À 19h chez les Faustin, par Lyn

  18 h 00. Quand Orianne éteint le sèche-cheveux c’est pour mieux laisser les babillements de sa petite sœur envahir ses tympans. — Dis, tu fais quoooi ? …




Chapitre 2: Les jeux, par AudreyLys

— Bon, il est temps que nous nous en allions, déclare monsieur Faustin. Bonne chance. 


— À propos de ça, demande aussitôt le garçon à lunettes en brandissant les "règles de bonne conduite", c'est très étrange, ça veut dire quoi ? 


— Tout ce que vous avez besoin de savoir se trouve sur cette feuille, répond madame avec un sourire ferme. 


— Ce que ma femme veut dire, précise monsieur, c'est que vous allez jouer à un jeu tous ensemble cette nuit. Considérez que ça fait partie du travail que nous vous proposons, en dépendra votre paie. 


— Paie ? 


Soudain intéressé, le garçon appelé Rémi lit la feuille de papier. Orianne l’a déjà fait, elle aussi l’a trouvée bizarre. Mais tout s’éclaircira sans doute bientôt, elle ne va pas se casser les méninges maintenant. 


—   Sur ce, nous vous laissons. 


—   Et les triplées ? s’inquiète Orianne. 


—   Nous les avons appelées, elles arrivent. Merci de votre présence, et bonne chance. 


Impossible de dire si leur ton est humoristique ou pas. Le couple laisse les sept « nounous » là, dans le salon.


 


***


 


— Ah ! Je suis si contente que vous êtes là ! 


À peine ses parents ont-ils disparu que débarque depuis les escaliers une adorable fillette aux couettes d’un blond éblouissant. Elle se jette pour faire un câlin au premier venu, à savoir une jeune fille qui se cache derrière une autre. Cette dernière semble complètement dépassée et balaie l’assistante d’un regard emprunt de panique. 


— Allons, tu es mignonne, mais il ne faut pas être si brusque, la réprimande gentiment Madeleine, tu ne nous as même pas dit ton nom. 


— Pardon ! Je m’appelle Félicité !


— Moi c’est Victoire. 


Une autre fillette blonde arrive, nettement moins pressée et joyeuse. Elle fixe les grands d’un air presque défiant. La ressemblance entre les deux sœurs est frappante, d’autant qu’elles portent la même robe noir à col blanc, seule leur coiffure permet de les différencier. Victoire arbore en effet une haute queue de cheval. 


— Bonsoir, lance la dernière des triplées, je suis Gloria. 


Elle gratifie l’assistance d’un sourire poli, ses cheveux à elle sont lâchés en élégantes boucles anglaises. Les trois jolies petites filles se rassemblent devant leurs superviseurs de la soirée. À vrai dire, autre chose les différencie, remarque Madeleine. Félicité porte des sandales à paillettes, Victoire des chaussures de course, et Gloria des ballerines noires. 


— J’ai un cadeau pour vous ! s’exclame une jeune fille un peu trop maquillée. 


Elle sort de son sac à main trois rubans, un vert, un rose et un bleu. 


— Ils sont de la couleur de vos trois héroïnes préférées, les SuperNanas, c’est bien ça ? Je les ai faits moi-même. 


— Oh c’est trop bien, merci ! s’écrie Félicité en attrapant le ruban rose. 


— Je serai Rebelle, dit Victoire d’un air satisfait en s’emparant du ruban vert. 


— Alors, je prends celui de Bulle, l’imita Gloria. Merci madame. 


— Mais de rien ! 


Madeleine ne connait pas les « SuperNanas » mais elle est ravie de voir que cette jeune fille d’apparence superficielle a eu une aussi délicate attention. Elle décide d’attendre pour révéler son propre petit présent.


 


***


 


— Le dîner est à 20h, déclare Victoire d’une voix autoritaire pour son petit gabarit. Avant ça, on va jouer à des jeux. Trois jeux. 


— Mais, on a pas le temps, objecta Ernest.


Depuis qu’il a lu les règles de bonne conduite, il a l’impression d’avoir chaud. Les ruminations de son père tournent dans sa tête. Non, il doit s’être trompé, cette mise en scène étrange n’a rien à voir avec des disparitions.  


— On va inviter des gens à jouer avec nous, dans nos chambres. On finira à temps. 


— Moi je veux que vous veniez jouer avec moi au Pictionary ! lance Félicité en désignant les deux filles qui restent collées l’une à l’autre (enfin surtout une reste collée à l’autre), et le quarantenaire. 


Ernest a essayé de retenir tous les prénoms quand ils se sont présentés, tout à l’heure, mais il a déjà oublié. C’est comme s’il pouvait entendre son père lui faire un sermon à ce sujet. 


— Vous, vous venez avec moi pour du Uno, fait Victoire en pointant du doigt la vieille (Madeleine ! Madeleine, c’est son nom), et… ah oui, Rémi. 


Il a retenu quelques prénoms, heureusement. 


— Vous joindriez-vous à moi pour une partie de Seven Wonders ? lui demande Gloria, ainsi qu’à celle qui leur a offert les rubans. 


— De quoi ? 


— C’est un jeu où on doit construire une des sept merveilles du monde, suivez-moi. 


Ernest échange un regard avec la jeune fille blonde. 


— Tu connais ce jeu ? s’enquiert-elle alors qu’ils franchissent les longs couloirs à la suite de leur petite guide. 


— Oui, j’y jouais avec des amis en ligne pendant le Covid. Mais je pense que c’est trop difficile pour une enfant. Il y a plein de règles et de cartes. 


Cependant, à sa grande surprise, Gloria leur présente une édition visiblement collector magnifique du jeu, et commence à distribuer les cartes en expliquant savamment les règles à – il venait de lui demander – Orianne. Non seulement ça, mais elle manque presque de gagner au jeu face à Ernest. Elle ne ressemble définitivement pas à une enfant, et cela le met mal à l’aise. 


 


***


 


Lucie n’a pas été mise en confiance par l’étreinte surprise de Félicité. Angie lui pose une main apaisante sur l’épaule. 


— Ce n’est qu’une petite fille, elle ne voulait sans doute pas te surprendre. 


Lucie hausse les épaules. Angie le sait, elle a failli perdre ses moyens devant tout le monde, alors même que la soirée n’a pas vraiment commencé. 


— Est-ce que tu peux te mettre dans mon équipe ? demande directement Félicité à Lucie quand le quatuor arrive dans sa chambre à la tapisseries rayée. 


— Heu… oui, si tu veux, balbutie la jeune fille. 


Angie lui glisse un sourire encourageant. Elles sont cousines et, depuis qu’elle est petite, elle se rappelle avoir toujours veillé sur elle. Ça lui semble comme naturel. 


— Vous serez contre nous, établie donc la fillette en poussant Angie contre le quarantenaire. 


Cette dernière ne se sent pas très confortable à jouer avec un inconnu beaucoup trop âgé pour vouloir être les nounous. N’a-t-il pas déjà un travail ? La vieille femme adore les enfants, mais ça n’a pas l’air d’être son cas. Enfin, s’il s’était montré aussi affable qu’elle, Angie l’aurait suspecté de pédophilie. Elle ne sent pas ce type. 


Il est d’ailleurs très nul au Pictionary, essayant à peine de répondre et gribouillant des figures informes. En face d’eux, Félicité et Lucie cartonnent, on dirait des télépathes. Lucie sourit enfin. Sur le côté, Angie remarque que, dès qu’elle n’a pas les mains occupées, la petite fille dessine sur la notice des figures monstrueuses. 


Malgré leur avance, le dé ne porte pas chance aux deux nouvelles amies, et le dénommé Melvil, pris d’un regain d’orgueil, commence finalement à s’investir. Leur équipe gagne de peu. Félicité ne se vexe pas du résultat pourtant injuste, au contraire, elle sourit de toutes ses dents. 


 


***


 


Victoire est une gamine vicieuse, c’est ce que se dit Rémi quand il reçoit son troisième +4. Cette petite peste semble se délecter de son visage déconfit. Si ce n’était pas pour 500 balles, il lui rappelait bien qui est l’adulte, ici. Ce qui est sûr, c’est qu’elle est aussi impitoyable avec lui qu’avec la pauvre vieille qui comprend à peine les règles du jeu. Seulement, lui joue après la fillette, la plupart du temps. 


La chance est prête à tourner quand il pioche enfin un +4. Pile au tour suivant, Victoire en abat un dans sa directionn, en clamant « uno  ! ». Il pose le sien par-dessus avec soulagement. Madeleine fixe ses cartes d’un air confus, puis en saisit une. 


Rémi jubile tandis que l’air triomphal de Victoire s’évanouie. 


+4.


— Ça fait 12 cartes, indique Rémi à la fillette. Je peux t’aider à compter si tu veux.


S’il avait osé, il aurait lancé un « cheh ». 


C’est alors que la gamine fond en sanglots. La vieille se précipite sur elle pour la réconforter. 


— Je veux pus jouer, c’est bon, vous avez gagné ! renifle-t-elle. 


Mais quelle mauvaise perdante. Enfin, c’est qu’une gosse après tout. 


La torture du jeu étant fini, ils rejoignent les autres pour le dîner, à 20h. La table est déjà mise et le repas servi. Une petite carte signale qu’il s’agit de veau au citron, et qu’il est accompagné d’un plat végétarien. Rémi pensait que les nounous et fillettes étaient seules, mais visiblement le couple bourgeois a des serviteurs à disposition. 


Rémi va pour s’asseoir où il veut mais une petite main le retient. 


— Tu peux mettre un couvert supplémentaire, s’il te plaît, demande Victoire. 


Il se rappelle des règles de bonne conduite et accepte, mais en soufflant. Le temps qu’il fasse l’aller-retour avec les couverts, tout le monde est déjà assis. Il se retrouve à devoir manger entre la mauvaise perdante et « l’Ami ». 


 


***


 


500 euros, c’est beaucoup, et c’est à cette pensée que se raccroche Melvil devant ce dîner des plus ennuyeux. Chaque personne se représente à son tour, en précisant ses centres d’intérêts, ce qu’elle fait dans la vie. Quand vient le sien, Melvil répète juste son nom. Il jette un regard à l’assistance pour que tout le monde comprenne qu’il n’en dira pas plus. 


Un court silence suit l’énonciation de son nom, pendant lequel Félicité se penche du côté de la place vide comme si elle écoutait quelqu’un lui chuchoter quelque chose. 


— L’Ami dit que tu seras chargé de répertorier les dégâts, déclare-t-elle. 


— Pardon ? 


Ces règles de bonne conduite sont d’un ridicule, autant que l’ordre que vient de lui donner cette gamine. Et de quels dégâts elle parle ? Aucune des triplées ne semble prête à lui donner des précisions. Heureusement que le veau au citron est bon. 


— Pour le dessert, j’ai fait un gâteau au chocolat ! annonce gaiement la retraitée. 


La vieille dame est aux anges, en même temps elle ne doit pas être habituée à avoir autant de monde autour d’elle. Pour une fois, les filles ont une réaction de joie unanime et se jettent sur leur part respective comme des affamées. Elles participent aisément aux conversations entre « grands »qui naissent d’un bout à l’autre de la table. Melvil n’est pas d’humeur, et c’est bien le seul. Même la lycéenne apparemment timide a été transformée par son jeu avec Félicité et discute avec elle. Quant au jeune homme qui s’est fait prier de ramener de nouveaux couverts, il semble s’être lancé dans un essai de drague envers Angie, sa partenaire de Pictionary.


Enfin le dîner est terminé. Tout le monde aide à débarrasser la table. Les fillettes réclament alors qu’on leur diffuse des épisodes des SuperNanas avant qu’elles n’aillent se coucher. L’ensemble des baby sitters se retrouve donc à végéter devant un dessin animé pour enfants. Melvil entend un « claque » à un moment. Il vérifie sa montre : il est 21h. 


Après une longue demi-heure, il est temps de coucher les filles. Melvil laisse les autres s’en occuper, lui veut aller se fumer une clope. Mais la porte est fermée, ainsi que les portes-fenêtres qu’il essaie. Il se rappelle la feuille d’instructions, et jure. 


À 21h45, comme prévu, le téléphone est coupé, et bientôt, internet. Les jeunes ont l’air décontenancé par le fait de ne plus avoir accès au web. Une ambiance un peu lourde s’installe. 


— Et si on allait regarder la télé, comme on nous a dit ? propose la blonde. 


Tout le monde hoche la tête sans répondre. Ils se dirigent vers le salon et le binoclard allume la télé. Un message en blanc sur noir s’affiche alors à la place des SuperNanas. 


Bonsoir, je suis l’Ami, 


Je vous invite à ouvrir le tiroir qui se trouve sous la télé. Il contient 7 cartes de jeu. Ces cartes sont électroniques. Elles fonctionnent grâce à la chaleur du contact de vos mains. Elles indiquent la position de chaque personne se trouvant dans la maison, mais sans préciser qui est qui. 


Je vous invite à conserver votre exemplaire sur vous, il vous sera utile. 


Bonne chance. 


Encore ce « bonne chance », Melvil trouvait ça horripilant. En tout cas, leur carte fonctionne bien, une fois en main, le plan de la maison en lignes blanches apparait. Il y a sept points pâles dans le salon, et trois dans une chambre chacun. Parfait, avec ça il va pouvoir s’isoler pour fumer une clope sans que personne ne vienne se plaindre de l’odeur. Il reste dans son petit coin de couloir, observant le groupe e petits points blancs toujours rassemblé dans le salon. L’heure tourne, et à la fin de sa troisième clope, il commence à en avoir un peu marre, alors il rejoint les autres. 


— Merci à tous pour cette belle soirée, entend-il en arrivant dans la pièce, mais il n’a pas le temps de comprendre le contexte. 


Toutes les têtes se tournent vers lui. Il sent une goutte de sueur rouler dans son cou. 


— Il est 22h54, on va devoir se séparer, brièvement, dit Angie. 


Elle insiste sur ce dernier mot en regardant l’autre lycéenne. Cette dernière secoue d’abord la tête, mais finit par se résigner. Chacun part de son côté. Melvil opte pour la piscine intérieure. Une piscine intérieure, y a que les riche pour avoir ça. 


Il est 23h, Melvil entend un claque sonore derrière lui quand il ferme la porte. Il tend l’oreille, il lui semble entendre des pas, de l’autre côté. Quelqu’un qui n’aurait pas respecté la consigne ? 


En tout cas, il aurait bien aimé piquer une tête dans cette vaste piscine. Mais très vite, la porte se rouvre. Il fait un pas dans le couloir, intrigué. Il se rend alors compte que le sol est couvert de sang. 




Il s'appelait Melvil…, par Bat.Jacl

La porte de la cuisine grince en cédant sous la pression d'Orianne. Elle pénètre dans une obscurité presque totale, où les ombres s'étirent et se contractent…