen de se mettre dans la merde, apparemment.


Les réflexions de Jo sont interrompues par Clarisse qui le saisit par la manche et l’entraîne :


« Je vous en prie ! Le temps presse ! »


Un peu brusque, il se dégage.


« C’est bien la peine d’implorer, maintenant que le mal est fait. »


Il n’en dit pas plus et se met en route, tandis que Clarisse reste plantée sur place, incertaine de ce qu’elle vient d’entendre.


That my feelings are true


I really love you


Lorsque Jo pénètre au cœur de l’arbre, il constate que les parois racinaires sont plus agitées que d’habitude. Deux gamins sont accrochés comme des papillons. Elle les a bien domptés. L’un d’eux se débat encore mollement, tandis que le second est évanoui. Jo se pince la lèvre supérieure en les dévisageant. Il les reconnaît, et rouspète dans sa barbe sur ces chiards qui n’en font qu’à leur tête.


Mais il n’est pas là pour leur faire la leçon et constate qu’ils sont vraiment dans un sale état. Chaque seconde compte.


« Olivia, tu m’entends !? »


 


Clarisse se stoppe à l’énonciation de ce prénom, et doute.


« À qui… À qui est-ce que vous vous adressez ? »


« Ma femme. »


Le vieil homme énigmatique n’en dit pas plus et s’approche de l’orbe qui a pris une teinte rougeâtre. Clarisse hésite à s’approcher. Est-ce qu’elle est tombée sur un vagabond un peu dérangé qui poursuit des fantômes ?


« Cet arbre est votre femme ? »


Jo lui jette un regard agacé. Est-ce qu’il est vraiment nécessaire de fournir des explications, en plus de leur sauver la mise ?


« Ma femme a été tuée dans cette forêt, il y a longtemps. Elle aimait souvent s’y promener et a eu le malheur de croiser un… Une mauvaise personne. Je ne sais pas comment, mais son âme a depuis trouvé refuge ici. »


Jo pose sa main sur la carapace translucide du cœur étincelant et Clarisse remarque qu’une curieuse vibration embrasse tout son corps.


« Et vous… Pouvez faire quelque chose ? »


« J’ai réussi par le passé… Elle avait capturé un randonneur. »


Jo esquisse un rictus à ce souvenir, puis commence :


Ooh, you make me live


Whatever this world can give to me


It's you you're all I see


Ooh, you make me live now, honey


Ooh, you make me live


L’adolescente croit d’abord à une mauvaise blague en écoutant ces paroles à capella, puis constate que les liens autour de ses amis s’amollissent. Leurs visages perdent en crispation, et elle croit la partie gagnée.


« MEURTRIER ! »


Une pulsation magnétique jaillit de l’orbe et repousse Jo qui tombe à terre, désarçonné.


 


« Votre ami… Il… Il a tué quelqu’un. »


Jo n’avait jamais été rejeté ainsi par Olivia, et frissonne. Toute cette solitude, toute cette détresse partagée dans ce seul contact. Il ne peut s’empêcher de porter un regard accusateur sur Clarisse qui s’empresse de lui raconter cette horrible soirée dans le moindre détail. Sa voix tremblote, des larmes d’énervement coulent sur ses joues, tandis qu’elle se perd dans des détails incompréhensibles, épuisée. Elle veut juste que ce cauchemar s’arrête. Rentrer à la maison.


Il comprend, se laisse attendrir par cette veillée entre mômes qui a dégénéré à cause d’un imbécile qui a joué aux pickpockets. Un incident malheureux, mais cela n’a plus d’importance, maintenant.


L’animosité de l’arbre est telle… Et cette peur… C’est comme si Olivia revivait au contact de ce Jonas cette nuit où elle a été… Jamais elle ne les laissera repartir dans cet état d’instabilité. C’est cette soif aveugle de vengeance qui l’éloigne de l’épouvante, de ce souvenir immonde qui la ronge sans possibilité de trouver le repos.


Jo a l’impression de se réveiller soudain, et se hait à présent.


Il ne s’était jamais interrogé sur ses états d’âme. Et maintenant, ce choc en touchant l’esprit d’Olivia. Cette agonie silencieuse qui la cloître dans cette prison d’écorce depuis tant d’années.


Il se remémore le temps qu’ils partageaient avant. Cette bonté naturelle qui coulait dans chacun de ses gestes, cet amour de la nature. C’est elle qui lui avait dit de prendre ce job. Lorsque leur petit allait bientôt naître, avant… Avant toute cette merde que Jo avait décidé d’enterrer loin derrière lui, ne laissant que quelques offrandes merdiques au pied d’un arbre magique pour se racheter de l’avoir laisser seule, dans la vie comme dans la mort.


Au fond, il se doutait peut-être du danger avec Olivia ainsi. C’est pour ça qu’il a tenté d’éloigner les gosses en appelant leurs mères. Éviter d’autres victimes, se racheter pour ses erreurs, un peu, enfin… Il ne sait pas.


Putain, toutes ces émotions qui l’inondent et l’étouffent, c’est trop pour lui.


Alors qu’est-ce que ce doit être pour elle ? Il avait oublié ce sentiment. Ressentir autant. 


Il réfléchit… Et après tout… Il y a bien un moyen de se racheter d'avoir été un salaud... Pour elle.  


Jo n’échange qu’un regard avec Clarisse, et sourit. Il a sa solution.


 


Tandis que la voiture bombarde l’asphalte, Marion se remémore sa rencontre avec le garde-forestier. Ses mises en garde, et la discussion qu’elle a eue avec Jonas et Nathan ensuite. Ils s’en fichaient et trouvaient ce bois trop cool pour traîner en bande.


Son seul espoir est qu’ils se soient enfuis là-bas, loin des grandes personnes et des ennuis. Elle n’a jamais autant souhaité les retrouver pour les gronder et les embrasser. Non. Juste les embrasser, elle se fiche bien de toutes leurs bêtises.


Elle voit soudain une lumière blanche qui inonde une partie de la forêt.


« Qu’est-ce c’est ? On dirait… Que les arbres prennent feu ? »


Ignorant la remarque saugrenue de Bertrand qui est incapable de reconnaître un incendie et continue de faire preuve de son inutilité, elle décide de suivre son instinct maternel et bifurque en direction de ce halo qui lui montre la voie. Les secondes défilent au même rythme que les milliers de troncs qui donnent la sensation de libérer le passage tandis qu’elle identifie au loin une forme à quatre roues de plus en plus familière. Le 308 d’Adrien. Elle a réussi.


 


Clarisse reprend son souffle. Ses mains retrouvent le tapis forestier qu’elle ne se serait jamais imaginée aussi heureuse de retrouver. À ses côtés, les halètements de Jonas et Nathan l’encadrent, ils essayent de reprendre leurs esprits.


« Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? »


Ce dernier recule et contemple l’arbre, en panique. Vibrant, et irradiant d’un rayonnement monstrueusement éclatant qui transperce chacun de ses pores, les deux garçons sont persuadés qu’une explosion d’une ampleur sans précédent va les emporter d’ici peu et s’enfuient vers la voiture tandis que les racines arrachent des morceaux de terre avec frénésie.


Seule Clarisse demeure. Elle cherche des yeux Jo, sans comprendre. Juste avant qu’elle et ses amis ne soient téléportés hors de cette odieuse caverne, il s’était contenté d’esquisser une mimique évasive avant de poser une deuxième fois sa main sur l’orbe. Et cela avait suffi.


L’illumination devient d’un coup insoutenable. Elle recule, mais repère quelque chose. Un son.


Presque inaudible d’abord, puis familier, entourant la tremblante Olivia.


Lentement, elle reconnaît cette voix et ne peut s’empêcher de pleurer, de rire, sans être vraiment sûre de la raison.


Elle ne voit que l’inscription J + O à présent, qui palpite au rythme de ses paroles : 


Ooh, I've been wandering 'round


Still come back to you


In rain or shine, you've stood by me girl


I'm happy at home


You're my best friend