Couleur rose sang, par Bat.Jacl

Je ne suis pas folle, j’ai bien vu ces buissons bouger. Enfin, je crois. De toute façon, ce n’est certainement pas le vent qui les écartés de cette manière. Je…




Chapitre 11: La Belle, la Bonne et la Bête, par Wargen

Je plaque ma main gauche sur la bouche d'Herta et sens ses lèvres bouger sous ma main moite. Je tiens fermement le couteau de ma main droite. Pas être si ferme que ça, vu comment la lame tremblote sur le ventre dénudé d'Herta. Un nouveau hurlement sauvage retentit soudain. Je sursaute, écorchant légèrement le ventre devant moi.
-Aïe !
-Désolé, le cri m'a fait peur.
-Grouille toi !
Je tente de me concentrer, malgré le grondement qui reprend au loin. Comme un sanglier chargeant à travers des broussailles épaisses. Le bruit vient de tellement loin... ou tellement proche ? On le croirait venir de la droite, puis l'instant d'après, la charge viendrait de la gauche. Ou de derrière. Je tente de maîtriser la lame. Herta ferme les yeux. Le chaperon rouge, derrière Herta, me susurre que je vais y arriver, un sourire confiant aux lèvres. A mes lèvres ? J'entends Herta inspirer et expirer longuement.
-Vas-y, dit calmement Herta.
-Vas-y, glisse le chaperon rouge.
Je prends alors une grande inspiration. Et veux appuyer sur le couteau. Mais la vision du ventre de Michon explosant à ma figure me tétanise. Je lâche un petit cri strident et le couteau en frissonnant.
-Je ne peux pas !
Le bruit terrifiant se rapproche dangereusement.
-Si, tu l'peux, me hurle Herta.
-Je sais que tu le peux, me glisse en confiance le chaperon rouge.
-Non. J'ai l'image de Michon qui reste gravée dans ma mémoire. C'est trop affreux !
-D't'façon... laisse en suspens ma compagne.
Un silence s'installe. Je ne sais combien de temps il dure. Avec la pénombre ambiante, je n'arrive pas à déchiffrer le regard qu'Herta me lance. Est-ce de la compréhension ? Du mépris ? Ou est-elle seulement absorbée par le bruit de fond, qui ressemble maintenant à une cavalcade se rapprochant. Ce qui est le plus probable. Elle tourne la tête autour d'elle, comme pour essayer de comprendre d'où vient ce bruit de végétaux secoués et fracassés.
-Tu devrais lui rendre la rose.
La phrase me fait sursauter. Herta n'a rien entendu. Évidemment, puisqu'elle est prononcée par mon sosie. Je la regarde, étonnée. Elle mime le geste. Je ne comprends pas mais lui fait confiance. Je dépose délicatement la rose sur les jambes d'Herta. Celle-ci me bredouille un merci sans réellement s’apercevoir de ce que je viens de lui poser dessus, son regard étant focalisé par la recherche de la provenance du déchaînement de frottements et de craquements qui se rapproche. Levant la tête, je vois le petit chaperon rouge me faire un clin d’œil, remettre sa capuche rouge, puis me dire :
-Attention, ça va bientôt se passer.
-Qu’est-ce qui…
Je n’ai pas le temps de terminer ma phrase qu’un craquement de branches se fait entendre dans mon dos. Je tourne la tête pour voir ce qui l’a provoqué. Je ne vois qu’une énorme masse mouvante d’un noir infini, comme si toute lumière avait disparu. Et je ressens la caresse d’une brise glaciale glisser sur mon visage. Cela dure à peine un centième de seconde, puis la forêt aux branches et buissons agités réapparaît, noir sur noir, dans mon champ de vision, tandis qu’un long objet dur et gesticulant vient cogner contre mon oreille droite.
Une puissante voix se fait alors entendre dans mon dos :
-QUI A OSE…
Je me tourne rapidement, pour entrapercevoir une énorme masse sombre penchée sur le cadavre de Michon.
-…FAIRE CELA ?
La forme disparaît aussi soudainement qu’elle était apparue, laissant réapparaître la lisière de la forêt, noir sur noir, et Herta qu’elle cachait. Une nouvelle sensation de brise glaciale sur mon visage, et je me sens violemment bousculée par l’arrière, tombant à quatre pattes.
-OU EST ELLE ?
La voix est terriblement menaçante. Je relève la tête et vois l’infini et le vide, le noir absolu sans aucune trace de lumière. Je continue de lever la tête. Du noir, encore et toujours. Jusqu’à ce qu'éclate dans cette noirceur deux amandes jaunes fendues d’un trait noir. J’ai à peine le temps de cligner des yeux que le noir est remplacé par la cime des arbres de la forêt. Un nouveau coup m’est porté au visage, comme si quelqu’un me fouettait avec un balai, d’une violence telle qu’il me fait rouler au sol.
-TOI ! C’EST TOI !
Je retrouve seulement mes esprits que j’entends le cri de terreur d’Herta.
-MAIS, TU ES…
Une trace de surprise accompagne la brutalité du message. Je lève la tête et vois une masse sombre, gigantesque. Et les pieds d’Herta qui en dépasse, sur le côté, à au moins 1,5 mètre du sol. Puis la forme sombre disparaît dans un hurlement bestial, accompagné du cri suraigu d’Herta.
 
La scène a seulement due durer quelques secondes. J’ai l’impression de tomber dans un abîme sans fond. Je dois d’ailleurs littéralement tomber, puisque le petit bout de ciel étoilé que laisse apparaître la petite trouée dans la forêt que forme la petite clairière me saute au visage. Les mouvements de la végétation se calment doucement. Une sensation difficilement descriptible m’envahit. Le silence revient petit à petit. Un vertige immense. Je suis seule.
 
 
Ce qui me terrifiait est arrivée. Je veux bouger mais je n'y arrive pas. J’ai l’impression que jamais je n’arriverai à sortir de cet état cataleptique. La vérité m’effraie. Je suis seule.
Non, tu n’es pas seule.
-Bien sûre que si, je suis seule ! arrive-je tout de même à hurler.
-Pourquoi dis-tu cela ? Je suis avec toi.
La voix provoque un spasme qui parcourt l’ensemble de mon corps. J’ai l’impression de retrouver une consistance physique. Après quelque seconde, je relève doucement la tête. Les images bougent légèrement. Mais je vois le corps ouvert de Michon et le chaperon rouge derrière. La scène est floue.
-Impressionnant, n’est-ce pas ?
J'essaye de focaliser mon regard sur mon image.
-Que s'est...
Je veux me relever, mais une sensation de vertige me fait retomber à terre.
-Reste au sol pour recouvrer tous tes esprits et ton corps, tu as subi un violent choc traumatique.
Dans la trouée de ciel noir, les étoiles se déplacent doucement en spirale.
-Que s'est-il passé ?
Le visage du chaperon vient remplacer les étoiles. Les bords de sa capuche ondulent légèrement.
-Je crois que quelque chose a enlevé Herta.
-Je suis seule, alors.
Ma voix tremblote, mes yeux deviennent humides.
-Pourquoi dis-tu cela ? Je suis là. Ainsi que le corps de ton ami.
Tu vois ? Je te l'avais bien dit que tu n'étais pas seule !
Mais... Je ne comprends pas. Ce qui me regarde en face, en ce moment... ce n'est pas toi ?
Non !?! Pourquoi veux-tu que ce soit moi ? A voir son visage, elle n'a pas l'air de m'entendre.
Mais alors... qui est-ce ?
Demande-lui, si tu veux vraiment savoir !
Un sourire apparaît sur le visage assombri par la capuche du chaperon rouge :
-Tu as l'air bien perplexe, ma belle.
J'ai l'impression que ma vue s'est enfin fixée.
-Mais qui es-tu ?
Voilà ce qu'il fallait demander depuis le début !
Oh, toi, tais-toi !
-Qui crois-tu que je sois ?
-Moi ?
-Ça me va !
Son sourire s'élargit.
-Je crois que je suis devenue folle.
-Je le crois bien aussi !
Le chaperon rouge me regarde en penchant la tête sur le côté :
-Je ne peux que me ranger du côté des plus nombreux. Si vous êtes deux à dire que vous êtes folle, alors je suis d'accord avec vous.
-Tout cela n'a ni queue ni tête... Et ne me dit pas ce qui est arrivé à Herta.
Je réussis à me relever. Le chaperon rouge trépigne sur place :
-Voilà enfin quelque chose qui a du sens. J'ai l'impression qu'une grosse bête a enlevé Herta. Pour la dévorer ?
-Oui, mais pourquoi elle ? J'ai l'impression que la bête a tourné autour de moi en cherchant quelque chose, qu'elle a trouvé chez Herta...
-La rose !
Le chaperon rouge se frotte les mains : - Vous êtes malines, les filles !
-Tu savais ce qu'il allait se passer ? Tu m'as demandé d'arracher un pétale de la rose et tu m’as dis de la redonner à Herta !
-Tu savais !
-Holà, les filles, du calme. D'ailleurs, à votre place, je me préparerais.
-De quoi ? nous exclamons-nous.
-A votre place, je m'attacherais à Michon.
-Mais pourquoi ?
-Vous avez confiance en moi ?
-Oui!-Non !
Je ne cherche pas à comprendre, et m’accroupis pour lacer ma chaussure droite à la gauche du cadavre de Michon. A peine ai-je terminé qu'une voix tonitruante se fait entendre :
-AINSI, C'ETAIT DONC TOI !
La bête était de retour. Je veux me relever, mais me retrouve projetée dans les airs. Le cadavre de Michon fait contrepoids.
-RAH !
Un bruit de coupure, un poids en moins sur ma jambe droite, et je vole. J’atterris le pubis sur quelque chose de dur, pliée en deux, la tête et les jambes retombant dans le vide. Mon visage tape contre une masse dure. Tournant la tête je vois la tête de Michon s'affaler à quelques dizaines de centimètre de mon visage. Une poigne énorme s'abat sur mes fesses, et le monde alentour se met à bouger vite. Trop vite. Je lève la tête. Déjà, la clairière et le chaperon rouge disparaîssent. Tout devient noir, sombre et mouvant. Je n'arrive pas à fixer la végétation. Quelques grognements rauques se font entendre quand mon ravisseur fracasse une branche sur sa route. Tout danse. Des flashs lumineux rouges clignotent. Plus rien ne semble solide. Sauf quand ça lacère mon pantalon.
Soudain, une voix mélancolique s'imprime dans mon esprit, faible, intense, faible :
-Fais attention à toi... Fais attention à la bête... Je t'aime... Faits attention aux fantômes... Nous nous reverrons...
Le mur sombre mouvant tout autour de moi s'éclaircit. Et subitement, comme un rideau qui tombe, une lueur rouge sang. Me tortillant sur l'épaule de mon ravisseur, je vois que la forêt s'éloigne déjà. Et en biais, je vois défiler à toute vitesse le château à l'abandon, son pont-levis délabré, sa grande cour remplie de ronces, la tour principale, le grand escalier en colimaçon, la grande salle éclairée par des bougies, le lit à baldaquin sur lequel je vais m'écraser douloureusement dans une culbute, mon dos venant percuter le rebord du sommier. Et tandis que je m'affaisse, j'entends une porte claquer. Et vois le visage d'Herta apeuré se précipiter sur moi.
 
 
-Ça va ?
-J’ai mal partout.
-Bouge pas, j’te r’mets droite.
Malgré ses tremblotements, Herta me déplace délicatement et m’allonge sur le matelas moelleux du lit. La douleur du choc lance dans tout mon dos. Mais le lit qui épouse ma forme est agréable. Et j’ai retrouvé Herta.
-Il y est pas allé d’main morte avec toi, me glisse ma compagne. Moi, y m’a déposé douc’ment sur l’lit.
Je me redresse difficilement et m’effondre dans les bras d’Herta :
-J’ai eu si peur !
Ma voix sanglote.
Herta renifle. Elle ressert l’étreinte.
-Moi aussi. J’ai cru qu’il allait m’bouffer !
De grosses gouttes s’écrasent sur mon épaule. Herta renifle. Mes yeux sont secs.
Tu vois, tu es plus forte qu’Herta !
Oh, ne commence pas, toi !
-Que s’est-il passé ?
-C’est la Bête. Elle m’a enl’vé et m’a am’né ici. Ça allait trop vite, j’ai rien compris. J’ai juste senti qu’elle m’r’niflait les fesses d’temps en temps pendant l’trajet.
Herta renifle un grand coup.
-Et après ?
-Elle m’a d’mandé pourquoi qu’j’avais fait ça. J’ai dit qu’j’en savais rien, qu’j’savais pas d’quoi y causait…
Quelques secondes de silence. Je relance tout doucement dans :
-Que tu avais fait quoi ?
-Qu’j’avais…
Une porte s’ouvre dans un grand fracas. Nous frissonnons toutes les deux. Herta me chuchote :
-Tu l’a vu ?
-Non !
Je me tourne rapidement. Une masse bouge derrière la porte. Et la Bête rentre en se courbant pour passer.
Elle est si grande !
Elle est énorme !
Un humanoïde de plus de deux mètres de haut, d’une largeur de buste inimaginable, portant une grande veste bleue brillante aux bords dorés, non attachée et tombant aux genoux, et un pantalon noir moulant. Une toison épaisse marron ressort de sa veste ouverte. Ces bras sont épais comme des troncs d’arbres et sont terminés de sorte de pattes de chat comprenant cinq doigts préhensiles, comme des mains d'homme. Ces longues jambes sont plutôt fines comparées au reste, mais arquées comme les pattes arrières d'un quadrupède, découvrant en bas du pantalon des sabots nus. Une longue queue lisse, avec une boule de poils au bout, gigote de part et d'autre. Mais ce qui choque le plus est sa tête.
Deux cornes de bouc qui poussent dans une épaisse crinière fauve aérienne qui retombe dans le dos. Des oreilles de biches qui semblent partir de la base des cornes. Un museau de vache noir en guise de nez. Une large bouche cachée dans les poils, d’où ressort tout de même deux grandes canines vers le haut. D'épais sourcils entourant le faciès se rejoignent au menton en formant un bouc. Et deux yeux félins, en amande jaune, avec une pupille verticale noire presque invisible dans cette pièce lumineuse.
Elle se précipite sur moi.
-TOI, LA DEMI-PORTION !
Une patte énorme m'attrape par la gorge et me soulève comme si je ne pesais rien. Mes jambes gigotent dans le vide.
-POURQUOI AS-TU FAIS CA ?
Deux griffes sortent des coussinets du pouce et de l'index, m'entaillant le cou. Des gargouillis sortent de ma bouche entrouverte.
-Arrêtez ! S'il vous plaît, lâchez-là !
La voix d'Herta est suppliante et chevrotante. La Bête tourne la tête dans sa direction, puis m’envoie valdinguer sur le lit à ses côtés. Elle sort la rose d'une poche invisible, et la tend devant elle.
-OU AVEZ-VOUS TOUVE CA !
Nous bredouillons toutes les deux des choses incompréhensibles.
-SAVEZ-VOUS CE QUE C'EST ?
Herta, baissant la tête, lâche :
-La malédiction. Le beau prince transformé, la sorcière nous l'a dit.
La Bête s'approche d'Herta, se penche sur elle, lui relève le menton de l'index, ayant préalablement rétracter sa griffe pour le regarder en face.
-HUM, MA MIGNONNE, JE VOIS QUE TU EN SAIS, DES CHOSES. SACHE QUE CE BEAU PRINCE, IL EST DEVANT TOI. OU PLUTOT CE QU'IL EN EST DEVENU ! ET QUE VOUS A-T-ELLE DIT D'AUTRE, LA SORCIERE ?
Herta déglutit, avant d’enchainer :
-Il faut qu'il aime, et soit aimé en retour, avant que le dernier pétale de la rose ne tombe.
-JE VOIS QUE TU SAIS TOUT, BEAUTE. ET DONC ? rugit le monstre.
Herta est pétrifiée par le regard de la Bête. J'attaque, peu assurée :
-Laissez-la tranquille !
La Bête se tourne vers moi. Je descends du lit à reculons, et recule devant l'avancée de la masse énorme. Jusqu'à ce qu'un mur ne vienne percuter mon dos.
-AUTANT J'AIME BIEN TA COMPAGNE, AUTANT JE NE T'AIME PAS, DEMI-PORTION. SURTOUT SI TU REDUIS MON ESPERANCE DE VIE EN FAISANT TOMBER SCIEMMENT LES PETALES ! POURQUOI AS-TU FAIS CA ?
Ma pomme d'Adam joue l’ascenseur dans ma gorge :
-On... On m'a dit de le faire.
-QUI CA !
Mon bras se lève en tremblant. Et indique le petit chaperon rouge qui vient d'apparaître derrière Herta. Qui me fait de grands yeux et se met à pâlir. La Bête se tourne dans la direction indiquée :
-TOI ? AINSI, TU M'AURAIS MENTI !
Elle commence à se déplacer vers Herta. Comprenant ma bévue, je tente de la suivre, en vain :
-Non... Attendez ! Ce n'est pas ça !
Mais la Bête n'entend pas. Ou ne veut pas entendre.
-TU MERITES UNE PUNITION !
Le petit chaperon rouge vient vers moi en sautillant, contournant Herta et esquivant la Bête :
-A mon avis, on ne devrait pas trop rester là.
Et je la suis précipitamment à travers la porte d'où est rentrée la Bête, alors que Herta se met à hurler.
 
 
-RAH, TU VAS ME RESPECTER !
-Non ! S'il vous plaît !
 
La pièce est éclairée par la lumière de la chambre traversant la porte, et par le fond ouvert, comme un balcon, qui laisse pénétrer la lueur rougeâtre de la lune. On dirait une pièce en forme de T très large, se prolongeant en couloirs à droite et à gauche, côté balcon. La pièce est remplie d'objets qui deviennent des choses informes dans les recoins sombres.
-Non ! Pas ça ! S'il vous plaît !
On dirait que quelque chose de terrifiant est en train d'arriver à Herta.
N'y penses pas, suis le chaperon rouge. Essaye de faire abstraction.
-SI TU CROIS QUE JE PEUX M'AMUSER SOUVENT ! PLUS PERSONNE NE VIENT ICI. SI TU SAVAIS DEPUIS COMBIEN DE TEMPS JE N'AVAIS PAS.... RAH !
Le cri d'Herta qui s'ensuit est indescriptible.
Le chaperon rouge se tourne vers moi :
-On dirait que ça glisse, par terre. Comme s'il y avait une traînée.
-Je crois que ça vient du corps de Michon. La Bête a dû le déposer là et le traîner.
 
-RAH........C'EST BON !......PREND CA !............RAAAH !.......................ENCORE !
-..........Non !...................Noon !.................Arrêtez !..............Non ! S'il vous..................plaît !
Les gémissements plaintifs d'Herta semblent contenir une douleur immense.
 
-Tu as vu ? On dirait qu'il y a plein d'objets ici !
Le chaperon rouge est penché sur une grande paire de bottes. Elle se tourne vers moi.
-Elles sont grandes !
-J'ai l'impression que je les ai déjà vu.
-La Bête. Elle les avait aux pieds quand elle m'a enlevé.
-Bien vu ! me glisse le chaperon rouge. Et là, regarde !
Je me déplace dans la direction indiquée. Et vois une nouvelle image de moi apparaître dans un rectangle entouré d'or. Je me tourne vers le chaperon rouge, l'image se tourne dans le même sens que moi.
-C'est toi ?
Mais je vois bien que non, le chaperon rouge se trouvant sur ma droite. Je reviens sur ma seconde image.
Ça fait beaucoup, tu ne trouves pas ?
Je suis perdue. Je ne sais plus où j'en suis !
En arrière plan, les hurlements rauques de la Bête se font toujours entendre en cadence, entrecoupés de plaintes d'Herta.
Le chaperon rouge me regarde en souriant :
-Non, ce n'est pas moi, puisque je suis là !
Je me déplace vers elle, mon image disparaît du rectangle. Quelque pas en arrière, et l'image réapparaît. J'ai l'impression qu'elle fait les même mouvements que moi dans l'autre sens. Je lève la main droite, elle la gauche.
-Mais, il y a une autre image de moi ici !
J'indique la surface rectangulaire. Mon doigt touche quelque chose de dur et froid, et le doigt de l'image devant moi qui a également tendu le bras inverse.
 
-Pas par là ! Non !
-SI !
-Ah ! Non ! Ça fait mal ! Arrêt...
La voix d'Herta disparaît, tandis que les râles de la Bête continuent.
 
J'ai l'impression que l'image devant moi me ressemble plus que l'autre chaperon rouge, comme mon image trouble quand je me regarde dans l'eau. Mais quelle est cette magie ?
-Qui es-tu ?
L'image devant moi bouge les lèvres en même temps que moi, mais aucun son ne vient. Après quelques secondes sans retour, en dehors des râles sauvages et saccadés de la Bête, j'en déduis que ce chaperon rouge n'est pas de la même facture que l'autre. Il doit simplement s'agir de mon reflet d'une netteté jamais vue, à travers un objet inconnu, lisse, froid.
Tu es mignonne.
Merci. Toi aussi, en fait.
-Elle doit vraiment avoir mal !
L'autre chaperon rouge a l'art de me sortir de mes rêveries. Elle se trouve au droit de la porte. Je la rejoins, pour tomber sur une scène sidérante. Herta est a quatre pattes sur le lit, le visage rouge ruisselant de pleurs et de sueur, la bouche cachée par une patte velue de la Bête qui la chevauche par derrière, sa tête massive penchée en l'air, les yeux fermés, une sensation d'extase au visage. Son bassin fait de brusques aller-retour, qui se répercutent dans tout le corps d'Herta. Cette scène me donne la nausée. Une chaleur envahit mon entrejambe. Je rebrousse chemin dans la pièce sombre et respire de nouveau calmement.
-Je n'aimerais pas être à sa place, me glisse le chaperon rouge en me passant devant et en continuant son inspection de la pièce.
 
J'entends de nouveau la voix d'Herta. La patte qui la bâillonnait a due tomber. Ces gémissements sont moins violents, et semblent changer de registre. Le chaperon rouge me fait des signes. Je m'approche. Les « non » d'Herta ne semblent plus être criés sous l'effet de la terreur. J'aperçois un fuseau de fileuse qui trône sur une petite table, un rayon de lune rouge tombant pile dessus. J'entends Herta ahaner à la Bête « de la toucher ». Celle-ci lui répond qu'elle ne peut pas, avec ses griffes. Le fuseau a l'air magnifique, avec sa pointe métallique acérée servant de support au fil. Je tends la main. Les « non » d'Herta se sont transformés en « ouai ». Le chaperon rouge me dit :
-Attention, tu pourrais te faire mal ! Fais tester à Herta avant, plutôt.
Au même moment, deux hurlements de jouissance intense surviennent simultanément de la pièce voisine.
 
 
J'ai l'impression de voir quelque chose bouger dans mon champ de vision.
-Là, il y a quelque chose qui bouge !
Le chaperon rouge m'indique un coin de la pièce fortement encombré.
-Tu es sûre ?
-On a qu'à aller voir, me répond-elle.
-C'est peut-être dangereux !
-Moi, j'y vais ! Tu as en confiance en moi ?
-Je... Je ne sais... oui ?
-Alors viens !
 
-CA FAISAIT TELLEMENT LONGTEMPS !
-Ce... C'était... Trop bon J'avais jamais r'ssentie ça. Je... J'ai l'impression d'mettre jamais sentie aussi faible, aussi démunie, mais aussi femme !
 
Je m'avance prudemment dans le recoin sombre où se trouve le chaperon rouge. Un bruit d'objet qui se renverse dans mon dos me fait sursauter.
-Oups, éternue une voix nasillarde.
-Fais gaffe, grommelle une autre voix.
Je me retourne, mais ne vois rien. Je demande au chaperon rouge :
-Tu as entendu ?
-Oui. Ça venait de derrière toi. Mais j'ai l'impression qu'ici aussi, quelque chose bouge. Je ne vois pas bien.
 
-Et quel membre ! Faut y aller douc'ment au début, j'avais l'impression d'm'faire déchirer d'partout. Mais qu'est c'qu'c'était bon !
-TON CORPS, TON ODEUR, TES FORMES, LE DESIR EST MONTE TROP VITE. ET CA FAISAIT TROP LONGTEMPS QUE JE N'AVAIS PAS PRATIQUE !
-Ihihih, ça coule sur le lit.
 
Là ! Dans un fatras d'objets entassés, un bout de tissu pointu semble dandiner. Je cours dessus.
-Faites gaffe ! lance une voie doctorale dans mon dos.
Des bruits feutrés. Je contourne une boite, plus rien. Si là, de l'autre côté. Toujours ce petit bout de tissu qui danse. Je reviens sur mes pas, contourne la boite dans l'autre sens et plonge. Mes mains agrippe un long bonnet en tissu. Ce qu'il y avait en dessous s'échappe en éternuant, sans que je ne puisse voir ce que c'est.
-Elle m'a pris mon bonnet ! se lamente une voix tout prêt.
 
-MON HUMBLE DEMEURE DELABREE ET ENVAHIE DE VEGETATION ME SEMBLE BIEN TROP VIDE. SURTOUT D'UNE PRESENCE FEMININE.
-J'rest'rais bien volontiers, mais, belle bête, j'vais bientôt mourir.
Herta renifle un grand coup.
-ET POURQUOI DONC ?
 
-Là, j'en ai vu un !
Je me relève et me tourne vers le chaperon rouge qui se trouve toujours de l'autre coté de la pièce. Elle tend le bras derrière une penderie remplie de vestes et pantalon. Je m'approche d'elle. Des bruits de pas feutrés résonnent de partout dans la pièce.
-Qu'as-tu vu ?
-Je ne sais pas trop, il fait bien sombre, mais on aurait dit un petit être humain avec un long bonnet en laine.
-Comme celui-là ?
Je lui montre ma prise.
-Oui.
Une voix timide et bredouillante résonne :
-At...attention, le... le maître arrive !
Des bruits de pas précipités dans tous les sens.
-Viens, cachons-nous là ! me glisse le chaperon rouge.
Je la suis derrière la penderie. La lumière provenant de la porte disparaît, cachée par la masse sombre de la Bête qui se dessine. Elle gronde :
-LA JEUNE DEMOISELLE DANS MON LIT, A LAQUELLE JE TIENS TOUT PARTICULIEREMENT, A MAL AU VENTRE. ALLEZ ME CHERCHER MA FIOLE D'EAU DE LA VIE !
-Tout de suite, maître ! baille une voix pas trop loin de moi.
Des bruits de pas précipités se font entendre, et j'entraperçois une ombre dans le couloir partant à droite. La Bête s'avance dans la pièce sombre.
-ET LA DEMI-PORSION ? SAVEZ-VOUS OU ELLE EST ?
-Elle est dans la pièce, on l'a à l’œil, maître, répond la voix doctorale.
-BIEN ! CONTINUEZ AINSI. JE VEUX TOUJOURS SAVOIR OU ELLE SE TROUVE.
-Oui, maître.
Des bruits de pas reviennent du couloir et traversent la pièce.
-Tenez, maître ! baille la voix.
J'ai beau scruter à travers les vêtements, la masse de la Bête me cache du porteur. La Bête relève la tête dans ma direction. Je relâche les vêtements et me blottis. J'entends la Bête repartir. Je ne sais que faire.
On a qu'à attendre ici que quelque chose se passe ?
Oui, je crois que tu as raison, j'ai trop peur de sortir de la cachette avec les... choses qui nous espionnent.
Je regarde le chaperon rouge à côté de moi. Pour une fois, elle n'a pas l'air très sûre d'elle.
 
-Regardez, la jeune demoiselle a l'air d'aller mieux, bredouille une voix.
Bruissements alentours.
-Oui. Et le maître est content. Ça faisait longtemps que je ne l'avais pas vu comme ça, grommelle une autre voix.
-Moi non plus, répond la voix ensommeillée.
-Eh ! Re... regardez ! Elle l'embrasse !
Une nouvelle voix, joyeuse celle-ci.
-Quoi ? Maismaismais...
Encore une nouvelle voix. Simplette. Mais combien sont-ils ?
 
La voix puissante mais paniquée d'Herta me sort de mon décompte :
-Eden ! Eden ! Au s'cours ! Eden !
Des bruits de pas s'éparpillent dans la pièce sombre. Je traverse le mur de vêtements et entre dans la chambre, pour voir Herta ébahie, assise sur le lit. Devant elle, la Bête, se tenant la tête des deux pattes, est en train de se transformer...




Et les autres, par Bat.Jacl

Allongée depuis le lit, Herta regarde l’énorme bête proche de la commode. La jeune fille se tient tordue sur le matelas, encore étourdie par les évèneme…