La Belle, la Bonne et la Bête, par Wargen

Je plaque ma main gauche sur la bouche d'Herta et sens ses lèvres bouger sous ma main moite. Je tiens fermement le couteau de ma main droite. Pas être si ferme que ça, vu comment …




Chapitre 12: Et les autres, par Bat.Jacl

Allongée depuis le lit, Herta regarde l’énorme bête proche de la commode. La jeune fille se tient tordue sur le matelas, encore étourdie par les évènements. L’eau de la vie a fait son effet, du moins Herta ne se sent plus mourante. Sur son visage, un sourire épars apparait même, tandis qu’elle admire le dos musculeux qui la surplombe.
La bête s’affaire à ouvrir la lourde commode face à la couche. Au bout d’efforts, l’être tout en muscle finit par en sortir un paquet rectangulaire, qu’il tend vers Herta comme une proposition. Ce dernier mouvement un peu trop brusque provoque l’instinct de la jeune fille, qui resserre ses jambes craintives d’un second round, se sachant incapable d’encaisser le choc. Puis elle se sent bête quand elle comprend que ce n’était pas l’intention de son interlocuteur.
Ouf, tant mieux !
Elle fixe la forme rectangulaire flexible.
— Je n’connais pas. C’est quoi c’truc ?
— SI TU NE CONNAIS PAS, ALORS C’EST QUE TU N’AS PAS BESOIN D’EN AVOIR UNE ! râle la bête en plaçant un tube blanc dans sa bouche.
Même dans ses ronchonnements, le coffre volumineux de sa cage thoracique libère chaque phrase avec violence. La bête avance son visage, et plus particulièrement l’extrémité du tube vers la flamme d’une bougie. Il aspire avec puissance lorsque l’objet commence à s’embraser. Et en se tournant vers le lit, surplombant Herta d’une hauteur effrayante, il souffle par les narines un air épais. Dans sa prestance, Herta lui trouve des allures dragoniques. Son instinct lui conseille de se blottir, mais elle n’en fait rien et sourit.
— Dire qu’les villageois pensent qu’t’es un loup !
Les sourcils broussailleux visibles au milieu de son pelage se contractent avec violence. Et une rangée de crocs acérés se dévoile. Sa mâchoire de prédateur ressemble en effet au canidé.
— TU AS UN PROBLÈME AVEC MON PHYSIQUE ?
— Mais nan, grand bêta ! Juste qu’t’es pas plus loup que dragon, ou ours… ou je ne sais quoi d’autre ! T’es même plus humain que loup !
Un nouveau nuage de fumée envahi la chambre, encore plus lourd et dense que le premier. Le brouillard s’installe vite malgré la hauteur de la pièce. Les canines démesurées du Prince ne se rangent pas pour autant.
— Roh voyons, fais pas la tête ! T’as bien vu qu’j’l’aime ton physique, lance Herta en appuyant son regard sur le bas de son propre corps.
Les cuisses de la demoiselle laissent entrapercevoir un entrejambe loin d’être glabre, mais surtout luisant. L’humidité dévoilée ne cesse de se renforcer devant l’allure dismorphiquement musclée en face d’elle. Les crocs se retirent enfin, et un léger sourire semble même pouvoir exister sur ce visage tendu.
— QUAND JE SUIS ÉNERVÉ, JE DÉVOILE TOUJOURS MES CROCS, soupire le prince. ET FORCÉMENT QUAND JE VIENS SECOURIR LES VILLAGEOIS DE L’AUTRE GROSSE CONNE, JE SUIS TOUJOURS ÉNERVÉ. CETTE SORCIÈRE ME MÈNE VRAIMENT LA VIE DURE.
Il aspire avec force sur son tube blanc incandescent, alors que son regard s’est perdu dans l’entrejambe dévoilé sans pudeur. La bête offre à nouveau un petit sourire involontaire.
— C’EST D’AILLEURS BIZARRE… EN BAS, TU AS UN GOUT DE SUCRERIE.
Herta retient un rire nerveux, comme une gêne. Elle se remémore se bâfrant de cochonnerie chez une inconnue, tombant ainsi dans un piège grossier. Bêtise qui conduisit à la mort de Michon. Au moins, elle a eu de la chance. Un doute se dessine alors sur le visage de la bête, et une lueur de panique éclaire son regard.
— SUCRERIE… PAIN D’ÉPICE, POUR ÊTRE PLUS PRÉCIS… COMME LA MAISON DE L’AUTRE GROSSE CONNE D’AILLEURS. ÇA TE DIT QUELQUE CHOSE ?
— T’inquiètes plus pour elle, répondit Herta avec tout l’aplomb des inconscients.
Le prince fronce les sourcils en quête d’explication, mais ses doigts commencent à trembloter.
— L’est mort la vioque !
— QUOI ? NON ! ELLE NE PEUT PAS MOURIR !
Sa voix, mélange de colère et d’une petite pincée de panique, monte dans les tours. Son tube incandescent disparait en une seule et dernière énorme bouffée.
— On l’a tué avec mes amis… se défend Herta qui ressent le changement de ton.
— ELLE SE RÉGÉNÈRE QUAND ELLE MEURT ! SES MALÉDICTIONS RESTENT ACTIVES.
Herta se terre dans l’immense lit. Ses jambes se referment. Le souffle de la bête s’accélère et sa voix puissante ne cesse de prendre en intensité.
— DONC JE SUPPOSE QUE TON GOUT DE SUCRERIE PROVIENT DE CHEZ ELLE ?
Les murs résonnèrent dans le crissement de sa dernière phrase. Herta s’enroule dans les draps, comme pour se protéger.
— Oui, elle… elle nous a empoisonné moi et mon ami !
— NOOOOOON ! hurle la bête jusqu’à en faire trembler le sommier. ELLE A FINI PAR ME PIÉGER !!
Il se retourne de rage et balaye la commode derrière lui pour évacuer son désespoir. Herta est effrayée, terrorisée même. La bête plaque alors ses deux mains sur son visage et entame un long rugissement au bord de l’asphyxie. Herta panique :
— Eden ! Eden ! Au s’cours ! Eden !
Eden traverse le mur de vêtements et entre dans la chambre, pour voir Herta ébahie, assise sur le lit. Devant elle, la Bête, se tenant la tête des deux pattes, est en train de se transformer…
 
***
 
Alors qu’Eden accourt aux cris de son amie, en direction de la chambre du prince, le chaperon rouge reste immobile. Juste avant de partir, Eden a bien remarqué la nouvelle pâleur du visage du chaperon rouge. Mais elle n’a pas eu le temps de s’en soucier plus. La torpeur du chaperon rouge lui oblige à fixer le miroir. Ses lèvres tremblotantes ne parviennent pas à formuler la moindre phrase. Elle aurait voulu hurler son mélange de dubitation et de terreur, mais à la place, il ne reste que sa tétanie. À travers cet objet lisse et froid, le chaperon rouge ne se voit pas. Pourtant elle connait ce miroir, et surtout : son reflet s’y est déjà trouvé.
— Mais… mais… bredouille-t-elle. Pourquoi n’y suis-je plus ?
Elle se rapproche un peu plus et tend ses doigts en direction, mais rien n’apparait à part ce débarras sombre. Elle n’entend même plus les cris provenant de la chambre. Seul reste des petits clapotis, tels des pas minuscules qui virevoltent dans son dos. Mais c’est le dernier de ces soucis. Sa main s’affaire à des signes visibles uniquement dans cette partie de la réalité. La pauvre enfant tremble et a peur. Sans savoir exactement ce que signifie d’avoir perdu son reflet.
Sans se retourner, elle aperçoit une petite tasse en porcelaine blanche qui s’avance en sautillant. Et en s’approchant assez, cet objet de vaisselle la dévisage de ses deux grands yeux expressifs. Arrivée à ses pieds, la tasse prend sa respiration d’on ne sait où et émet une voix nasillarde d’enfant :
— Pourquoi on ne te voit pas dans le miroir ?
Le chaperon rouge voit alors le reflet de la tasse mouvante à côté d’elle.
— Je ne sais pas… réponds le chaperon sans être surprise de l’apparition d’un objet animé.
— Pourquoi tu ne sais pas ? réponds au tac au tac la tasse avec une voix qui lui donne un air terriblement stupide.
— En réalité, je devrais m’apercevoir… Enfin, je me suis déjà vue dans le passé. Je ne comprends plus trop…
Le chaperon rouge continue ses petits mouvements de bras, dans l’espoir de se détecter. Jamais un miroir aux bordures d’or ne lui avait paru si morbide.
— Pourquoi est-ce que tu devrais te voir ?
La tasse ne cesse de gesticuler. Ses yeux prennent de plus en plus de place sur son corps de céramique, comme un signe d’étonnement. Une réelle curiosité émane de cet objet.
— C’est le miroir de ce monde… J’étais déjà venue au château… Et je suis à nouveau là…
— Oh ! tu es déjà venu ici ? C’est super bizarre ! s’esclaffe la voix qui ressemble de plus en plus à celle d’un petit garçon à peine en âge d’aller à l’école.
Le chaperon rouge décroche enfin son regard du miroir pour fixer son interlocuteur.
— Comment ça : « c’est bizarre » ?
— Bah oui je ne t’ai jamais vu… Tu m’as déjà vu toi ?
— Moi je t’ai déjà vu… enfin je sais que je t’ai déjà vu, mais je ne m’en rappelle plus… rétorque le chaperon rouge avec ses yeux maintenant perdus dans le vide.
Un pan entier de sa vie lui semble inaccessible, mais sans qu’elle puisse en être sûre.
— Du coup, tu connais monsieur le prince-bête ?
— Oui. Enfin non. Je le connais, mais je ne sais pas comment. C’est juste un prince non ? La bête c’est autre chose ? Je me rappelle plus… Il y a une histoire de transformation, non ?
La petite tasse fronce ses yeux, car elle n’a pas de sourcil à froncer. Elle ne comprend tellement pas la discussion qu’elle ne trouve aucune question à répondre cette fois. En quête de logique, le chaperon rouge reprend son monologue :
— C’est moi qui ai mené mes compagnons au château, car je connais la bonté du prince. Mais je ne sais pas si c’est parce que je connais ou uniquement parce que je le sais au fond de moi.
La petite tasse se désintéresse alors de la conversation.
Dans la pénombre derrière une caisse en bois de nouveaux petits pas se font entendre. Une forme ronde et sombre s’avance timidement, comme effrayée par le chaperon rouge.
— Timmy, viens là et arrête d’embêter la demoiselle avec tes questions idiotes !
La voix est aussi fluette que celle de la tasse, sinon plus, pourtant elle fait preuve de plus de maturité. Ce n’est pas une autre tasse, mais une théière, beaucoup plus grosse.
— Non il ne m’embête pas… répond le chaperon rouge sans quitter le miroir des yeux.
Les yeux de la jeune fille sont encore perdus dans le vague, elle ne regarde même pas son interlocutrice-objet pour répondre.
— Au contraire les questions m’aident à structurer mes pensées…
La petite tasse tente de sourire, du moins pour une tasse.
— Pourquoi tu as besoin de structurer tes pensées ?
Le chaperon rouge, jusqu’alors rempli d’évidence sur la route à suivre, se rend compte qu’elle est perdue.
— Parce que j’ai oublié plein de choses à un moment, mais je ne sais pas quand. Et maintenant, je me rends compte que je suis en permanence dans le flou…
La théière semble inquiète, et tente d’attirer la tasser vers elle.
— J’ai peur de disparaitre, conclut le chaperon rouge avec désespoir.
 
***
 
Son inspiration violente réveille la forêt endormie. Telle une brusque douleur, il en sursaute dans un mélange de panique et d’incompréhension. Le jeune homme reprend son souffle avec difficulté, tout en se touchant le torse avec vigueur. Un traumatisme se cache dans sa chair, à son insu.
Il regarde autour de lui, sans savoir où il se trouve, ne conservant qu’un gout amer en bouche. Il vient de vivre un rêve qui l’a vu mourir. Mais il l’oublie déjà. Celui-ci s’évapore dans une vieille odeur sucrée qui n’inspire que le dégoût. Son torse le fait souffrir. Il se relève avec peine dans un râle, en étant persuadé que c’est la nuit, pourtant le soleil dépose quelques rayons sur son visage, l’obligeant à masquer l’astre de sa main.
Pourquoi est-ce que je suis seul ici ?
Le jeune homme guette le sol autour de lui, s’attendant à voir d’énormes flaques de sang. Mais il n’y a rien. C’était bien un rêve !
Quel rêve ?
Une odeur nauséabonde de pain d’épice lui emplit les narines, plus réelle cette fois. Et dans la direction du vent et de l’odeur, il entend un bêlement.
Le jeune au physique musculeux avance et titube. Il est obligé de s’appuyer contre les arbres environnants pour ne pas tomber. Il est sur les hauteurs, et cette position lui permet d’observer le sentier en contrebas. Une vieille femme à l’apparence chétive tire avec force une chèvre du bout d’une corde. L’animal tente de toutes ses forces de résister, mais en vain. Les bêlements incessants tendent à l’épuiser encore plus, lui faisant petit à petit perdre le combat. Inexorablement, il cède des mètres vers son destin. Le jeune homme réalise alors que ce n’est pas n’importe quel chèvre. Il s’agit de la chèvre de monsieur Seguin. Mais il ne comprend pas ce qu’elle fait là, il l’a vu à l’instant avec monsieur Seguin. Mais un doute s’éveille en lui quant à ce fameux « à l’instant ». Il ne sait plus si c’était il y a 5 minutes, dans la matinée, hier, dans la semaine, ou bien avant. Comme si le jeune homme n’est plus capable de discerner le temps.
Son regard retourne en direction de la femme. Lors d’un grand mouvement de ses bras pour attirer la chèvre vers elle, son visage se dévoile. Le corps du jeune homme réagit sous la forme de panique. Il se jette derrière l’arbre afin de ne plus être visible. Il ne lui semble pas connaitre cette vieille dame, pourtant une peur est ancrée dans son cerveau reptilien. Comme l’instinct de la proie quand elle voit son prédateur. L’odeur de pain d’épice ne lui a jamais paru aussi abjecte. Et Michon sait qu’il ne doit plus jamais accepter un repas de cette vieille sorcière : hors de question de se faire piéger deux fois de la même manière !




Botter en touche, par Bat.Jacl

Une longue plainte sort du buste incommensurable de la Bête, qui se met à gesticuler la tête de gauche à droite, les mains toujours posées sur ses tempes. Herta se re…

Confucius ? Confusions !, par Wargen

Une longue plainte sort du buste incommensurable de la Bête, qui se met à gesticuler la tête de gauche à droite, les mains toujours posées sur ses tempes. Herta se re…