Piégé, par Aconitum

Un craquement terrifiant se fait soudain entendre, suivi d'un autre, plus insupportable encore. J'ai toujours eu en horreur le son des choses qui se brisent, synonyme que ma maladresse avait encore u…




Chapitre 3: Araignée, par Shadowlight

Bordel, c’est quoi ce délire ! Une araignée qui parle ?


Mon cœur tambourine dans ma poitrine oppressée. La fuite parmi les méandres du labyrinthe de verre et d’acier m’a vidé de toute force, encore plus maintenant que je me sais foutu. Du sang coule depuis ma joue ouverte, traînée écarlate poisseuse sur le masque souple qui couvre ma bouche et mon nez.


Mon souffle saccadé accélère la consommation de ma réserve d’oxygène. Mais je n’ai pas le choix. Bien que l’aiguille de l’analyseur de gaz ne cesse de baisser, l’atmosphère ambiante conserve une teneur anormale en méthane. Je ne peux l’enlever malgré la condensation sur ses parois de plastique, sa chaleur qui m’étouffe et m’empêche de reprendre correctement ma respiration.


Je me force à regarder la chose en travers de mon passage, vers la sortie, vers la lumière diaphane du jour au loin. L’épuisement de ma course, conjugué à l’angoisse me noue les tripes, me fige sur place. Par tous les saints, comment cet insecte géant peut-il parler en plus d’exister ? Dans le monde animal, aucun arachnide ne possède de cordes vocales !


Sombre idiot. Puis-je encore évoquer un savoir scientifique confronté à ce que nous venons de découvrir ? Certainement pas. Aucune rationalité ne persiste ici-bas. Pourtant je cherche encore à m'y raccrocher.


La sueur ruisselle le long de mon dos, imprègne chaque pore de ma peau. Je frissonne sous ma chemise. Je tremble alors que je me noie dans le gouffre de mes terreurs. Paralysé. Je n’arrive plus à réfléchir. Pourtant, quelque chose tente d’émerger à la surface, de briser la panique qui obère ma raison. Mais je ne parviens pas à mettre le doigt sur ce qui cloche, a retenu mon attention. Seule persiste l’horreur.


L’air qui m’alimente brûle mes poumons, aussi sec que la fournaise au dehors. Elle avoisine les soixante degrés Celsius. Mais ici, c'est aussi frais qu'une tombe. Notre tombe. Ma tombe.


Combien de réserve me reste-t-il avant de me retrouver en hypoxie ? Je n’ose pas jeter un œil à la jauge du respirateur. J’ai trop peur de déclencher une réaction de la créature. Une attaque signerait la fin de cette stupide aventure archéologique.


Soudain, une prise de conscience brutale m’assène une gifle monumentale. Cette voix ne m’est pas inconnue.


Non ! Dieu, aidez-moi ! C’est celle… de Ronan ! Mais il est mort, bouffé par cette saloperie, comment… ?


Contre toute attente, ma foutue lampe revient à la vie. L’horreur absolue se révèle dans le faisceau tremblotant qui balaye le corps velu face à moi. Là, derrière les mandibules, il y a quelque chose en mouvement. Une excroissance incongrue sous l’abdomen de la bête.


La tête de Ronan.


Elle oscille de droite à gauche, fusionnée par le cou à l’animal. Ses yeux vitreux roulent dans leur orbite sans me voir, les muscles faciaux se contractent de façon anarchique, sa bouche s’ouvre, ses lèvres blêmes s’animent. Et la chose parle à nouveau :


— Tu sembles décontenancé, humain. Tu ne t’attendais quand même pas à t’en sortir ? Tu m’as fait courir, mais le jeu touche à sa fin. Tu n’as aucune chance de survivre à ton compagnon.


Mon cerveau s’active désespérément. Je dois trouver une échappatoire à ce cauchemar. Je déglutis à plusieurs reprises, puis réponds en bafouillant au travers du silicone qui couvre mon visage :


— Pitié. Nous… nous… sommes juste des explorateurs.


— Mensonges ! J’ai accès aux souvenirs de Ronan. Je sais tout de vos motivations. Pouvoir, avarice, sont les moteurs de votre venue.


Je frémis encore une fois à l’écoute de cette voix désincarnée, mais si familière.


Je maudis la photo envoyée par le Conseil National de la Recherche Archéologique. Un cliché qui révélait une anomalie structurelle détectée par le LiDAR satellitaire. Sans lui, jamais Ronan et moi n’aurions imaginé nous retrouver dans la région la plus inhospitalière du globe. Le Rub Al-Khali, surnommé à juste titre le « quart vide ». Mais le CNRA nous avait demandé d’enquêter à moindres frais sur ce qui pouvait être les vestiges d’une civilisation disparue, nichée entre l’Arabie Saoudite, le Yémen et le Sultanat d’Oman. Emplis de rêves de gloire, cette découverte archéologique nous aurait incontestablement assuré à Ronan et moi une reconnaissance mondiale.


Mais ce n’était pas des ruines cachées sous les sables ardents de ce désert de merde. Et nous allons crever pour cette erreur d’appréciation.


Enfin, juste moi, maintenant.


Pourtant, même en cet instant de terreur absolue, je ne peux m’empêcher de songer aux merveilles que recèle ce vaisseau extra-terrestre enfoui ici depuis des temps immémoriaux. À n’en pas douter, tout ce qu’aucun d’entre nous n’osera jamais imaginer.


Les mandibules claquent soudain et m’arrachent à mes pensées. Je vois un liquide suinter entre elles. Du venin ? Les huit yeux aux multiples facettes sont des abysses de noirceurs. Ils me fixent avec une froideur qui me glace le sang. Jamais je ne parviendrai à rallier la jeep. Je tente une dernière intervention pour reculer l’inévitable.


— Que… qu’êtes-vous ?


Les lèvres de Ronan bougent à nouveau.


— Votre fin. Je suis le Semeur. Je suis venu ici pour coloniser ce monde encore primitif il y a de nombreux éons. Mais une météorite géante a alors frôlé mon vaisseau au moment de sa rentrée dans l’atmosphère, l’envoyant s’écraser à des milliers de kilomètres du point d’impact. L’astéroïde a fini sa course dans l’océan, déclenchant un cataclysme planétaire. Je n’ai eu d’autre choix que d’hiberner en attendant la conclusion de l’apocalypse qui causa l’extinction de masse de ce que vous appelez dinosaures. Mais les circuits qui devaient me réveiller ont défailli suite au crash. Enseveli sous des tonnes de sédiments, ma catalepsie a duré bien plus que nécessaire, 66 millions de vos années plus exactement. Sans vous, elle aurait duré indéfiniment. Lorsque que vous avez forcé et laissé ouvert le sas, de l'air extérieur s'est introduit, a modifié la teneur de l’atmosphère interne. Cela m’a ramené à la vie. Mais trève d'explications. Grâce à l’encéphale de Ronan, je comprends que vous êtes l’espèce dominante désormais. Je dois donc vous éradiquer. Ici réside des secrets auxquels aucun être intelligent ne doit accéder. C’est dans les tréfonds de l’arche que sommeillent mes œufs. Des milliards, prêts à éclore.


Mon Dieu ! C’est de la folie ! Qu’avons-nous fait ?


Mon cerveau abasourdi cherche une solution. Mais que puis-je faire, moi pauvre humain, face à cette abomination stellaire. Je suis si insignifiant. Il ne me reste qu’à mourir. Au moins je n’assisterai pas à l’horreur que nous avons déclenchée par notre absurde quête de gloire.


Soudain un « blip » retentit et crève l'abcès du silence de cette situation dramatique. Ce n'est que le rappel de l'arrivée à terme de la réserve d'oxygène de mon respirateur. Manquait plus que çà.


Mais ce son inopportun fait germer l'idée, la solution ultime pour mettre un terme à cette folie. Une échappatoire définitive, peut-être salutaire pour les autres. Pas le choix.


Ma main fébrile farfouille dans ma poche de pantalon.


Où est-il , putain !


Mon Dieu, faites que je ne l’ai pas laissé dans la jeep !


Ma paume moite effleure la surface lisse qui représente l’espoir de toute l’humanité. Aurais-je le courage nécessaire ?


Je plonge mon regard dans les yeux noirs terribles de la bête. Impossible de déchiffrer quoi que ce soit. Aucune émotion. L’araignée se met en branle et se rapproche de moi. Elle a décidé de me tuer.


Je sors de ma poche le carré de métal brillant, l’ouvre d’un doigt et actionne le zippo du briquet. Une flamme naît. C’est la dernière chose que je vois avant que le méthane contenu dans le vaisseau extra-terrestre s’embrase.


Sa teneur, combinée à celle de l’air extérieur se trouvait comprise entre cinq et quinze pour cent… le parfait seuil d’explosivité du méthane en milieu confiné.


 




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