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Chapitre 1: L'œil du crocodile, par Johatsu

C'était un mardi matin comme un autre. Il s'était mis à pleuvoir des cordes, il y a de cela quelques minutes. J'avais eu la malchance de me retrouver chasser de mon propre appartement, alors que je venais à peine de sortir du lit. Paradoxalement, cette scène m’était quelque peu familière. Si je comptais bien, c'était tout de même la 6ᵉ fois en deux mois que de tels déboires m’arrivait.


J’aurais sans doute préféré éviter la fraîcheur automnale et l'odeur des pots d'échappements des travailleurs se rendant à leurs bureaux. Mais si je devais être parfaitement honnête, j'y étais tout de même pour quelque chose dans cette histoire. Disons que j'avais une fois de plus voler, hier soir, les biscuits préférés de ma colocataire. Qui n'était autre que ma sœur d'ailleurs.


Elle n'avait, mais alors pas du tout apprécié cet outrage. Et bien que sur le coup mon larcin m'avait bien fait rire, avec le recul, je me serais bien passé de la vengeance qu'il allait entraîner. J’avais été réveillé en fanfare, c'est le moins qu’on puisse dire. C’est fou le nombre de vidéos de trompette qu’un esprit malicieux et excentrique peut trouver sur internet. J’avais juste pu enfiler mes vêtements, que déjà cette chipie me mettait à la porte tout en me jetant au visage : 


“– Avec des grands frères comme toi, pas besoin de Némésis ! Mes gâteaux sont sacrés !” 


Le laçage de mes chaussures se fit donc sur le palier. J’aurais pu tout à fait rester dans mon immeuble en attendant d’avoir l’autorisation de rentrer dans l’appartement, le temps que ma sœur se calme un peu. Mais la lumière du hall était en panne depuis deux mois, rendant les lieux assez angoissants. Alors, j'ai préféré sortir.


 


Qu'allais-je bien pouvoir faire aujourd'hui ? Ça, c'était une bonne question ! J'avais la chance de ne pas devoir aller à la fac aujourd'hui, vive mon emploi du temps de master plus qu’allégé depuis la fin de mon stage. N’ayant pas particulièrement envie d’aller réviser à la bibliothèque, et n’ayant dans tous les cas pas mon matériel avec moi, j'avais initialement décidé d'aller me poser tranquillement dans un parc. Mais s'était sans compter sur les caprices de la météo.


Le bruit de ma course se mit à résonner dans les rues. J'évitais plusieurs fois de glisser sur les pavés détrempés. Je devais impérativement trouver un lieu où m’abriter, sans quoi je tomberais assurément malade.


 


Finalement, au détour d'une rue, je découvris enfin une enseigne qui semblait allumé. Je n'eus même pas le temps de voir ce que s'était, mes vêtements étant déjà totalement détrempés. La porte claqua derrière moi, provoquant par là même un léger tintement. Un léger courant d’air me suivit au passage, me donnant davantage la chair de poule.


Je commençais à m’avancer dans la pièce puis je m’arrêtai brusquement. Trempé comme j’étais, je préférai m’assurer rapidement que je n'allais pas tremper un quelconque parquet. Mais la chance semblait être avec moi, le sol était en vinyle beige.


Je me trouvais visiblement dans une boutique d'antiquités, étant donné les nombreuses et massives armoires de bois, ou encore les présentoirs chargés de bibelots en tous genres. De-ci de-là des abat-jours ajoutés une lumière bienvenue dans ce lieu obstrué. Je m'avançais un peu plus loin dans ce labyrinthe, bizarrement curieux des mystères que je pourrais y trouver.


"– Bonjour, veuillez m'excuser du retard, j'étais dans la remise. Bienvenue au Crocodile, que puis-je faire pour vous ?"


C'était une voix féminine qui venait de m'interpeller, et qui, par là même, m'avait fait sursauter. Tout naturellement je me tournai vers l'origine du son, situé derrière un épais paravent aux allures asiatique. Un peu gêné de cette situation, je passais mécaniquement la main dans mes boucles brunes.


"– Pas grand-chose en vérité, je suis vraiment désolé, mais je viens de rentrer totalement par hasard ici à cause de la pluie, mais je peux repartir si je vous dérange.


– C'est vrai qu'ils avaient annoncé de l'orage hier. Ne vous en fait pas, je ne vois pas de problème à ce que vous restiez le temps que ça se calme. De toute manière ce n’est pas comme si je croulais sous les clients en ce moment, me répondit-elle en riant. »


Je m'étais petit à petit avancé, dépassant l'obstacle qui m'obstruait jusque-là la vue. Face à moi se trouvait maintenant un comptoir au bois sombre, et sur lequel des gravures verdâtres représentaient un œil de reptile.


 


Juste derrière se trouvait mon interlocutrice. Celle-ci réagi immédiatement après m'avoir aperçu. 


"– Ho, mais vous êtes trempé ! Attendez-moi ici deux minutes, je vais vous chercher de quoi vous sécher."


Avant que je ne puisse répliquer quoique ce soit pour l’arrêter, la rassurer sur mon état, elle était déjà repassé au travers du rideau blanc situé derrière elle. Quand elle redescendit, elle portait sur l’épaule deux grosses serviettes et du bout des bras un gros plateau de thé. Celui-ci vacillait, et semblait être prêt à tomber à tout moment.


"– Je me suis dit que ça te réchaufferait, et vu que je ne savais pas ce que tu préférerais j'ai ramené un peu de tout. Au fait, désolé de te tutoyer, si ça te dérange dis-le, me dit-elle en me tendant une tasse et du sucre. C'est juste que je viens de regarder la météo sur mon téléphone, et visiblement, tu vas être bloqué ici encore un petit moment. Donc je pense que ça sera plus simple le tutoiement.


– Pas de problème avec ça, ni avec le thé d'ailleurs. Et le vouvoiement est assez ridicule à notre âge n'est-ce pas ? "


Elle m'accorda ce point. Elle paraissait avoir, tout comme moi, un peu plus que la vingtaine. Je me permis donc de faire de l'humour, pour détendre l'atmosphère. 


"– Sympa tes mugs. Un pingouin de Noël et une Edwige toute ronde. La reine d'Angleterre aurait de quoi être jalouse de ce magnifique service de porcelaine !


– Oui sans doute, fit-elle avant de sourire. Et encore, ne te plains pas, j'aurais pu ramener un chocolat chaud et des petits biscuits. 


– Ça ne m'aurait pas plus dérangé que ça, je suis un grand gourmand. Mais ça me joue souvent des tours."


Voyant son regard intrigué, je lui racontai plus en détail ma déconvenue matinale. Le reste de la conversation porta sur ma relation avec ma sœur, mes études et sur notre passion commune des sucreries.


 


Cette jeune femme était assez pétillante, et avait beaucoup de répartie. Je me suis rapidement sentie assez à l’aise pour parler de moi. Cela faisait certes partie de mon tempérament, mais j’avais perdu l’habitude de parler à d’autres personnes. J’avais récemment rejoint ma sœur dans cette ville afin de faire mes dernières années de formation. Mais depuis la rentrée, je n’avais pas vraiment eu l’occasion de nouer de nouvelles relations. Les groupes d’étudiants étaient déjà bien formés et peu adaptés aux nouveaux.


Le temps continuait de s'écouler, la pluie tambourinant toujours sur la devanture, mais dans cet instant suspendu, c’était comme si l’on était de vieux amis, badinant autour de leurs tasses de thé. Néanmoins, la conversation avait quelque chose d’étrange. J’étais le seul à partager des anecdotes sur ma vie. Dès que je tentais d’en apprendre davantage sur elle, elle semblait esquivé le sujet. Au demeurant, ça n’a rien d’étonnant, après tout nous ne nous connaissions pas.


Mais cela me paraissait assez mégalo de ne parler que de moi. Donc je décidai de tenter une autre approche : 


“– Comment se fait-il qu’une jeune femme comme toi travaille dans un magasin d’antiquaire? Pas que je trouve ça mal, je te rassure, m’empressais-je de dire. Mais c’est juste, comment dire, surprenant, j'imagine. Notre génération ne s’intéresse pas à ce genre de domaine généralement.”


Un silence s’installa quelques secondes. Avais-je été vexant? C’est bien mon style ça, maladroit comme je suis. J’avais sans doute ruiné mon premier début de relation en trois mois dans cette ville. Mais avant que je ne puisse continuer à divaguer dans mes pensées, elle commença à me répondre.


“– En fait, c’était le magasin de mon oncle. Mais il est parti il y a quelques années, et j’étais la seule disponible pour reprendre le flambeau dans la famille. J’avais toujours été fascinée par cette boutique et ses mystères quand j’étais petite, donc je m’y suis volontiers consacré. Il y a ce je-ne-sais-quoi ici qui parait presque irréel.”


Je ne pue que confirmer ce constat. Les lumières tamisées, les statuts d’anciennes divinités et les tableaux accrochés aux murs nous faisait comme voyager dans le temps. Là où en rentrant, je trouvais que l’espace était désordonnés, en regardant plus en détails, on se rendait compte que l’agencement était en fait bien pensé. Tout cela formé un décor très hétéroclite. Mais ce qui me perturbait le plus, je pense, c’était cette sorte d’énorme broche posait sur une étagère. Elle était dorée, en forme de crocodile, et ses yeux rouges comme des rubis semblait me fixer depuis que j’étais assis au comptoir. Un frisson me parcourut le dos en l’observant, mais cette fois-ci ce n’était pas dû à un courant d’air en provenance de la porte.


 


Car sur toute la matinée, aucun client ne rentra dans la boutique. Cela nous permit de continuer à discuter tranquillement. Lorsque enfin le temps se calma, plusieurs heures étaient passé sans que je m’en aperçoive. Ce ne fut pas le retour du soleil qui me décida à partir, mais plutôt un SMS de ma sœur qui exigeait que j’aille lui racheter ses précieux biscuits, sans quoi je passerais la nuit suivante dans le couloir de l’immeuble. Ce qu’il ne fallait pas faire pour maintenir la paix dans sa colocation !


J’enlevais donc les deux serviettes qui me maintenaient jusqu’à présent au chaud. Je les rendis à leur propriétaire, la remerciant chaleureusement pour son accueil et notre discussion. Puis je finis par sortir.


 


J’étais déjà à plusieurs rues du magasin quand j’entendis des bruits de pas précipiter derrière moi. Machinalement, je me retournai pour tomber sur la jeune antiquaire. Elle avait dû courir pour me rattraper, et s’appuyait maintenant sur ses genoux pour reprendre son souffle.


“– Attends, me dit-elle toute essoufflée, avec tout ce qui s’est passé, tu ne m’as même pas dit ton nom.


– Hey bien, je m’appelle Maxime.


– Très bien, je suis contente d’avoir fait ta connaissance Maxime. Moi, c'est Lucie, au plaisir de te revoir prochainement au crocodile.”


Et sans rien dire de plus, elle est repartie. Vraiment, quelle étrange rencontre. Mais je n’ai pas plus eu le temps d’y penser, car soudainement, une goutte me tomba sur le front. La pluie reprenait ! Si je ne voulais pas de nouveau finir trempé, j’allais devoir faire vite pour rejoindre la supérette située en face de son immeuble. Alors cette fois-ci, se fut moi qui me mis à courir.