Juillet-Aout 2023, par Bat.Jacl

Défi d'écriture : Un été au bureau Dans ce défi d'écriture, vous allez explorer l'histoire d'un employé ou d'une employée qui se retrouve seul…




Chapitre 1: En tête-à-tête avec Robert, par marion.bidou

Jaune. L'écran de mon ordinateur tend vers le jaune quand je pousse le contraste au maximum. Et se grise quand je le réduis. Mmh, c'est bon à savoir, j'essaierai de m'en souvenir. Les autres paramètres de réglage défilent au fur et à mesure de mes clics silencieux : netteté, luminosité, trapèze... Que d'amusements en perspective ! Je vais pouvoir occuper au moins quinze minutes à tout modifier puis à tout remettre en ordre. C'est palpitant !


J'y songe... Peut-être devrais-je prendre des notes au fur et à mesure de mes découvertes ? On n'a jamais le temps de s'intéresser à ces choses-là pendant les coups de bourre, et c'est toujours quand on en a besoin qu'on perd un temps fou à régler la luminosité ou le rétro-éclairage. Existe-t-il seulement un guide d'utilisation des écrans de la boîte ? Nous avons tous les mêmes, dans l'open space. Ce serait bien qu'au moins quelqu'un maîtrise le sujet. Des volontaires ? Non ? Ah, apparemment, je suis le seul à lever la main. Ok, je vous rédige un mémo pour demain !


Pas étonnant qu'il n'y ait que moi qui lève la main : je suis tout seul dans l'open space. Tout seul, sans compter Robert. Robert, c'est le ficus de la machine à café. Il n'avait pas l'air bien, je l'ai pris sous mon aile. Je l'ai placé juste à côté de moi, à la place de Bertille. Elle me manque, Bertille. Elle était chiante, mais au moins elle mettait un peu de vie dans le bureau.


Là, de la vie, il n'y en a pas beaucoup. De moins en moins, dirais-je, en regardant tournoyer les feuilles de Robert qui s'étiole tristement. Il faisait chaud à côté de la machine à café, en plein soleil, et personne n'a pensé à l'arroser avant de partir en week-end. Tout le monde est parti d'un coup, zou ! Même la femme de ménage a eu son congé. Il n'y a plus personne, alors à quoi bon venir vider des corbeilles déjà vides ou nettoyer des wc qui n'ont pas servi ? Finalement, c'est sympa qu'on lui ait proposé cette quinzaine d'arrêt, je suis sûr que ça lui fera du bien. A moins qu'elle soit seulement en train de nettoyer d'autres bureaux, dans un autre bâtiment ? Toujours est-il que le pauvre Robert, qui n'avait qu'elle pour penser à son bien-être, s'est mis à dépérir. Heureusement pour lui, j'étais là lundi matin, et j'avais l'œil ! Dès que j'ai remarqué le petit amas de feuilles jaunes à son pied, j'ai entrepris des recherches, collecté des données, et dans la journée, j'avais diffusé à mes 164 collègues, DRH et patron, un mémo sur la culture du ficus en intérieur. Je suis incollable sur la question, même si Robert peine à se remettre de son coup de chaud. Mais je veille sur lui.


Le mémo n'a pas encore été lu, bien sûr. Mes collègues sont tous en vacances : à la plage, à la montagne ou chez Mémé. Politique de la boîte : tout le monde prend ses congés en même temps que le patron. Nous sommes le 17 juillet et je suis tout seul dans les bureaux. Privé de vacances, comme un gamin qui aurait été mis au coin. C'est à peu près ça : j'ai rédigé un mémo un peu trop borderline juste avant le congé annuel, ça n'a pas plus aux N+1 et au boss. Ils ont choisi de me sanctionner de la plus exquise façon : je prendrai mes congés entre le 15 novembre et le 1er décembre. Et je dois pointer tous les jours pendant l'été, ce sera vérifié à leur retour.


Alors chaque matin, j'arrive au travail, je pointe, je salue Robert, j'allume mon PC et je réfléchis à ce que je vais faire de ma journée. On ne m'a pas donné de consigne précise, les collègues ne sont pas là pour avancer sur les dossiers, les courriels se font rares car les autres boîtes sont en congé... Je suis mon propre maître ! Du coup, je rédige des mémos. Et je les envoie à toute la boîte. Je me suis donné comme objectif de rédiger six mémos par jour.  C'est assez costaud, ça nécessite une discipline de fer ! Et je m'y tiens, depuis déjà une semaine.


Parmi les sujets traités, j'ai abordé les soins au ficus, le fonctionnement de la photocopieuse, le système de ventilation, les consignes de sécurité dans l'ascenseur, la conduite à tenir en cas de chute de météorite, en cas d'invasion zombie, en cas d'attaque de drones, les règles d'hygiène aux toilettes, l'analyse nutritionnelle des barres chocolatées de la machine à café, le nécessaire nettoyage des boites mails... Figurez-vous qu'au bout d'un certain nombre de courriels non lus accumulés dans la boîte de réception centrale, le système peut saturer, voire planter. Bien entendu, ce n'est jamais arrivé, car Jérémy est là pour empêcher toute panne funeste.


Ah non, que suis-je bête, Jérémy est actuellement en train de se dorer la pilule aux Baléares et il n'en a rien à foutre de sa boîte mail pro. Ordre du patron : pendant les congés, tout le monde déconnecte ! C'est-y-pas bienveillant, ça ? Oui, c'est un bon patron ! Un bon patron, qui pense au bonheur de tous ses employés... Tous ? Non ! Un irréductible résiste encore et toujours depuis son open space à la con.  


Quand je veux faire une pause, je trouve d’autres petites blagues amusantes pour mes collègues. J’ai échangé tous les fauteuils de bureau. J’ai converti les PC en QWERTY et j’ai interverti la soupe et le cappuccino dans la machine à café. J’ai modifié le réglage de la photocopieuse : elle fait du A3 par défaut. J’ai basculé tous les téléphones en mode haut-parleur et j’ai mis un cadenas sur l’armoire à PQ. Après y avoir rangé tous les rouleaux de papier toilette de l’étage, bien sûr. Vous ai-je dit que j’avais vidé un flacon entier de laxatif dans la fontaine à eau du boss et du DRH ? Ça, bien sûr, je ne l’ai pas mentionné dans un courriel, mais j’ai quand même rédigé un mémo sur la conduite à tenir en cas de pénurie de pq. Peut-être auront-ils le temps de lire mon message avant d’en avoir besoin. Si les serveurs n’ont pas planté d’ici-là, bien entendu.


Bref, nous sommes le lundi 17 juillet, il reste encore sept jours avant que tout le monde revienne. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire aujourd’hui ?