Bienvenue dans The Root Book, par information.the.root.book

Bienvenue sur The Root Book Cher·e utilisateur·rice, vous voici sur The Root Book, notre plateforme dédiée à l'écriture collaborative. Ce lieu est con&ccedi…




Chapitre 1: La Fontaine du chaos, par Athelard

          Cette nuit-là, la lune était ronde et brillante dans le ciel nocturne dénué de nuages, mais son éclat était éclipsé par le rayonnement de l'arbre. Plus grand que les immeubles que son large tronc turquoise avait bousculé en se développant et que ses longues branches couvraient de leur ombre, les feuilles azurées au bout de celles-ci scintillaient constamment, illuminant la ville comme en plein jour. Ce n'est pas sans raison si la ville bourdonnait d'activité autant de jour que de nuit ces derniers temps. Il n'y a encore pas si longtemps, Séléna pouvait dormir paisiblement la nuit sans cet éclairage, certes magnifique, mais qui filtrait même à travers ses volets et rideaux, donnant à sa chambre un air mystérieux et irréaliste.


          Appuyée au rebord de sa fenêtre, l'adolescente observait le titan feuillu qui fut soudain halé d'une jolie teinte mauve, le signe que quelqu'un avait jeté sa pièce et fait son vœu. La Fontaine, appelait-on dans cette région le bassin au pied de l'arbre. Ailleurs, il était parfois surnommé Puit ou Etang. Peu importe le nom, tous avaient cette étrange capacités à réaliser les vœux. Pas n'importe lesquels, bien sûr, mais assez pour que plus personne ne puisse en douter. Elle ne se détourna de cette vision qu'en entendant de faibles coups à sa porte.


- Entre.


          Son jumeau glissa la tête par la porte, ses lèvres s'étirant en un sourire presque bête tant il brillait de joie en la voyant, puis entra en refermant derrière lui. De son pas si léger qu'il ne faisait pas le moindre bruit malgré le parquet grinçant, il la rejoignit et s'arrêta près d'elle, ses yeux gris levés vers le feuillage de l'arbre. C'était bien le seul aspect physique qu'ils avaient en commun, leurs yeux. C'était toutefois suffisant pour comprendre qu'ils partageaient le même sang, bien que les gens se montrent toujours surpris en apprenant qu'ils étaient jumeaux. Ils pointaient toujours du doigt leur chevelure, celle de la sœur étant d'un noir d'encre tandis que le visage du frère était encadré de boucles dorées comme le soleil. D'où son prénom, Hélios, que leurs parents avaient trouvé aussi original qu'adapté.


          Oui, ils aimaient la mythologie.


- Tu vas me tuer, dit-il sans pour autant paraître coupable.


          Il jeta un regard à sa sœur dont les yeux s'étaient dangereusement plissés. Était-il judicieux de continuer ? Se demanda-t-il. Il était trop tard de toute façon, elle ne le lâcherait pas tant qu'il ne se sera pas expliqué ou l'apprendrait de la bouche de quelqu'un d'autre. Décidant que tourner autour du pot le desservirait, il lâcha franchement :


- Je suis allé faire un vœu.


          Aucune réaction. Des sueurs froides lui coulèrent le long du dos. Il risqua un nouveau coup d'œil à sa jumelle et la trouva raide comme une statue, son visage s'empourprant à une telle vitesse qu'il commença à craindre pour sa santé. Il n'eut toutefois pas le temps de lui conseiller de se calmer et grimaça lorsqu'elle se mit à siffler de colère :


- On s'était mis d'accord pour ne pas en faire ! Qu'est-ce qu'il t'a pris ?


- Les garçons ont de bons arguments, se défendit-il avec un rire nerveux. Je me suis laissé tenter, désolé. Mais ce n'est pas comme si ça faisait du mal...


- Dans quel monde tu peux faire un vœu et le voir exaucé gratuitement ?


          Elle avait raison, et il le savait parfaitement. Depuis l'apparition des Fontaines, la population était divisée entre ceux qui n'hésitaient pas à profiter de ce miracle, et ceux qui s'en méfiaient, le pensant trop beau pour être vrai. Mais des mois avaient passé et personne n'était tombé raide mort ou n'avait perdu son âme. Aucune calamité n'avait frappé le monde et ceux dont le vœu a été exaucé n'ont pas perdu ce qu'ils avaient gagné. Tout cela prouvait, selon lui, qu'il n'y avait aucun danger. Il allait lui dire tout cela lorsque la Fontaine brilla d'un éclat nouveau, si intense qu'il attira leur regard à tous les deux.


          Devenu éblouissant, le feuillage dansait et bruissait sous la caresse d'une brise inexistante. De bas en haut, le tronc se para de veines argentées pulsant de plus en plus rapidement, tel les battements de son cœur. Les fenêtres encore noires s'allumèrent les unes après les autres, les visages sortaient les uns après les autres afin de mieux observer l'étrange phénomène. Puis, un tremblement les fit tous vaciller.


          Une drôle d'impatience s'empara d'Hélios qui se pencha également par la fenêtre alors que la joie faisait gonfler son cœur. Il ne savait pas pourquoi, ignorait ce qui allait se produire, mais au fond de lui, il était certain que cela ne pouvait qu'être incroyable. Glorieux. Au contraire, Selena prit deux pas de recul, les yeux écarquillés. Le sang battait contre ses tempes, brûlant et bruyant. Une telle réaction ne pouvait être bon signe mais demeurait moins inquiétante que celle de son frère. En voyant celui-ci presque plié sur le rebord de la fenêtre, elle commença à tendre la main pour l'attraper et le tirer en arrière. Avant de pouvoir l'atteindre, toutefois, la terre trembla si fort qu'elle tomba à genoux.


          Hélios siffla de douleur en sentant le bois rentrer dans son abdomen mais refusa de détourner le regard, comme hypnotisé tandis qu'un murmure qu'il savait instinctivement réel venait caresser ses oreilles, susurrant des mots incompréhensibles mais d'une douceur semblable à du velours sur un ton aussi sucré que le miel. Un frisson parcourut son corps tout entier.


- Hélios, écarte-toi de cette fenêtre !


          A nouveau sur ses pieds, Selena s'agrippa au bras de son frère pour tenter de le tirer vers elle mais il était aussi inébranlable qu'une statue. Elle avait beau s'échiner et s'agiter, il ne bougeait pas d'un centimètre.


- Tu ne l'entends pas ? Murmura-t-il d'une voix tremblante.


- Entendre quoi ?


          La lumière bleutée se rassemblait en un seul point, là où le tronc se fendait en deux avant de développer toutes ses branches. Concentrée en une seule sphère, elle en devenait aveuglante au point de forcer les jumeaux à fermer les yeux, comme si le soleil lui-même était descendu sur Terre. Puis, elle s'amenuisa peu à peu, dévoilant en son centre une silhouette encore indistincte. Collée à son frère subjugué, l'adolescente déglutit, figée d'angoisse.


          Un corps apparu. Aussi grand qu'une maison et humanoïde. Sa peau était de la même nuance que les feuilles de l'arbre. Le couvrant telle une couverture, sa longue chevelure mauve brillait de mille étoiles. Et, lorsque la lumière eut totalement disparu, l'être inhumain ouvrit enfin ses trois yeux aux longs cils. Malgré la distance, il était facile de voir la sombre et profonde couleur violette des iris. Ils partirent tous les trois dans une direction différente. Balayant frénétiquement la ville, fouillant, cherchant, repérant. Et un large sourire dévoilant des dents parfaitement blanches étira lentement les lèvres de la créature.


          Hélios laissa échapper un soupir d'admiration. La beauté de cette créature ne saurait être égalée et son sourire éclatant et chaleureux ne faisait que rehausser l'aspect divin qui découlait d'elle.


          Selena se recroquevilla. Ses membres tremblaient de façon incontrôlable. Car ce rictus annonciateur de sombres promesses ne pouvait être que celui d'un démon.


- Hélios...


          La créature commença à se redresser, plus grande encore qu'elle ne semblait l'être au premier abord. Ses bras s'écartèrent de ses flancs, ses mains au longs doigts ouvertes comme pour accueillir quelqu'un. Sa bouche s'ouvrit  et sa poitrine se souleva. Un sifflement perça l'air et la créature fut jetée à terre. Le choc fit trembler la ville dans un horrible grondement et leva un nuage de poussière qui se répandit rapidement dans les rues, montant jusqu'aux derniers étages des immeubles, masquant toute la scène aux yeux des spectateurs. Cette fois, les jumeaux furent tous deux jetés au sol dans un cri de douleur.


- Non...


          Le blond fut le premier debout pour se jeter à la fenêtre. Il eut beau plisser les yeux, il était impossible de voir autre chose que des éclats de lumière et le feuillage. Selena le rejoignit en sifflant de douleur et en se tenant le bras droit sur lequel elle était mal tombée. Alors que la poussière retombait, elle entendait les cris, les klaxons et les alarmes retentir partout en ville. Au centre de tout ce chaos, sur les racines de l'arbre, la créature bleue gisait inerte, le regard vide sous le pied victorieux de son assassin.


- Non !


          Semblant à peine plus vieux qu'un garçon mais arborant le sourire d'un fou, il transperça la poitrine du corps d'une main, la tourna d'un quart de tour et la retira, tenant entre ses doigts une boule de lumière palpitante. Ouvrant largement la bouche, montrant des crocs dignes de la plus sanguinaire des bêtes, il y glissa son prix qu'il entoura de sa longue langue serpentine avant de l'avaler tout rond. Dans un sursaut accompagné d'un éclat de rire étranglé, il grandit subitement, brièvement halé d'une lueur bleutée tandis que l'arbre au-dessus de lui perdait son éclat, dépérissant à vue d'œil. Ses feuilles ternes tombaient, ses branches se brisaient et son tronc se fendait. Et pendant ce temps, le garçon riait une mélopée grinçante.  Trois fois, il frappa dans ses mains. Leur claquement sec retentit loin, bien au-delà de la ville sur laquelle le silence s'était abattu.


- Selena !


          Aux pieds d'Hélios avaient surgi des chaînes d'argent qui s'enroulèrent autour de ses jambes et de ses bras comme le feraient des serpents déterminés à le dévorer. Chacun de ses mouvements les faisaient tinter et se resserrer jusqu'à l'empêcher de se mouvoir d'un seul millimètre. Selena aurait aimé l'aider si ses pieds n'étaient pas englués dans une espèce de flaque sombre dans laquelle elle s'enfonçait seconde après seconde. Elle tendit un bras vers son frère, cherchant désespérément à l'atteindre, en vain.


- Hélios !


          Ses épaules, puis sa tête et enfin son bras disparurent sous son regard.