On aurait dû le jeter du pont, par VanessaP

— Clarisse, passe-moi la pelle. Clarisse s’exécute, trop choquée pour réfléchir. Elle retourne au coffre du trois-cent-huit de son père, ré…




Chapitre 2: J+O, par MadBlackHands

« Ooh, you make me liiiiiive


Whatever this world can give to me


It’s youuuu, you’re all I seeeee »


Jo tape mollement le rythme des basses sur le cuir de son volant, c’est la seule chose qui le tient encore éveillé à cette heure tardive.


Il roule.


Depuis une poignée de minutes maintenant. Sur la route, personne derrière lui ni en face ; ses pleins phares noient le goudron de lumière, et il se réjouit de ne pas avoir à les éteindre à chaque croisement. Parfois, un nid de poule fait tressauter sa radio et ça le fait bien marrer Jo, quand la voix du chanteur se perd en grésillement, ça lui laisse le temps de réinventer des paroles qu’il oublie, de toute façon, à chaque fois.


« Ooh, you make me li---ve, honey »


 Les bois autour de lui s’éclairent progressivement, ils découpent un décor obscur à sa petite virée nocturne. Cette bonne vieille Martha ne s’en remettrait pas si elle apprenait où Jo s’apprêtait à cacher sa boîte à bijoux, durement volée ! Tout le village déteste la forêt ! Mais pas Jo. Ce p’tit coin de verdure, c’est son coffre au trésor, c’est là où il aime enterrer les fruits de ses larcins.


La cleptomanie est un trouble psychique qui se caractérise par une obsession à voler des objets.


Rien pour changer sa routine à ce bon vieux Jo.


Rien pour l’inquiéter.


Sauf les quatre gamins qu’il vient de croiser sur le bord de la route.


Alignés sagement sur le bas-côté, à peine visibles entre les arbres, ils avaient dévisagé Jo, la mine atterrée et blafarde. Le garde-forestier eut à peine le temps de les entrapercevoir qu’il tournait déjà dans un nouveau virage, les yeux brûlants et la bouche pâteuse. Une apparition ? Encore un tour de son imagination ? Que font-ils à une heure pareille, sur le bord de ma route, et autour de mon arbre ! ‘Sont pas censés dormir à c’t’heure-ci les gosses ?


Jo peste dans sa barbe, contraint de s’arrêter quelques mètres plus loin. Ce décalage lui bouscule son programme toujours parfaitement calibré, n’empêche que gamins ou pas, il doit absolument se débarrasser de son chapardage. Mais ça l’ennuie de ne pas le faire comme d’habitude. Vraiment.


« You’re my sun---shine


And I want you to know »


Il se gare lui aussi dans un chemin à la dérobée, suffisamment loin pour ne pas être repéré depuis la route. Par chance, sa voiture se fond bien plus dans le décor, et lui, il a son permis. Il éteint ses phares, allume sa lampe frontale, enfile ses gants, attrape sa pelle, sa pioche, son butin, et saute de la caisse. A défaut de pouvoir – comme d’habitude, bordel – creuser au pied de son arbre, le vieil homme furète entre les nouvelles cimes qui s’offrent à lui. Trop grand. Trop fin. Trop dur. Puis pas assez ceci ! Et encore moins cela ! Ses mains s’agrippent à la boîte de Martha comme s’il cherchait à garder une certaine contenance. Jo s’agace toujours trop vite, ses voisins le lui rappellent à chaque fois qu’ils en ont l’occasion.


L'anxiété peut créer des sentiments envahissants de peur, d'inquiétude et de crainte.


Les minutes défilent, il doit creuser son trou, peu importe l’arbre choisi désormais. Jo jette son dévolu sur un chêne commun et, à contrecœur, commence sa pénible entreprise. Il sait y faire, ça c’est certain, à la moindre difficulté, il sort sa pioche et élimine les plus grosses résistances à sa quête ; si bien qu’au bout de quelques pelletés, le petit puits ouvre sa bouche béante à son créateur. Plus qu’à y plonger le coffre et faire demi-tour !


Presque rien ne change de sa routine finalement.


Sauf que ce n’est toujours pas son arbre.


Le pauvre chêne subit un coup d’œil lassé, dans lequel brille un soupçon de colère, mais Jo n’a pas le choix. Il glisse son trésor à l’intérieur de la terre molle puis referme le tout. Il n’est pas satisfait, tant pis.


Ses outils retrouvent bien vite leur place sur le siège passager du pick-up, et le conducteur, derrière son volant, ne prend même pas la peine de retirer ses gants pleins de poussière, perdu dans la contemplation des pédales.


Hors de question de laisser son arbre aux mains de petits voyous incapables de faire les choses discrètement ! Jo s’extirpe en trombe de sa voiture, bien décidé à demander des explications à ce groupe de jeunes vandales. Il connaît la forêt comme sa poche, les retrouver ne devrait donc pas poser problème.


« Whenever this world is cru---el to me


I got you to h---elp me forgive »


Un faisceau de lumière perdu sur le sol capte aussitôt son attention dans le lointain, il accélère le pas, les poings enfoncés dans ses poches. Arrivé nez à nez avec une lampe torche abandonnée au pied de son arbre, Jo relève enfin les yeux.


Le silence de mort qui pèse sur les lieux lui vrille les entrailles.


« Ooh you make me live »


La 308 gisait là, cloporte de métal au cœur de l’obscurité, sans personne pour la conduire, où même pour la surveiller.


Personne.


« When things turn out bad


You know I’ll never be lonely »


-          Y’a quelqu’un ? tente Jo, avant de se baisser pour ramasser ladite lampe torche, sortez de votre cachette les jeunes, je vous promets que vous n’aurez pas d’problème.


Toujours personne.


Si ce n’est un bref mouvement à l’intérieur de la voiture noire. Jo dirige son rayon de lumière vers cet imperceptible tressaillement tout en s’approchant vers l’objet de sa colère, pourtant, la petite tête aperçue ne refait pas surface. Il en vient à toquer contre la vitre arrière, juste avant de braquer la lampe sur la banquette du véhicule. Et c’est là qu’il les voit. Recroquevillés sur eux-mêmes, planqués au pied des sièges, tous les deux tétanisés, les yeux rivés sur le nouvel arrivant. Jo constate alors que la portière n’est pas verrouillée, il lui suffit donc d’actionner la poignée pour enfin mettre un terme à cette affreuse aphonie.


-          Qu’est-ce qui vous arrive les morveux ? ‘Sont passés où vos p’tits copains ?


L’amitié est un sentiment d'affection, de sympathie qu'une personne porte à une autre.


Les deux enfants le scrutent, les lèvres tremblantes, cramponnés l’un à l’autre. A vue de nez, Jo ne leur donne pas plus de dix ans, voire beaucoup moins pour le garçon. Sa main libre vient gratter sa barbe d’un geste pensif, il n’a jamais été très doué avec les « morveux ». Il commence par détourner la lueur aveuglante de sa torche, puis entame avec le ton le plus rassurant qu’il a en stock.


-          Comment vous vous appelez ?


-          Jeanne, balbutie la toute petite fille – qui semble encore plus petite en cet instant – et lui c’est Elliot.


Jo opine du chef. Le voilà bien avancé. Il tourne sur lui-même, comme pour vérifier s’il n’y avait personne d’autre de planqué dans les fourrés. Son attention finit inéluctablement par retomber sur ses deux interlocuteurs.


-          Qu’est-ce qui vous est arrivé ? Où sont vos putains d’autres camarades !


Si sa voix vire au brusque, Jeanne ne détourne pas les yeux du grand type qui lui fait face. Elle tremble à la fin de sa phrase, mais reste accrochée à ce type. A cet adulte. Responsable et bien plus capable de gérer la situation.


« I’m happy at hom---e »


La pauvre jeune fille, sans lâcher Elliot une seule seconde, parvient à dégager un de ses bras de leur étreinte désespérée pour venir pointer du doigt l’arbre juste derrière le garde forestier. L’arbre de Jo. Et alors que ce dernier fait enfin volte-face pour le contempler, la gamine ouvre la bouche, encore humide de larmes.


-          On a fait une bêtise. Une grosse bêtise. Et… Et Jonas… Jonas a voulu creuser un trou ici… Sauf que Nathan voulait le jeter du haut du pont… Alors que Clarisse… Elle voulait juste…


Jo ne suivait déjà plus le fil de l’histoire. D’abord, parce qu’il ne comprend rien aux jérémiades de Jeanne – sans pour autant faire beaucoup d’efforts pour inverser la tendance – mais surtout parce qu’une toute autre chose captive sa concentration.


Sur le tronc de son arbre, là où l’écorce dénude un peu le bois, il s’écrase contre un souvenir. Un « J+O », inscription trop tendre pour être supprimée par le temps, reluit dans les étincelles de sa loupiote. Jo sourit. Ce genre de sourire amer qui rouvre des plaies anciennes.


Olivia.


C’est son arbre. Le leur.


Jusqu’à ce qu’elle disparaisse en forêt, un soir d’hiver.


-          L’arbre a avalé le monsieur ! Enfin non… Il l’a mis dans le trou ! Et puis, et puis, et puis… Ils se sont tous les trois approchés, pour voir. Mais l’arbre les a avalés aussi ! Ils ont disparu ! Clarisse, Nathan et Jonas, tous les trois ! Ils sont sous l’arbre maintenant ! Je veux ma maman…


Le récit de Jeanne s’étouffe dans une nouvelle salve de sanglots, ce qui a pour effet de reconnecter Jo à la réalité. Il ne peut s’empêcher de retenir un juron.


Ça a recommencé.


Sans vraiment savoir comment rassurer les deux enfants, le type se gratte derechef la barbe, le regard évasif.


-          Bon… Les morveux… Surtout vous ne bougez pas d’ici. Je vais aller les chercher ces Clara, Nathaniel et compagnie, pas d’inquiétude, vous êtes plus ou moins en sécurité ici.


Elliot renifle de la façon la plus bruyante et immonde qui soit.


-          Je reviens vite.


Sur ces brèves paroles, Jo claque la porte de la 308 et n’a même pas le temps de voir les deux petites têtes se coller à la vitre, déjà en route vers le tronc de l’arbre.


En tête à tête avec le géant végétal, Jo se sent tout petit, presque autant que Jeanne et Elliot, restés sagement dans la voiture. Il constate rapidement que l’arbre semble surélevé, créant une petite cavité entre ses racines et le sol.


Et au fond de cette minuscule grotte, il les surprend, ces deux petits points lumineux qui brillent d’un drôle d’éclat. Comme deux yeux assoiffés dans les ténèbres. Un soupir gras vient lui percer les tympans, juste avant de s’évanouir dans le vent. Pourtant Jo, à l’inverse de Jeanne, ne frémit pas d’un pouce.


Des cris résonnent sous terre.


Jo passe une main distraite sur la gravure d’une époque révolue, saisit une racine de l’arbre dépassant de la mélasse et fait une prière. A quel dieu, il ne sait pas vraiment, mais en cet instant même, il y croit dur comme fer.


La souche chauffe sous ses doigts.


Aussitôt, l’arbre engloutit Jo dans un enchevêtrement de racines et il s’enfonce à son tour dans les profondeurs de la terre.


Elliott et Jeanne, tapis dans l’ombre, ont tout juste le temps de le voir disparaître entre les écorces que déjà, un nouveau mouvement se fait au pied du colosse de feuilles.


Ils ne peuvent retenir un dernier cri : le petit tas où devait reposer l’homme cambrioleur, celui-là même qu’ils ont accidentellement tué deux heures plus tôt, s’agite sous leurs yeux.


« Oh you’re my best friend oooooh


Ooh you make me live


Live, live, live


I’m happy at home ».




Pendant ce temps, par saule

         Laure éclate de rire à la blague de Bertrand, de concert avec les autres. Bon sang, ça fait du bien de se prendre une soiré…