Concours de nouvelles : Arbre, par information.the.root.book

Salutations à tout·e·s, Êtes-vous prêt·e·s à vous lancer dans une aventure littéraire hors du commun ? 🚀 The Root Book lance son premier…




Chapitre 1: L'Arbre-passeur, par saule

Les roues du bus crissèrent sur le chemin de terre et couinèrent en s'arrêtant. Zoé empoigna sa veste et son cartable mais au moment de se lever, sa résolution faiblit. Elle avait fait ce trajet des centaines de fois, généralement elle sortait en courant, mais aujourd'hui... Un vague chagrin la picota : elle n'en avait jamais pris conscience avant, mais la normalité allait lui manquer. 


On est arrivés.


La voix du chauffeur la força à s'ébrouer. Bon sang de bois, cela faisait des années qu'elle attendait ça, ce n'était pas le moment de flancher. Elle avait beau n'avoir que douze ans, elle savait ce que signifiait prendre une décision.


Elle se leva et remonta l'allée sous le regard lourd du chauffeur. Elle pouvait presque l'entendre grommeler : « Mais elle va se grouiller cette petite idiote ? Je n'ai pas que ça à faire, moi ! » Elle était la dernière élève à poser et il avait hâte de rentrer chez lui, retrouver sa femme, ses enfants, son chien, ses deux chats et son petit jardin –il avait sans doute un chien, deux chats et un petit jardin, beaucoup de gens avaient un chien, deux chats et un petit jardin. 


Au revoir, dit-elle au moment de sortir, sa voix coincée dans sa gorge.


Quel gros mensonge. Mais que dire d’autre ?


À demain, répondit-il.


Non, ne le détrompe pas. Elle sortit et ferma la portière. Le bus s’ébranla lentement, les essieux couinèrent et les graviers crissèrent. L’énorme engin fit demi-tour et s’éloigna sur la route de campagne. Vers la normalité. Cet homme se figurait-il sa chance ?


Zoé secoua la tête. Réveille-toi ma grande ! Elle avait beau n’avoir que douze ans, elle savait reconnaître l’auto apitoiement et n’avait aucune envie de tomber dedans. Elle fit volte-face et s’engagea sur le large chemin de terre, au milieu de la hêtraie tapissée de lierre et embrasée par le mois d’octobre. Elle regarda le chemin tant de fois parcouru avec un pincement de cœur : le reverrait-elle ?


        De toute manière, la normalité n’avait jamais été pour elle ; ses profs ne manquaient d’ailleurs jamais une occasion de le lui rappeler : ses notes n’étaient pas normales, sa mémoire n’était pas normale, les deux classes qu’elle avait sautées n’étaient pas normales, rien n’était normal chez elle. Alors, pourquoi s’arrêter en si bon chemin, hein ?


        Sa maison se dressait trois cents mètres plus loin. C’était une grande bâtisse ancienne, adossée à la forêt et envahie de lierre. Sa maison. Une belle maison. Elle avait envie de pleurer.


        Un aboiement joyeux la fit sursauter. Elle écarquilla les yeux et la grosse masse noire la percuta de plein fouet. Le monde bascula, ses poumons se vidèrent et elle se retrouva plaquée au sol par les énormes pattes du labrador, à rire sous ses grands coups de langue. 


           — Forêt… Forêt ! Lâche-moi, arrête ! Arrête !


Il la lâcha et s’assit avec un gémissement. Elle se redressa avec difficulté et faillit éclater de rire en croisant son regard implorant. Elle sauta à son cou.


— Mon gros chien…


Forêt se releva et gémit à nouveau, mais de soulagement, la queue battante et les pattes trépignantes. Gros bêta, va… Zoé sauta sur ses pieds et claqua sa cuisse :


— Viens Forêt ! 


Elle partit en courant vers la maison, le gros chien à ses trousses. Elle ralentit à peine le temps de jeter ses chaussures dans l’entrée et enfourna l’escalier de vieux bois. Elle ne s’arrêta qu’une fois dans sa chambre, où elle posa son cartable sur sa chaise de bureau et s’affala sur son lit pour reprendre son souffle.


Quand les battements de son cœur furent redevenus à peu près normaux, elle se redressa. Forêt était assis en face d’elle, la langue pendante, les yeux écarquillés sur une question muette. Il ferma la bouche et pencha la tête avec un gémissement, les oreilles à demi dressées. Il sentait que quelque chose n’allait pas.


— Aujourd’hui est un grand jour, Forêt.


Elle ferma la porte et ouvrit son sac d’école, d’où elle sortit ses cahiers un à un pour les poser sur son bureau. Elle ouvrit le livre de mathématiques, où elle avait glissé le mot pour ses parents. Elle espérait qu’ils comprendraient… Elle claqua le manuel et le posa sur le dessus de la pile.


Elle changea sa tenue de ville pour celle, pratique et confortable, d’une authentique fille des bois, son couteau suisse à sa ceinture. Puis elle bourra dans son sac quelques vêtements de rechange, y compris son gros poncho de laine, qui pourrait bien lui servir. Restait à régler la question des provisions. Elle alla piquer à la cuisine un saucisson sec, un pain, quelques barres de céréales et une paire de pommes. Enfin, son bagage était prêt. Elle attrapa son épée de bois, son arc et ses meilleures flèches et, bottes aux pieds, sortit, Forêt toujours sur ses talons.


Alors qu’elle tournait à l’angle de la maison, une voix l’arrêta net :


— Ah, je me disais bien que je t’avais entendue. Et mon bisou alors ? 


Elle se tourna. Sa mère était adossée au mur de pierres, un sourire taquin aux lèvres. Qu’elle ne reverrait plus… Zoé lui adressa son plus beau sourire et courut l’enlacer. Elle lui devait bien ça. La main de sa mère lui caressa la tête, presque insupportable. Elle était en train de la trahir, de l’abandonner, de lui mentir. Non, elle lui laissait une lettre –elle comprendrait.


— Tu pars déjà jouer dans les bois ? Tu as fait tes devoirs ?


La boule de sa gorge se resserra. Elle avait envie de fondre en sanglots et de tout avouer, là, maintenant. Elle se força à la diluer et à adopter un ton naturel :


— Non mais je vais les faire là-bas, c’est pour ça que je prends mon cartable.


Face à la mine interdite de sa mère, elle fit son plus beau regard, celui qu’elle savait capable de faire fondre n’importe qui, et elle tout spécialement. Ça ne loupa pas : elle éclata de rire et lui ébouriffa les cheveux.


— Allez, file, mauvaise graine ! 


Zoé ne se le fit pas dire deux fois.


— Et ne sois pas en retard pour manger ! lui cria encore sa mère.


« Promis », faillit-elle dire, mais ce mensonge supplémentaire fut trop pour elle. Elle s’enfuit comme une voleuse.


Arrivée dans le bois, elle reprit un pas normal. Les feuilles mortes bruissaient sous ses pieds, écho terrestre du vent là-haut. Les oiseaux chantaient le soleil de cette belle après-midi d’automne. Zoé pensait à sa mère. Et à son père. Et à son chien qui marchait toujours à côté d’elle. Et à tous les autres, tous ceux qui tenaient à elle de près ou de loin. Elle leur faisait vraiment un sale coup. Elle disparaissait. Allons, on en a déjà parlé. De toute manière, tu seras obligée de leur faire du mal un jour ou l’autre, rien que pour ne pas qu’ils t’étouffent. Tu as besoin de partir, pour apprendre, pour grandir. Alors pars. En plus, tu es sympa, tu leur laisses une lettre.


Forêt gémit d’angoisse et l’Arbre lui apparut tout à coup. Son tronc, si énorme que dix adultes auraient eu du mal à en faire le tour, était en réalité un entrelacs de troncs sombres ou clairs, tous plus gros que n’importe quel arbre de la forêt –pourtant vénérable. Son écorce était si crevassée qu’elle en était méconnaissable et ses premières branches implantées si haut qu’elles échappaient à la vue. Les feuilles qui l’environnaient étaient les mêmes que partout dans la forêt, mais impossible d’être sûre que c’étaient bien les siennes. Son âge et son essence étaient indéfinissables. 


Lorsqu’elle l’avait trouvé, lors d’une promenade trois ans plus tôt, elle avait tout de suite su qu’il était spécial. D’ailleurs, Forêt avait grogné et aboyé après lui la première fois. Il s’était calmé au fil des visites mais il n’aimait pas l’Arbre, cela se voyait.


Zoé avait donc fait des recherches, recueilli des témoignages sous différents prétextes, exhumé de vieux contes locaux –ces mêmes contes que lui racontait tante Lucie avant de mourir. C’était dans ceux-là, en croisant plusieurs sources, qu’elle avait déniché la réponse : l’Arbre était un arbre-passeur, une porte entre deux univers parallèles. Les conditions pour la franchir étaient optimales quand la pleine lune et le périgée s’accordaient. Comme ce soir.


Elle s’agenouilla devant Forêt et écarta les bras. Le labrador nicha sa tête sur son épaule en gémissant à fendre le cœur. Zoé réprima ses larmes : elle devait être forte.


— Là mon gros, murmura-t-elle. Je vais partir. Je vais rentrer dans l’arbre et on ne se verra sans doute jamais plus. 


Ça faisait drôle de le dire à haute voix. Elle respira à fond, refoula les larmes qui tambourinaient derrière ses paupières et se redressa. Forêt jappa.


Elle se dirigea vers l’Arbre à grands pas. Elle était folle, elle ne savait même pas ce qui l’attendait ; si, vaguement, d’après les contes –un monde magique en tous cas. Forêt hurla.


Tout contre l’Arbre, elle posa la main à plat sur le tronc et respira à fond. Forêt hurla encore. Inspiration, expiration. Inspiration, expiration. Un cœur battait sous sa paume. Inspiration, expiration. Les hurlements de Forêt se noyaient dans le brouillard. Son cœur –inspiration– et celui sous sa paume battaient au même rythme.


Elle fit un pas en avant.


 




Chapitre 2: Petite Zoé, par LBaudot

Noir.


Elle ne comprend pas ce qui se passe.


Noir.


Qu’a-elle fait ? La panique commence à l’envahir. Elle ne sent plus son corps, n’entend plus son cœur, ne respire plus. Impossible de crier, d’appeler, de bouger. Une pensée terrible l’assaille : « Je suis morte ! »


Noir.


Zoé essaye de reprendre le contrôle de son esprit. Elle a enlacé l’arbre, inspiré, expiré, plusieurs fois jusqu’au brouillard. Un sacré brouillard. Elle a fait un pas en avant, mais « en avant », c’était l’arbre, elle est donc dans l’arbre. Et maintenant ? Où est le monde magique de tante Lucie ? Est-ce la nuit de ce côté-ci ? Elle ne voit rien, ne sent rien, n’entend rien.


Noir, peur.


Pourquoi a-t-elle pris les histoires de sa tante au pied de la lettre ? Mais quelle foutue idée ! Que va-t-il lui arriver maintenant ?


Noir peur, panique.


— N’aie pas peur petite Zoé. Tout va bien


Une voix douce, rassurante, s’insinue dans sa tête. « Petite Zoé », personne ne l’a jamais appelée ainsi !


— Qui… Qui êtes-vous ? Où suis-je ?


Elle n’a pas parlé. Elle ne peut pas parler. Elle a pensé les mots et ils sont partis quelque part, dans le noir…


— Tu es chez moi et je suis chez toi.


— Mais…


— Chut ! Patience… Écoute…


La voix est bienveillante, très persuasive. Zoé écoute. Du moins, elle met son esprit en éveil pour accueillir ce qui va arriver. D’abord, il n’y a que le silence, puis, petit à petit, les sons viennent à elle : d’abord le souffle du vent, très ténu, comme une berceuse, puis le bruit des feuilles se frôlant, le craquement des branches. Un lapin détale, elle entend les mottes de terre projetées lors de ses sauts. Ensuite, les oiseaux, une multitude d’oiseaux, le battement de leurs ailes, leurs ramages qui s’entrecroisent. Au bout d’un moment, tous les bruits de la forêt ont envahi son esprit. Malgré la cacophonie, elle peut reconnaître chacun distinctement. La peur a laissé place à l’émerveillement.


— Alors, petite Zoé ?


— C’est magnifique.


— N’est-ce pas ? Sens maintenant.


Et les odeurs viennent à elle. Celle de l’humus qui couvre le sol, des végétaux se frottant les uns aux autres, des fleurs aux parfums enivrants. Celles des animaux, parfois incommodantes, celle de la pourriture, des moisissures, de la résine des pins à l’entour, des fraises des bois, sa préférée. Une nouvelle fois, la voix :


— Ressens maintenant.


C’est une nuée de sensations qui l’assaillent soudainement : l’humidité du sol, la fraicheur du vent, la chaleur du soleil. Elle ressent les picotements d’un pic vert perforant l’écorce pour déloger les parasites. Elle ressent les fourmis sur le tronc, grimpant jusqu’aux feuilles dont elles mangent la chlorophylle. Elle ressent la puissance de la sève qui vient des racines et irrigue les branches jusqu’à la canopée, la vigueur de l’aubier qui prend vie, la douleur des bois morts qui vont bientôt tomber. Elle peut suivre les racines, jusqu’aux radicelles, qui rejoignent les autres arbres dans un enchevêtrement complexe. Elle reçoit une multitude d’informations transmises par les réseaux souterrains, champignons, moisissures. Et surtout, elle découvre les personnalités de l’arbre. Chaque tronc, chaque branche, chaque rameau est une personne différente. L’arbre est multiple, en savoir, en capacités. Il est une microsociété dont chaque élément a son rôle à jouer. Zoé absorbe tous cela comme jamais elle n’a appris durant ses cours. Chaque élément s’imbrique en elle naturellement, comme s’il lui était destiné.


— Je sens, je ressens, j’entends comme jamais. Mais je ne vois toujours pas…


— Détrompe-toi, petite Zoé tu vois bien mieux qu’avec tes yeux, de même que tu goûtes bien mieux qu’avec ton palais. La vue est limitée. Ce que tu ressens va au-delà et t’offre bien plus de choses que ne le font tes cinq sens.


— Pourquoi moi ?


— Parce que tu m’appartiens comme je t’appartiens.  Nous sommes unis, petite Zoé, depuis ta naissance. Tu es ce que les anciens nommaient dryade dans leurs histoires, sans y croire vraiment. Mais tu existes, et tu es liée à moi comme je suis lié à toi.


Les paroles de l’arbre sont comme une lampe qu’on allume dans l’obscurité. Tout parait clair à Zoé, tout s’imbrique. Elle comprend pourquoi la normalité n’a jamais été pour elle ; pourquoi rien n’est normal chez elle. Elle accueille les révélations de l’arbre comme un cadeau. Ce n’est pourtant pas son anniversaire qui ne sera que dans neuf mois. Mais si ! C’est bien son anniversaire, cela fait treize ans qu’elle a été conçue. Elle arrête aussitôt la course folle de ses pensées avant d’arriver à la conclusion « mais alors, mon père n’est peut être pas… » Elle préfère changer de sujet et questionner l’arbre :


— Il n’y a donc pas de monde magique ?


— Ce sont des légendes. Grâce à elles, tu as eu l’envie de venir jusqu’à moi. La vérité ne t’aurait-elle pas fait fuir ?


— Je suis donc si importante pour toi ?


— Tu es ma dryade.


— Et tous ces êtres que j’ai sentis en toi sont aussi tes dryades ?


— Non, Il n’y a que moi, mais je suis constitué d’une myriade d’êtres. Mes racines m’empêchent de fuir face au danger, je suis cloué sur place, donc je m’adapte aux évènements en changeant de personnalité. Selon les besoins, les saisons, les urgences, c’est mon côté le plus à même de résoudre le problème posé qui prend le devant. C’est ainsi que j’arrive à survivre au gel, à la sècheresse, aux incendies, aux maladies. En tant que dryade, tu as les mêmes capacités, à ton échelle.


— Suis-je ta première dryade ?


— Hélas non, petite Zoé. Tu n’es pas la première et certainement pas la dernière. Ton côté humain fait de toi une mortelle, même si ton côté arbre peut prolonger ton existence.


Chaque réponse de l’arbre, chaque révélation, amènent de nouvelles questions dans l’esprit de Zoé.


— Ne peux-tu te passer de moi, tu es si complet ?


— Je ne peux. Si je sais me protéger de tous les maux de la nature, je ne peux rien faire contre les hommes. Tu es mon rameau humain. Le jour où tes semblables viendront pour me couper, ce sera toi qui seras au premier plan.


— Mais je n’ai que douze ans. Que puis-je faire contre une tronçonneuse ?


— Prends le temps de grandir et d’apprendre à me protéger. La dryade qui te précède est encore liée à moi, elle t’apprendra tout ce que l’école ne te dira pas.


— Qui est-elle ?


L’arbre éluda la question.


— Je crois que tu en as assez appris pour aujourd’hui. Nous nous retrouverons la prochaine fois que la lune sera dans son périgée. Sois patiente, dans quelques années, tu n’auras plus besoin d’attendre ce rapprochement entre les deux astres pour venir en moi. Sois patiente, petite Zoé, sois patiente…


 


Zoé ouvre les yeux. Elle tient toujours l’arbre entre ses bras. Abasourdie par ce qu’elle vient de vivre, il lui faut quelques temps pour détacher son regard de l’écorce. Le jour décline et la forêt s’assombrit. Sa vision est floue. Quelque chose ou quelqu’un se tient devant elle. Encore un peu de temps et sa vue gagne en netteté. La forme se précise puis devient distincte. Mais…


— Maman ? Qu’est-ce que tu fais là ?


Sa mère lui sourit.


— Je t’attendais, petite Zoé.


 




Chapitre 3: Le journal de Lucie, par helhiv

Petite Zoé ? Pourquoi tu m’appelles comme ça ?


Zoé avait froncé les sourcils, presque agressive. Maman m’appelle comme l’Arbre...


Tout doux, Zoé ! Excuse-moi, ma grande… je pensais à Lucie. Elle t’appelait sa petite Zoé quand tu étais toute petite… Je t’avoue que je n’aimais pas trop… parce que tu étais MA petite Zoé. Ça ne fait que trois mois, tu sais, c’est tellement dur…


Pour moi aussi…


La disparition de Tante Lucie avait laissé un vide béant pour sa sœur bien sûr, mais encore plus pour Zoé avec qui elle était liée par une permanente complicité.


Dis, je suis partie longtemps ?


Partie ? Mais tu as juste fait un petit câlin à cet immense arbre. Pardonne-moi, je t’ai suivie parce que j’étais inquiète. Tu paraissais bizarre tout à l’heure. Tu sais, nous faisions ça aussi quand nous étions gosses avec Lulu. Des câlins aux arbres. Elle a continué d’ailleurs. Quelle fofolle quand j’y pense !


Est-ce toi ou non, celle que je cherche, Maman ? Calme-toi avant de parler. Zoé pose la main sur l’écorce comme pour y chercher du soutien.


Maman... Es-tu une dryade ?


Une quoi ? Ah non, tu ne vas pas remettre ça avec tes contes et ta mythologie. Viens, on rentre, s’il-te-plaît.


C’était comme si Zoé avait rappelé à sa mère un souvenir agaçant mais insaisissable.


Mais, tu es d’accord qu’il faut protéger les arbres ?


Bien sûr. D’ailleurs, ils le disent tout le temps à la télé que les arbres sont les poumons de la planète. Après, il faut aussi du bois pour construire des choses…


Tout en marchant, elle allait mettre sa main dans celle de sa mère, bien qu’elle pensât que ce n’était plus de son âge, mais cette dernière remarque lui inspira une instinctive répulsion qui lui fit faire un infime pas de côté. Qu’est-ce qui m’arrive ? Oh, Zoé, c’est Maman ! Elle tenta de n’en rien laisser paraître et tenta de dissiper la tension qui était apparue.


Imaginons que je sois une super-héroïne dont la mission est de sauver les arbres. Est-ce que Woodgirl est un nom qui sonnerait bien ?


Ah non, c’est trop naze, ma zozotte ! Qui va aller au cinéma pour te voir sauver des sapins de Noël avec une cape de feuilles mortes ? Et ce serait quoi ton super-pouvoir ?


Je sais pas… Parler aux arbres ?


Laisse tomber.


Elle détestait ce sentiment nouveau. Quelque chose qui lui était inconcevable avant sa visite à l’Arbre : être déçue par sa mère.


Tu ressembles à ta tante, tiens. Toujours à rêver à des choses impossibles… Ce qu’elle me manque, ma Lulu ! Je n’ai même pas encore eu le courage de déballer le carton avec son journal et ses cahiers. Des cahiers ?


Quel journal ? Quels cahiers ?


Lulu écrivait tout le temps et je n’avais jamais le droit de lire. Peut-être que je n’en ai pas plus le droit maintenant… A toi, elle ne t’a jamais rien interdit, non ? Sa chouchoute ! Peut-être que tu...


D’accord !


Zoé avait répondu avec le cœur. Ces cahiers étaient peut-être sa seule chance d’en comprendre rapidement un peu plus si ce qu’elle pensait se révélait exact.


Dis, tu crois qu’une dryade peut mourir ?


Zoé. Non. Ça ne me fait pas rire.


Toutes les affaires de Tante Lucie traînaient dans le garage et le père de Zoé aurait bien aimer faire de la place. Zoé n’eut pas l’autorisation de s’y attaquer avant le lendemain après-midi. Ça avait été tellement bizarre de reprendre le bus, de revoir tous ceux à quoi elle avait mentalement fait ses adieux. Mathilde a dû me trouver débile quand je l’ai serrée dans mes bras ! Elle avait finalement eut raison sauf que l’Arbre ne l’avait pas fait traverser ; il l’avait renvoyée chez elle. Qui pouvait traverser ? Qui avait ce droit ? Patience, elle avait des choses à apprendre. Il lui fallut encore attendre que son père quittât le garage pour être enfin seule et se mettre sur la piste de Lucie. Ce n’étaient jamais que quatre gros cartons car elle ne possédait pas grand-chose. Un carton de vêtements, genre pantalons cargos et débardeurs. Un carton de bouquins, bien trop lourd pour que Zoé le déplace. Un carton d’outils dont Zoé n’avait aucune idée de l’usage qui devait en être fait. Enfin, le carton marqué Personnel qui contenait le trésor de Tante Lucie. L’héritage de Tante Lucie. Ces cartons étaient déjà là avant qu’elle ne disparaisse puisqu’elle était entre deux appartements. Comme souvent car elle ne tenait pas en place. Le carton qui intéressait Zoé était fermé avec une double bande de ruban adhésif. Une lame de cutter en vint à bout sans effort. Sur le revers de tous les rabats était inscrit ceci : « Si vous n’êtes pas ma nièce Zoé, refermez ce carton, il n’y a rien ici pour vous ! ». Zoé ne put réprimer ses larmes. Elle aurait tant aimer serrer sa tante dans ses bras à ce moment précis. Au-dessus de la pile de cahiers, une enveloppe blanche sans inscription. A l’intérieur, une feuille avec seulement quelques lignes. « Zoé, si je ne reviens pas, ces cahiers sont pour toi. Les réponses à tes questions ne s’y trouvent pas mais ils contiennent quantités de chemins qui t’y mèneront. Je t’aime. Lucie. ». Oh, Tante Lucie… De nouveau, ses yeux verts s’emplirent de chagrin liquide.


Zoé feuilleta rapidement le journal. La dernière date remontait à un an. Normal, elle devait avoir avec elle le journal en cours. C’est ce qu’elle devrait lire en premier. Puis les cahiers. Des contes. Des contes dont certains – elle reconnaissait les titres – figuraient dans de vieux livres de la bibliothèque municipale. Pourquoi Tante Lucie a-t-elle recopié ces textes ? A moins qu’elle n’en soit l’autrice ? Mais comment alors ces histoires auraient-elles été imprimées il y a presque cent ans ? Il y avait aussi d’autres contes qui semblaient parler d’autres arbres, arbres-portes, arbres-frontières, arbres-passages ouvrant eux aussi vers d’autres choses. Elle devrait tout lire en détails mais il semblait que ces arbres si semblables à son Arbre était tout comme lui en danger.


Le journal ne paraissait pas finalement si intéressant a priori. C’était plutôt une sorte de répertoire avec des lieux, récemment des coordonnées GPS, des noms, des adresses, des numéros de téléphone. Uniquement des femmes. En remontant le temps, quelques notes plus personnelles parfois très émouvantes. Le renoncement à un amour. Un petit larcin chez le pépiniériste. Un mensonge à la mère de Zoé. Une dispute avec sa grand-mère. Le jour de la naissance de celle-ci, ces simples mots : « C’est elle, j’en suis sûre. Je suis si heureuse ! Agathe n’a pas voulu l’appeler Nemusa comme je l’avais suggéré mais ce n’est pas grave. » Malgré l’émotion, les derniers mots lui glacent le sang : « L’Arbre sera satisfait… et je serai libre. » Tante Lucie est la dryade, c’est certain. Zoé feuillette frénétiquement l’épais carnet à la recherche d’autres révélations comme celle-ci dans les premières pages. « L’arbre a choisi et c’est moi qui serait sa gardienne. Agathe oubliera tout. Il a dit qu’elle serait simplement humaine alors que mon être végétal allait se développer. Qui vais-je devenir ? A quoi me suis-je engagée ? ».


Alors, Tu t’en sors ? C’est intéressant ?


Sa mère se penche sur elle. Zoé reste interdite. Maman n’a pas été choisi par l’Arbre. Comment parler ? Comment demander de l’aide à celle que l’Arbre a renié il y a des années ? Maman, qui suis-je ?


J’espère qu’elle ne te monte pas la tête avec ses histoires de créatures végétales et autres délires !


Maman… Ce sont juste des contes.


Puis Agathe enchaîna sur d’autres sujets tellement insignifiants pour Zoé maintenant, le collège évidemment, le piano, les entraînements d’athlétisme, les croquettes pour Forêt… Tout en répondant par des monosyllabes distraites, elle continua son exploration aléatoire du journal tout en réfléchissant et en échafaudant des hypothèses. Lucie n’est pas morte ; elle est juste partie. Les femmes du répertoire sont les autres dryades et elle a pour mission de les unir pour sauver tous les Arbres menacés, pour permettre à nouveau le passage vers les autres mondes. Elle n’en savait rien. Elle le ressentait juste. Une certitude qui lui commandait de retourner vers l’Arbre.


Sa mère en était à lui demander de l’aide pour les croque-monsieurs du soir quand Zoé la bouscula pour s’enfuir vers la forêt, les yeux noyés et le souffle court. Je dois le voir, je dois lui parler. Elle courut sans s’arrêter, sans ralentir jusqu’à l’Arbre au pied duquel elle s’effondra. Elle ne se remit même pas débout, restant à genoux, inspirant le peu d’air qui acceptait encore d’entrer dans ses poumons et colla ses mains sur l’écorce de l’Arbre. Ses sanglots se répercutaient dans ses bras comme un massage pour ranimer le cœur qui ne battait pas, ni ne battait plus de l’autre côté, tandis que le sien déchirait sa poitrine pour en sortir. Ouvre-toi ! Parle-moi ! Ne me laisse pas seule… Les mains posées à plat se font poings pour frapper et meurtrir l’écorce autant que sa peau. Parle-moi, je t’en supplie ! Rien. Rien qu’un arbre comme les autres dont seule la majesté le distinguait de ses voisins.


Elle se sentait perdue et trahie. Par l’Arbre qui l’ignorait. Par Tante Lucie qui avait disparu. Par sa mère qui lui devenait étrangère. Il lui fallut une bonne heure pour recouvrer son calme et être capable de remettre les choses à leurs places. De se remémorer les paroles de l’Arbre. Nous nous retrouverons la prochaine fois que la lune sera dans son périgée. Presque quatre semaines à attendre… Elle reprit le chemin de la maison et évita soigneusement ses parents discutant dans la cuisine. Elle retourna directement dans le garage et reprit la lecture du journal de Tante Lucie à la lumière de la baladeuse de son père. Sa course, sa colère, ses pleurs, tout ça lui avait fait du bien, l’avait vidée. Elle se sentait plus ouverte aux révélations du journal. Beaucoup de passages lui étaient incompréhensibles mais elle essayait d’y trouver des indices à confronter avec sa théorie du départ de sa tante. Et ce qu’elle lisait ne démentait pas ses spéculations.


« Je savais que le moment viendrait mais je pensais qu’il y aurait une autre solution. L’Arbre m’a libérée pour porter son message à travers le monde et pour établir la grande connexion de toutes les portes. Zoé est prête ou le sera d’ici quelques mois, je le sais, mais le sacrifice que je lui impose m’oblige à réussir parce qu’il n’est pas envisageable qu’elle périsse. Malgré sa sagesse, l’Arbre a peur. S’il accepte de me laisser partir pour les sauver tous, il exige que celle qui prendra ma place soit… une hamadryade. » Oh non...


Incollable sur toutes les mythologies, Zoé connaissait ce terme mais...


Ah, ben tu es là, ma zozotte ! Tu t’es enfuie comme si tu avais la mort aux trousses !


pour l’heure, elle n’était plus qu’une petite fille effrayée qui se jetait dans les bras de sa mère en pleurant les larmes qui lui restaient.




Chapitre 4: y croire à nouveau , par cassandradubois

4 semaines plus tard


 



Zoé était à genoux devant l’arbre majestueux, comme tous les jours précédent, elle attendait les yeux fermés, elle écoutait les doux bruits de la forêt, pour elle, ses multiples sons était une douce mélodie à ses oreilles, cela la touchait au plus profond de son cœur et de son âme. 
Elle prit une profonde inspiration, et les parfums envoûtants de la nature l'enveloppèrent, il avait plu la veille, l’odeur de terre mouillée lui chatouillait le nez, elle était en accord avec l'essence de la forêt, elle était apaisée, en harmonie avec elle.
Zoé ouvrit les yeux, il était l’heure, elle le savait, elle l’avait ressenti au plus profond de son être, comme un appel. 
Elle se leva et s'avança à pas feutrés de l’arbre, une fois près de lui, comme la première fois, elle posa doucement sa main à plat sur le tronc et respira à fond. Elle l’avait déjà fait, elle inspira, expira à maintes reprises, et elle le sentit, palpiter sous sa paume, en accord avec le sien dans sa poitrine, ils battaient à l'unisson, comme un seul et même cœur, une seule et même âme, prête, elle s'avança.
Noir, il faisait noir, mais malgré l’obscurité, elle n’avait jamais eu la vision aussi claire, elle avait ouvert les yeux, la vérité lui éclairait le chemin.
    - Te revoilà, petite Zoé.
Cette douce voix, résonna de nouveau dans sa tête. 
    -Je suis revenue.
    - Tu as besoin de réponse, je le sens, dans ton cœur.
    - Pourquoi ? 
    - Je suis désolé, petite Zoé, si mon choix te fait de la peine et t’effraie,mais sache que ce n'est pas à la légère que j’ai pris cette décision.
    - Mais si tu meurs, je…


Zoé ne put continuer, la gorge serrée par l’émotion, les larmes lui montèrent aux yeux, et coulèrent le long des joues. 


    - Ne pleure pas petite Zoé.
Zoé sentit une douce brise lui caresser la joue avec tendresse.
    - J’ai une totale confiance en toi, petite Zoé, je sais qu’il ne m’arrivera rien, je le sens en toi, je sais que tu me protégeras, et je te protégerai, nous sommes une seul et même âme, nous nous appartenons. Notre lien est notre force, si l'un est en danger, l’autre sera au courant et on se sauvera.
Les sanglots de Zoé s'arrêtèrent face aux mots de l’arbre, elle comprit tout, et fut touchée par les confidences de celui-ci.
   - Et pour tante Lucie ?
   - Ne t'inquiète pas pour Lucie, ce n’est pas pour rien que je lui ai confié cette mission, elle est forte, comme toi, elle réussira, j’en suis sûr.
   - Merci dit elle avec douceur
Une nouvelle brise lui caressa la joue.
   - Nous nous reverrons petite Zoé.
Zoé ouvrit les yeux, la paume toujours sur le tronc de l’arbre et les joues baignées de larmes. Elle la retira avec douceur, un sourire se dessina sur son visage.



Elle fit demi-tour, c’est le cœur léger et avec un nouveau regard que Zoé rentra chez elle, mais Zoé avait emporté quelque chose avec elle lors de cette entrevue, l’espoir, elle y croyait de nouveau.