Grande-tante, par Wargen

Après mon père et ma mère, et ma demi-sœur avant qu'elle ne parte en exil caché, Grande-tante était la personne de la famille pour qui j'avais la plus grande …




Chapitre 3: Duché coulé, par Wargen

Je suivais la silhouette militaire du Duc quand un valet s'interposa, me proposant une coupe de Compagne. Le temps de le congédier, et j'avais perdu ma cible. Néanmoins, la sortie était dégagée devant moi, et vide. Et le Duc n'avait pas eu le temps de sortir les quelques secondes où le valet s'interposa. Il devait donc avoir tourné et se trouvait hors de vue, dans la masse des convives.
Je me mis donc à arpenter la grande salle de l'hôtel particulier de Madame la marquise de Drouot. Ma taille moyenne ne me permettait pas de surplomber la masse et de repérer facilement ma proie. Je passais dans un mur de robes et de jaquettes de toutes les couleurs, certaines me fouettant le visage, d'autres me frappant aux hanches. Le brouhaha général rendait les discussions incompréhensibles et me montait à la tête, m'étourdissant. Également aidé par les eaux de toilette et parfums mélangés aux odeurs aigres de transpiration, et la poussière de la céruse servant au maquillage de la peau. Je m'extirpai d'une masse compacte pour me retrouver devant un des deux buffets. Le valet derrière la table me fit une aimable remarque sur ma tenue, et me proposa une coupe de vin blanc. Je lui demandai plutôt un verre d'eau, que j'appréciai en me tournant vers la salle et scrutant autour de moi. Pas de trace de mon Duc. Je remarquai que certains portaient des perruques blanches grandiloquentes, quand d'autres allaient nue tête. De la même manière, certaines robes semblaient bouffantes et extravagantes, quand d'autres, comme la mienne, restaient sobres, et mettaient bien plus en avant les silhouettes de leur porteuses. Les hommes étaient vêtus de manière plus sobre et avaient, pour la plupart, opté pour des jaquettes colorées arrivant à mi cuisse, terminés par des collants blancs et ballerine noires.
 
Je venais à peine de finir mon verre d'eau que le son d'un archer sur une corde se fit entendre. L'orchestre avait dû finir de s'installer, et les musiciens testaient leur instruments. Je posai mon verre, attrapai un petit canapé sur le buffet et replongeai dans la masse. Quelques convives tentèrent de m’alpaguer, mais je les éconduisis de manière courtoise. Je sentis également une main baladeuse sur mon séant, mais ne m'arrêtai pas pour savoir d'où elle venait. Je croisai en cours de route ma grande-tante, en discussion avec une dame de son âge, à la stature altière mais dont les longs cheveux gris-blanc élégamment coiffés, la robe blanche et le moindre bout de peau recouvert de céruse donnait un aspect fantomatique. Ma grande-tante m'attrapa par le bras :
-Mon enfaaant, venez donc que je vous préseeeeente à ma vieille amie, Madame la marquise de Drouot !
Je saluai notre hôte d'une courbette tout en soulevant rapidement ma robe : -Madame la marquise de Drouot...
-Mon enfant, ne vous donnez pas tant de peine, soyez moins mondaine que votre grande-tante qui s'évertue à prendre ses grands airs, et appelez moi par mon prénom, Blanche !
Ma grande-tante sourit à la remarque. La marquise reprit :
-Je vois que votre présence ne passe pas inaperçue, et que vous attirez quelques regards envieux. Je vous souhaite de trouver de quoi vous amusez en cette soirée. Le petit orchestre de chambre que j'ai commandé va bientôt débuter. J'espère que celui-ci vous conviendra, et que vous nous gratifierez de quelques pas de danse !
Je bafouillai un remerciement en rougissant, et repris ma marche en avant. Tout à coup, une mélopée cohérente vint remplacer les tests et accordages de chaque violons, et la foule s'écarta devant moi pour former un cercle. Dont je me trouvais directement en périphérie. Quelques couples élégamment vêtus s'avancèrent au centre, quand une voix me fit sursauter :
-Je vous pris de m'excuser, Madame...
Je me tournai en répondant : - Mademoiselle, et rougit en m'apercevant que mon interlocuteur était le Duc tant recherché, un grand sourire charmeur aux lèvres.
-Auriez-vous la bonté de m'accorder une danse, Mademoiselle ?
 
 
Je ne me souvins plus de la réponse bafouillée, mais celle-ci due être positive, puisque je me retrouvais tenant la main du Duc pour m'avancer au centre du cercle. Les regards des convives formant le cercle se tournèrent pour la plupart dans notre direction. Mon cœur se mit à battre la chamade et je sentais une chaleur grandir au plus profond de mon être. Les visages étaient flous, mais je voyais les gens chuchoter entre eux. Leur brouhaha recouvrait légèrement la mélodie de l'orchestre. Ma tête tournait légèrement, et je sentais ma main transpirer dans celle du Duc. Celui-ci sentit mon malaise et, se rapprochant face à moi pour le salut, me susurra que tout se passerait bien, et qu'il ne fallait pas que je tienne compte des gens autour. Seul lui comptait. Seulement lui.
Ses paroles me rassurèrent, et nous engageâmes la gavotte que les autres couples avaient commencé à danser. Nous nous reculâmes de quelques pas, sautèrent sur place, pied droit en avant, puis avançâmes l'un vers l'autre, bras écartés et mains légèrement tendues avancées, paumes vers le haut. Le buste de mon cavalier était droit, de telle sorte que son manteau ne le gênait pas lors de ses mouvements. Arrivés à quelques pas l'un de l'autre, les paumes se touchant, nous sautâmes de nouveau, pieds droit en arrière, pour reculer de nouveau. Malgré sa carrure, ses mouvements étaient gracieux. Nous avançâmes de nouveau l'un vers l'autre après un saut pieds droit en avant. De nouveau proche, nous tournâmes l'un autour de l'autre d'un demi cercle, chacun partant par la droite, puis reculâmes pour nous trouver à la position de départ de l'autre. Son sourire gracieux n'avait pas quitté ses lèvres, et son regard perçant était aimanté à mes yeux. A moins que cela ne fut l'inverse. La danse continua ainsi, et nous mîmes même à contribution le couple de danseur à notre droite pour poursuivre la danse à quatre. La musique s'acheva, ainsi que notre danse, et je retrouvai le contact de sa paume dans la mienne pour le salut au public. Sa main était chaleureuse et douce, digne d'un gentilhomme portant souvent des gants. Les applaudissements du public étaient fournis, et me rassurèrent quant à la qualité de ma prestation. Si j'étais bien meilleure danseuse que ma demi-sœur, je restais débutante, n'ayant pas beaucoup d’occasions de pratiquer en Soulogne. J'avais d'ailleurs plutôt tendance à aller danser la branle lors de fêtes de village que des danses de bal.
 
La musique s'arrêta quelques minutes, le temps que les musiciens réaccordent leur instruments. Je me dirigeai vers le buffet à côté de l'orchestre. Il me fallait un verre d'eau pour me rafraîchir. Une dame et un homme en périphérie du cercle me félicitèrent pour ma belle danse. Je les remerciai, arguant que tout le mérite revenait à mon cavalier qui s'était retrouvé être un excellent danseur. Ils insistèrent lourdement sur ma grande capacité et ma belle prestation. Je réussis à m'échapper et à m'approcher du buffet pour demander un verre d'eau. Le valet remplit un verre et, au moment de me le donner, se pencha légèrement en avant pour me murmurer :
-Au risque de paraître déplaisant, j'ai entendu les flagorneries de Madame et Monsieur de la Roche-Fouère. Ne prenez pas aux mots tout ce qui vient d'eux. Ni de ce que la plupart des gens d'ici vous diront. Il vous faut être un peu plus dynamique dans vos mouvements, et moins attentive de ceux de votre partenaire. Mais j'imagine que cela vient d'un manque d’entraînement, et peut-être d'un manque de confiance en soi. Néanmoins, vous avez un beau port de buste, et avez fait un très bon choix de tenue vestimentaire. Pas comme Madame Boucherot.
Il m'indiqua une petite et forte femme qui venait également de danser la gavotte. Sa robe bouffée et les innombrables froufrous de couleur vive la faisaient croire deux fois plus large, et son vêtement avait souffleté son partenaire lors des tours à proximité l'un de l'autre. Nous rîmes tous deux à cette remarque, puis il me souhaita bonne chance pour la suite. Je le remerciai pour sa franchise de mon plus beau sourire. Je revins en périphérie du cercle, et vis mon ex-cavalier arriver tranquillement dans ma direction :
-Souhaitez-vous m'accorder une nouvelle danse, belle demoiselle ?
Sans attendre ma réponse, il me prit par les mains, et me guida au centre du cercle. Je fis abstraction des regards dans notre direction, et me concentrais sur ses beaux yeux scrutateurs. Une mélodie reprit doucement. Une inquiétude apparue lorsque je ne reconnus pas le style de la musique. Et elle s’accrut lorsque je vis le Duc se placer à ma gauche, tourné dans la même direction que moi. Et quand il commença à plier gracieusement ses genoux en gardant le buste droit, je me tournais dans sa direction, les yeux grands ouverts et suppliants. Il me regarda. Son sourire s'agrandit et il me lança :
-Ne savez-vous pas danser la sarabande, ma belle ?
Honteuse, la tête baissée, je la hochai négativement.
 
 
Sans gêne aucune, le Duc me pris par la main, nous fit sortir du cercle et m'amena dans une zone plutôt désertée du grand salon. Il m'apprit succinctement mais courtoisement, au son de la musique qui se répercutait même ici, les pas de base, me glissant régulièrement des petits mots d'encouragement ou de félicitation. Ses explications étaient brèves mais claires, dispensées d'une voix douce mais avec un soupçon de fermeté qui laissait supposer une habilité à donner des ordres.
 
Un fois les pas de base acquis et la musique en cours terminée, le Duc m’entraîna au centre du cercle pour la prochaine danse. Nous nous plaçâmes côte à côte, tournés dans le même sens. Au son des premiers violons, nous commençâmes nos flexions, pointes de pieds, avec inversion pied droit puis pied gauche devant, tout en avançant lentement. Pas chassés chacun de son côté, rotation sur soi même, sur la pointe des pieds. Quart de cercle vers la gauche, mon partenaire vers la droite, pour nous retrouver face-à-face. De nouveaux quarts de cercle pour nous retrouver toujours du même côté. Mouvement latéral pour me trouver derrière mon partenaire. Trois-quart de tour pour se trouver face-à-face. Un clin d’œil de sa part me fit monter le rouge aux joues. Demi-tour pour se trouver dos-à-dos, chacun avançant de quelques pas. Puis demi-tour pour se trouver face-à-face. Les bras du Duc se mirent à faire de légers moulinets, je le suivis symétriquement. Quart de tour, révérence, trois-quart de tour pour se retrouver de nouveau face-à-face. Nous avançâmes l'un vers l'autre de petits bonds en nous tournant chacun d'un quart de cercle inverse pour se retrouver dos-à-dos. Le Duc donna une petit impulsion du postérieur qui vint taper dans le mien. Tour complet lors duquel je me rapprochai et laissai ma main droite glisser sur l'entrejambe de mon partenaire. Pivot l'un autour de l'autre, lors duquel celui-ci me glissa de petits mots coquins. Nous nous éloignâmes en diagonale, chacun tourné d'un côté différent, ne nous lâchant pas des yeux. Nous continuions de tourner, de faire de petits pas chassés, de petites révérences, de petits moulinets des bras. Plus rien n'existait autour de moi que ce sublime mais irrévérencieux cavalier qui m'enivrait de ses mouvements sensuels et m’entraînait au bout de la pâmoison.
 
La musique arriva à son terme, et la danse s'arrêta soudainement. Le Duc se mit à côté de moi, me pris la main, et nous saluâmes le public sous des applaudissements fournis. Il me regarda, son sourire n'ayant toujours pas quitté son visage, et m’entraîna fermement en dehors du cercle vers le buffet situé à l'autre bout de la salle.
Il prit un verre de Compagne qu'il me tendit, s'en prit un pour lui et un canapé qu'il engloutit d'un seul mouvement. Je trempai les lèvres dans mon verre, attendant impatiemment qu'il prenne les devants. Ce qu'il fit après avoir vidé son verre d'une traite :
-Je n'ai jamais eu le plaisir de vous voir auparavant, belle demoiselle. Et dieu sait que je n'aurais pas manqué de vous apercevoir si jamais le destin avait eu la bonne idée de faire croiser nos routes plus tôt ! Mais je vois que vous rougissez. J'espère que ma danse ne vous a pas paru trop... cavalière ?
-Euh... oui... non. Non ! Pas... Pas du tout. Je suis... je suis confuse.
-Ne vous en faite pas, ma belle. Je ne vous mangerais pas !
Son irrésistible clin d’œil me fit retrouver mon calme.
-Je suis nouvelle en ville. Je ne connais pas grand monde. Je... Je viens représenter mon domaine en cette année de festivité et pour le Grand Bal du Roi.
-Oh ! Il me faudrait alors partir plus souvent visiter notre beau royaume, lorsque la chose militaire me laisse le temps libre de le faire, si jamais cela me vaut l'occasion de rencontrer de si belles perles ! Mais... belle demoiselle, où donc aurais-je dû me rendre pour vous rencontrer plus tôt qu'aujourd'hui ?
-En... en Soulogne.
-Qui aurait cru qu'un tel... endroit puisse fournir de si belle personne au royaume ? Je m'excuse, gente dame, mon arrogance me joue parfois des tours, je n'aurais pas dû tenir ces mots à propos de la Soulogne. Et, puisque vous vous retrouvez ici et dites venir représenter votre domaine, quel nom et prénom dois-je donner à la Baronne de Soulogne ?
Je rougis en pensant que ce Duc connaissait le statut de la Soulogne.
-Je suis Françoise de...
Un couinement suraigus de violon agressa les oreilles de l'ensemble de la salle. Et recouvrit mes paroles.
-Pardon belle enfant, je n'ai pas entendu.
Cette interruption impromptue me permit de m'apercevoir de mon erreur, et de me reprendre à temps. Je n'étais pas censée être ici en tant que Françoise de Pont-Sainte-Croix, mais en tant que ma demi-sœur :
-Je m'appelle Anne de Pont-Sainte-Croix, Baronne de Soulogne.
 
 
-Ravi d'avoir pu mettre un nom sur ce si joli visage.
Encore le rouge aux joues. Décidément, je ne savais pas cacher mes sentiments.
Le Duc sortit une montre à gousset de son manteau et regarda l'heure.
-Il se fait tard ma belle, et je vais devoir m'en retourner chez moi. Mais... comme vous m'avez dit être nouvelle en ville et ne connaître personne, peut-être... voudriez-vous...
-Oui, je le veux !
Je n'avais aucun doute quant à la proposition à venir du Duc, et les danses réalisées avaient fait montée en moi un désir non pas incontrôlé, mais qui menaçait de le devenir.
-Venons récupérer nos affaires, et suivez moi, ma belle.
 
Nous nous rendîmes à l'entrée de l'hôtel particulier de Madame la marquise, récupérâmes chacun ses affaires auprès du valet chargé des affaires des convives, le Duc récupérant un long manteau tombant aux genoux, une mallette et un pistolet, moi-même récupérant ma sacoche, une petite coiffe et un chaud veston.
-Très chère amie, n'habitant pas très loin de chez Madame la marquise de Drouot, chez qui j'ai grande joie à pratiquer les soirées mondaines, je me permets de venir à pieds, sans calèche. Cela vous dérange-t-il, auquel cas je ferais sonner pour un véhicule public, ou vous plairait-il de marcher un peu par cette douce nuit en ma compagnie ?
-Je vous remercie pour votre prévoyance, mais je me fais forte de vous suivre jusque chez-vous, aimant à pratiquer la marche à pieds dans notre sauvage Soulogne. Et je pense ne rien avoir à craindre en pareil compagnie !
Je le regardai en souriant. Il me retourna son sourire, mais celui-ci avait légèrement changé par rapport à celui des danses. Il semblait y avoir un je-ne-sais-quoi de sournois qui fit remonter un courant froid le long de ma colonne vertébrale.
-Venez, ma belle, même si la demeure n'est pas éloignée, je préférerai vous voir et vous avoir au chaud chez moi plutôt que dehors en cette nuit. Hâtons-nous !
Il passa son bras dans le mien, et nous commençâmes notre chemin dans la grande rue éclairée passant devant la demeure de Madame de Drouot. Nous croisâmes deux gendarmes que le Duc salua. Je leur fis un salut de la main, et les deux hommes d'armes inclinèrent légèrement leur tête dans notre direction. A cette heure de la nuit, il y avait peu de passants. Un son de sabot se répercuta au loin.
Après une centaine de mètre dans cette rue, le Duc tourna dans une petite ruelle plus sombre. L'éclairage des torches s'arrêtait ici, la ruelle n'étant éclairée que par la lueur de la lune.
-N'ayez pas peur, belle enfant, cette ruelle n'est pas longue, et nous en seront rapidement sortis.
Des pas résonnèrent derrière nous. Je me tournais brusquement, mais ne vis qu'une ombre se cacher derrière des caisses en bois. Des bruits de pas dans mon dos. Paniquée, je me tournais de nouveau. Pour apercevoir une sombre silhouette se rapprocher lentement de nous. Une chose semblait briller dans sa main. Comme la lame d'une arme. D'un couteau.
-Mon dieu, j'ai peur !
Le Duc dégagea son bras du mien, et sortit son pistolet qu'il braqua devant lui. Au même moment, les bruit de pas retentirent de nouveau derrière moi. Je n’eus pas le temps de me retourner, que je me trouvais avec un couteau sous la gorge et une main en bâillon sur la bouche.
Une voix glaciale, que je reconnus immédiatement, retentit derrière moi :
-Alors, petite garce, on se jette toute seule dans la gueule du loup ?
La chouquette bleue azur apparut dans mon champ de vision. Je fixais le Duc d'un regard suppliant. Mais, en voyant que ce dernier rangeait son arme et souriait à la nouvelle venue, je compris ma méprise : je m'étais jetée toute seule, comme une jeune idiote, dans un traquenard où j'étais la proie et la victime. Le quatrième comparse rejoignit le groupe, arracha la sacoche de mes flancs, et la tendit au Duc, ou qui qu'il puisse être. Celui-ci regarda dedans, et trouva, en dehors de quelques produits de maquillage portatifs, les quatre pièces d'or que j'avais empruntées pour cette soirée.
-Me voilà refait !
-Nous voilà refait, mon beau ! reprit la femme en bleu.
-Quelle belle idée de profiter de la naïveté de tous ces nouveaux arrivants à la ville ! s'exclama celui qui se faisait passer pour un Duc.
-Les affaires vont bon train ! dit l'homme qui se trouvait derrière moi et plantait toujours son couteau sur la gorge, la main sur ma bouche.
-Faisons vite, mes amis, je n'ai pas envie de traîner très longtemps ici et de tomber sur des gendarmes ou une milice, dit le quatrième comparse.
L'homme derrière moi baissa la main de ma bouche pour lui faire tâter ma poitrine.
-Vous pensez pas qu'on pourrait s'amuser un peu ?
Sortant de mon choc initial, je mis du temps à comprendre que je n'avais plus de main devant la bouche :
-Au secou...
La main revint derechef.
-Bougre d'imbécile, hurla la femme en bleu. Assomme-la, et qu'on en parle plus !
Un choc sur la tête, et les ténèbres.
 
 
Une douleur sur l'arrière de la tête. Un bruit régulier, comme quelque chose qui tape sur autre chose, au loin. Une sensation de balancement et de nausée. Un bruit de sabot. Le sentiment de me déplacer. J'ouvris difficilement les yeux, et vis que je me trouvais dans une petite boite. Une calèche. Quelqu'un était assis à côté de moi.
-Tu es réveillée mon enfaaant ?
Je baragouinais des choses incompréhensibles. Même pour moi. Ma grande-tante sortit un petit récipient de son sac, me le mit sous le nez, et me demanda d'inspirer très fort. Une intense sensation de fraîcheur et de piquant me sortirent instantanément des brumes de mon étourdissement.
-Que... que sait-il passé ?
-Je vous ai suivis, et suis maaalheureusement intervenue trop tard pour éviter ce méchaaant coup sur ta tête.
-Mais... Grande-Tante, ces malotrus ne s'en sont-ils pas pris à vous ?
-Peeenses-tu mon enfant ! Je m'étais fait fort de me faire accompagner de deux valets armés de chez Madame la marquiiise. Mais de toute façon, je fais partis de la clientèèèle régulière de la bande à Bono !
Je la regardai, interloquée.
-Que crois-tu que c'était, mon enfaaaaant ?
-Une bande de vauriens de peu de sous... même si la prestation de leur chef m'a laissée pantois !
-Que nenni mon enfaaant ! Il s'agit d'une bande de gentilshooommes de fortune ayant quelque réputation dans ce coin de la capitale, et auprès desquelles quelques nooobles, comme moi-même, ou bourgeois, faisons appels pour des actions peu recommadaaables !
Quelques secondes de silence s'écoulèrent.
-Vous faites appel à leur service, Grande-Tante ?
-Bien sûr, mon enfaaant ! Commeeent crois-tu que j'arrive à survivre dans ce paniers de craaabes ?
-Mais...
-Il y a bieeen des choses à t'enseigner, ma belle !
-Brrr, Grande-tante, merci de ne pas utiliser ces mots, je ne les ai que trop entendus ce soir !
Ma grande-tante sourit.
-Commeeent-t'ont-ils eu ?
Je lui racontai toute l'histoire, de mon attirance rapide envers Bono, mon cher « Duc », de ma rencontre avec la « Chouquette bleue », de notre flirt dansant avec Bono, de sa proposition de me ramener chez lui, et du piège dans lequel il me guida adroitement.
-Un Duuuc ? S'esclaffa ma Grande-Tante. « Mondieumondieumondieu mon enfaaant ! As-tu pris tes informations à son propos ? »
Quelques sabots résonnèrent dans la rue. Voyant que je ne répondais pas, elle recommença :
-Lui as-tu demandé s'il était Duuuc ?
-Non, admis-je en rougissant.
-L'as-tu demandé à quelqu'un d'auutre ?
-Non.
Je baissais la tête, honteuse.
-Ce n'est pas graaave, mon chou. Bien d'autre que toi se sont laissés preeendre. Pourquoi crois-tu que je fais appel à euuux ? Que dis-tu des manières de Bonooo ?
-Je reconnais qu'il passe très facilement pour un gentilhomme.
-En tout cas, que cela te serve de leçooon : demande toujours confirmation d'un titre de nobleeesse ! Et essaye, dans la mesure du possiiible, de te tenir au courant de la politique du royauuuume : sache que la veste que Bono portait à la soirée est une veste militaiiire datant du conflit contre le royaume du Haut-Rigérien. Elle est démodée depuis au moins quaaarante ans ! Il ne pouvait donc s'agiiir réellement d'un homme de l'actuelle armée du Roi.
-Je suis tellement confuse, Grande-Tante...
Elle me regarda tout sourire.
-Tu as beaucoup de chooses à apprendre. Je sens que nous allooons vraiment nous amusez toute les deux ! Et n'ai craiiinte, j'ai récupérée tes quatre pièces d'ooor, tu n'auras rien perdu ce soir. A part peut-être un peu de niaiiiserie !
-Je vous aime, Grande-Tante, lui dis-je en plantant un bisou sur sa joue.
-Moi aussi mon enfaant ! Et apprend à garder ton amour pour les geeens dont tu es sûre ! Pour le reste... tu peux toujours te servir de la plèèèbe !




Leçons, par Wargen

Dzing ! Dzioïng ! Ting, ting, ting, dzing ! Quelques pas en arrière. Puis en avant. Ting, ting, dziiing, ting. Mon adversaire recula à son tour, afin de se remettr…