Concours de nouvelles : Arbre, par information.the.root.book

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Chapitre 1: L'Arbre-passeur, par saule

Les roues du bus crissèrent sur le chemin de terre et couinèrent en s'arrêtant. Zoé empoigna sa veste et son cartable mais au moment de se lever, sa résolution faiblit. Elle avait fait ce trajet des centaines de fois, généralement elle sortait en courant, mais aujourd'hui... Un vague chagrin la picota : elle n'en avait jamais pris conscience avant, mais la normalité allait lui manquer. 


On est arrivés.


La voix du chauffeur la força à s'ébrouer. Bon sang de bois, cela faisait des années qu'elle attendait ça, ce n'était pas le moment de flancher. Elle avait beau n'avoir que douze ans, elle savait ce que signifiait prendre une décision.


Elle se leva et remonta l'allée sous le regard lourd du chauffeur. Elle pouvait presque l'entendre grommeler : « Mais elle va se grouiller cette petite idiote ? Je n'ai pas que ça à faire, moi ! » Elle était la dernière élève à poser et il avait hâte de rentrer chez lui, retrouver sa femme, ses enfants, son chien, ses deux chats et son petit jardin –il avait sans doute un chien, deux chats et un petit jardin, beaucoup de gens avaient un chien, deux chats et un petit jardin. 


Au revoir, dit-elle au moment de sortir, sa voix coincée dans sa gorge.


Quel gros mensonge. Mais que dire d’autre ?


À demain, répondit-il.


Non, ne le détrompe pas. Elle sortit et ferma la portière. Le bus s’ébranla lentement, les essieux couinèrent et les graviers crissèrent. L’énorme engin fit demi-tour et s’éloigna sur la route de campagne. Vers la normalité. Cet homme se figurait-il sa chance ?


Zoé secoua la tête. Réveille-toi ma grande ! Elle avait beau n’avoir que douze ans, elle savait reconnaître l’auto apitoiement et n’avait aucune envie de tomber dedans. Elle fit volte-face et s’engagea sur le large chemin de terre, au milieu de la hêtraie tapissée de lierre et embrasée par le mois d’octobre. Elle regarda le chemin tant de fois parcouru avec un pincement de cœur : le reverrait-elle ?


        De toute manière, la normalité n’avait jamais été pour elle ; ses profs ne manquaient d’ailleurs jamais une occasion de le lui rappeler : ses notes n’étaient pas normales, sa mémoire n’était pas normale, les deux classes qu’elle avait sautées n’étaient pas normales, rien n’était normal chez elle. Alors, pourquoi s’arrêter en si bon chemin, hein ?


        Sa maison se dressait trois cents mètres plus loin. C’était une grande bâtisse ancienne, adossée à la forêt et envahie de lierre. Sa maison. Une belle maison. Elle avait envie de pleurer.


        Un aboiement joyeux la fit sursauter. Elle écarquilla les yeux et la grosse masse noire la percuta de plein fouet. Le monde bascula, ses poumons se vidèrent et elle se retrouva plaquée au sol par les énormes pattes du labrador, à rire sous ses grands coups de langue. 


           — Forêt… Forêt ! Lâche-moi, arrête ! Arrête !


Il la lâcha et s’assit avec un gémissement. Elle se redressa avec difficulté et faillit éclater de rire en croisant son regard implorant. Elle sauta à son cou.


— Mon gros chien…


Forêt se releva et gémit à nouveau, mais de soulagement, la queue battante et les pattes trépignantes. Gros bêta, va… Zoé sauta sur ses pieds et claqua sa cuisse :


— Viens Forêt ! 


Elle partit en courant vers la maison, le gros chien à ses trousses. Elle ralentit à peine le temps de jeter ses chaussures dans l’entrée et enfourna l’escalier de vieux bois. Elle ne s’arrêta qu’une fois dans sa chambre, où elle posa son cartable sur sa chaise de bureau et s’affala sur son lit pour reprendre son souffle.


Quand les battements de son cœur furent redevenus à peu près normaux, elle se redressa. Forêt était assis en face d’elle, la langue pendante, les yeux écarquillés sur une question muette. Il ferma la bouche et pencha la tête avec un gémissement, les oreilles à demi dressées. Il sentait que quelque chose n’allait pas.


— Aujourd’hui est un grand jour, Forêt.


Elle ferma la porte et ouvrit son sac d’école, d’où elle sortit ses cahiers un à un pour les poser sur son bureau. Elle ouvrit le livre de mathématiques, où elle avait glissé le mot pour ses parents. Elle espérait qu’ils comprendraient… Elle claqua le manuel et le posa sur le dessus de la pile.


Elle changea sa tenue de ville pour celle, pratique et confortable, d’une authentique fille des bois, son couteau suisse à sa ceinture. Puis elle bourra dans son sac quelques vêtements de rechange, y compris son gros poncho de laine, qui pourrait bien lui servir. Restait à régler la question des provisions. Elle alla piquer à la cuisine un saucisson sec, un pain, quelques barres de céréales et une paire de pommes. Enfin, son bagage était prêt. Elle attrapa son épée de bois, son arc et ses meilleures flèches et, bottes aux pieds, sortit, Forêt toujours sur ses talons.


Alors qu’elle tournait à l’angle de la maison, une voix l’arrêta net :


— Ah, je me disais bien que je t’avais entendue. Et mon bisou alors ? 


Elle se tourna. Sa mère était adossée au mur de pierres, un sourire taquin aux lèvres. Qu’elle ne reverrait plus… Zoé lui adressa son plus beau sourire et courut l’enlacer. Elle lui devait bien ça. La main de sa mère lui caressa la tête, presque insupportable. Elle était en train de la trahir, de l’abandonner, de lui mentir. Non, elle lui laissait une lettre –elle comprendrait.


— Tu pars déjà jouer dans les bois ? Tu as fait tes devoirs ?


La boule de sa gorge se resserra. Elle avait envie de fondre en sanglots et de tout avouer, là, maintenant. Elle se força à la diluer et à adopter un ton naturel :


— Non mais je vais les faire là-bas, c’est pour ça que je prends mon cartable.


Face à la mine interdite de sa mère, elle fit son plus beau regard, celui qu’elle savait capable de faire fondre n’importe qui, et elle tout spécialement. Ça ne loupa pas : elle éclata de rire et lui ébouriffa les cheveux.


— Allez, file, mauvaise graine ! 


Zoé ne se le fit pas dire deux fois.


— Et ne sois pas en retard pour manger ! lui cria encore sa mère.


« Promis », faillit-elle dire, mais ce mensonge supplémentaire fut trop pour elle. Elle s’enfuit comme une voleuse.


Arrivée dans le bois, elle reprit un pas normal. Les feuilles mortes bruissaient sous ses pieds, écho terrestre du vent là-haut. Les oiseaux chantaient le soleil de cette belle après-midi d’automne. Zoé pensait à sa mère. Et à son père. Et à son chien qui marchait toujours à côté d’elle. Et à tous les autres, tous ceux qui tenaient à elle de près ou de loin. Elle leur faisait vraiment un sale coup. Elle disparaissait. Allons, on en a déjà parlé. De toute manière, tu seras obligée de leur faire du mal un jour ou l’autre, rien que pour ne pas qu’ils t’étouffent. Tu as besoin de partir, pour apprendre, pour grandir. Alors pars. En plus, tu es sympa, tu leur laisses une lettre.


Forêt gémit d’angoisse et l’Arbre lui apparut tout à coup. Son tronc, si énorme que dix adultes auraient eu du mal à en faire le tour, était en réalité un entrelacs de troncs sombres ou clairs, tous plus gros que n’importe quel arbre de la forêt –pourtant vénérable. Son écorce était si crevassée qu’elle en était méconnaissable et ses premières branches implantées si haut qu’elles échappaient à la vue. Les feuilles qui l’environnaient étaient les mêmes que partout dans la forêt, mais impossible d’être sûre que c’étaient bien les siennes. Son âge et son essence étaient indéfinissables. 


Lorsqu’elle l’avait trouvé, lors d’une promenade trois ans plus tôt, elle avait tout de suite su qu’il était spécial. D’ailleurs, Forêt avait grogné et aboyé après lui la première fois. Il s’était calmé au fil des visites mais il n’aimait pas l’Arbre, cela se voyait.


Zoé avait donc fait des recherches, recueilli des témoignages sous différents prétextes, exhumé de vieux contes locaux –ces mêmes contes que lui racontait tante Lucie avant de mourir. C’était dans ceux-là, en croisant plusieurs sources, qu’elle avait déniché la réponse : l’Arbre était un arbre-passeur, une porte entre deux univers parallèles. Les conditions pour la franchir étaient optimales quand la pleine lune et le périgée s’accordaient. Comme ce soir.


Elle s’agenouilla devant Forêt et écarta les bras. Le labrador nicha sa tête sur son épaule en gémissant à fendre le cœur. Zoé réprima ses larmes : elle devait être forte.


— Là mon gros, murmura-t-elle. Je vais partir. Je vais rentrer dans l’arbre et on ne se verra sans doute jamais plus. 


Ça faisait drôle de le dire à haute voix. Elle respira à fond, refoula les larmes qui tambourinaient derrière ses paupières et se redressa. Forêt jappa.


Elle se dirigea vers l’Arbre à grands pas. Elle était folle, elle ne savait même pas ce qui l’attendait ; si, vaguement, d’après les contes –un monde magique en tous cas. Forêt hurla.


Tout contre l’Arbre, elle posa la main à plat sur le tronc et respira à fond. Forêt hurla encore. Inspiration, expiration. Inspiration, expiration. Un cœur battait sous sa paume. Inspiration, expiration. Les hurlements de Forêt se noyaient dans le brouillard. Son cœur –inspiration– et celui sous sa paume battaient au même rythme.


Elle fit un pas en avant.


 




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