De retour d'Afrique, par pfp68

La mort par strangulation. Une fin atroce : se débattre, plonger vers le néant en gesticulant des jambes, paniquer, chercher frénétiquement à inspirer, et selon tou…




Chapitre 2: Une vie normale?, par Wargen

Les yeux exorbités, la langue pendante, la trace rouge violacée du garrot autour du cou. Même si j'en avais vu d'autres, cela me faisait toujours un petit choc de voir un cadavre. Même quand j'en étais la cause. Je pense surtout que je ne m'attendais pas à trouver cela en Europe, en France. Autant, en Afrique... mais ici ?


 


D'autant que je venais faire un break, justement. Une pause dans toute cette violence latente qui entourait le monde des barbouzes dans des pays non civilisés. Pardon, « en voie de développement », comme se gargarisaient publiquement les politiciens hypocrites, alors qu'ils nous demandaient de traiter les gens, là-bas, comme des sous-hommes. Comme des animaux.


 


J'étais ici en permission, et je comptais bien en profiter. Peu importait ce nouveau meurtre, ce nouveau cadavre, la police locale s'en chargerait. Même si cela piquait ma curiosité, déformation professionnelle oblige, il fallait que je laisse ça de côté.


Il se met à pleuvoir doucement. En faisant les cents pas, j'essaye d'allumer une cigarette. Un maigre crachin tombe d'un ciel légèrement grisâtre, un truc qui menaçe à peine d’humidifier la veste. Loin des trombes d'eaux de la période des pluies, en Afrique équatoriale. Mais suffisant pour m’empêcher d'allumer cette foutue clope. Je tente de protéger ma cigarette et mon briquet, mais l'humidité ambiante et les quelques rafales de vents ont finalement la peau de cette maigre flamme.


 


-Rah, putaing ! dis-je en balançant la clope maintenant mouillée par terre, avec un mauvais accent du sud. Un accent piqué, pour m'en moquer, à un camarade venant de Marseille, mais qui ressortait aléatoirement sans que je ne le maîtrise.


 


Je regarde la cigarette sur la voirie, qui menace de se faire emporter, dès qu'il y aura un peu plus d'eau ruisselante, vers le caniveau. Qui sait où elle finira sa course. Dans la Savoureuse, l'Allan, le Doubs, la Saône, le Rhône et enfin la Méditerranée ? A quoi cela me sert de savoir cela ? Est-ce qu'elle pourra atteindre les côtes de Lagos avant de se désagréger complètement ?


 


-Saluuut !


 


Une voix féminine, dans mon dos. Je me retourne pour faire face à une brune, taille moyenne, ni jolie ni moche, entre 18 et 25 ans. Elle me tent la main :


 


-C'est MC20. J'imagine que tu es JCA ?


 


MC20. Contactée suite à la lecture d'une petite annonce dans l'édition locale de l'Est Républicain : « JF ouverte, cherche H 18-40 ans, Belfort, adresser petite annonce dans Est Républicain à MC20. Fixer lieu date horaire rdv ». Elle semblait loin, l'Afrique. Et ces bordels pour blancs dans lesquels nous étions des pachas. La facilité de l'acte sexuel. J'avais déboursé quelque deniers pour écrire à l'Est Républicain : « A l'attention MC20, JCA, H 35ans propose rdv au Central, place Corbis, 30/09/1989 18h. »


 


En attrapant sa main pour la serrer, je jette un coup d’œil furtif à ma montre. 18H20, le samedi 30 septembre 1989. Elle est finalement venue. Avec un peu de retard. Normal, histoire de pouvoir me jauger avant d'éventuellement poursuivre.


 


-JCA, pour vous servir », lui réponds-je en souriant légèrement. Je n'ai jamais été très expressif de visage. Cela n'est pas nécessaire dans ce que je fais. Ça pouvait même nous nuire. « Vous voulez une cigarette ? »


 


-Ah, ça commence mal, je ne fume pas, et je déteeeste l'odeur de cigarette, fait-elle en souriant.


 


-Ça tombe bien. Vu mon dernier échec pour en allumer une, on dirait que je suis plutôt dans une phase d'arrêt. Je ne vous embêterais pas avec une haleine sentant le tabac.


 


Elle rit : « T'es con. Et tu peux me tutoyer, tu sais ? »


 


-Va pour le tutoiement. Et toi aussi, tu commences bien, si tu me traite déjà de con.


 


-Ihihih. » Elle glousse en se mettant la main devant la bouche.


 


-Si tu n'as pas le défaut de fumer, peut-être que tu as celui de boire. Et même si ce n'est pas de l'alcool, le Central a de quoi faire. Je t'invite ?


 


 


 


Je pense que j'avais passé le test : elle avait dit oui. Et, si elle ne fumait pas, elle buvait un peu d'alcool. Est-ce que cela avait aidé dans le fait qu'elle avait accepté ma proposition d'aller manger un bout au restaurant de l’Hôtel-Restaurant Saint-Christophe, donnant sur la place d'Armes ? Non, je pense qu'elle était quand même intéressée. Ce que je compris tout de suite quand, sortant du restaurant, elle avait proposé d'elle-même d'aller faire un tour à pieds le long des quais de la Savoureuse. En glissant son bras dans le main en milieu de balade. Je ne fus donc pas surpris quand elle accepta de monter avec moi, alors que nous étions arrivé au pied de l'hôtel Atria.


 


MC20, pour Marie-Claire, 20 ans. Enfin, 21 ans depuis le 28 septembre, elle avait encore 20 ans lorsqu'elle avait publié son annonce. J'étais un petit cadeau d'anniversaire qu'elle se faisait à elle même, comme elle me l'avait glissé le long des quais de la Savoureuse, pendant que nous déambulions.


 


Elle parlait beaucoup. Pour ainsi dire, elle avait quasiment monopolisé la parole. Ce qui m'allait très bien. Elle commençait sa première année de formation à l'école normale primaire de Belfort, après avoir réussi le concours de recrutement lors de l'année scolaire précédente. Elle voulait devenir institutrice. Elle venait de Besançon, mais elle n'avait pas réussi à intégrer l'école normale primaire de là-bas. Du coup, elle se retrouvait à celle de Belfort faute de mieux. Elle ne connaissait pas encore beaucoup de monde ici.


 


« -Et toi, tu viens d'où ?


 


-Je rentre d'Afrique Noire. Du Nigeria. Lagos.


 


-Ouah, et tu faisais quoi là-bas ?


 


-Un peu de commerce. Et de l'humanitaire. Les gens, là-bas, ont besoin des aides que nous, pays occidentaux, pouvons leur apporter.


 


-Ouah, ça a l'air trop cooooool! »


 


Heureusement, son interrogatoire se borna à cela. Et au pourquoi de JCA – parce que Jean-Claude, venant d'Afrique -. Et à mon âge, 35 ans, qu'elle voulait vérifier, parce que « tu ne les fais vraiiiment pas ! ». Et ça ne la gênait pas du tout.


 


De mon côté, je sus qu'elle voulait « absooolument » aller un jour en Afrique, pour voir comment ils vivaient là-bas avec tellement peu, et que nous devrions prendre exemple sur eux et leur frugalité parce que nous consommions trop de choses inutiles ici en Europe.


 


J'appris aussi qu'elle était le fruit de la révolution sexuelle des années 68-69 ; que ces parents avaient gardés leur âmes de révolutionnaires hippies quand pleins de leurs amis s'étaient rangés et étaient devenus des montons de consommateurs ; et qu'ils étaient très libéraux dans l'apprentissage de leur fille. Et notamment sur la question sexuelle. J'appris, cette nuit, que le « ouverte » de sa petite annonce dans l'édition locale de l'Est Républicain n'était pas galvaudé.


 


Elle est brune, taille moyenne, ni jolie ni moche, poitrine légèrement opulente, non rasée, et sait très bien s'y prendre au lit avec un homme. Au lit, ou ailleurs.


 


 


Semblant émerger du néant, des yeux exorbités. D'un spasme de panique, j'ouvre les yeux. Le soleil, par la fenêtre, darde ses rayons dans la chambre. Je veux monter ma main droite, mais mon bras droit est bloqué. Une masse est affalée dessus. Je baisse les yeux : des cheveux bruns. Un corps de femme. Marie-Claire, sur le ventre, nue, la moitié de son corps sur le mien, son bras droit posé sur mon épaule gauche. Respirant du rythme d'un dormeur apaisé. Mon spasme ne semble pas l'avoir réveillée. Je passe ma main gauche sur mon cou. Rien. Pas de trace de garrot. Encore cette foutue obsession.


Me calmant, je tourne la tête. Le réveil, sur la table basse, indique 8h19, dimanche 1er octobre 1989. Je décale une mèche de cheveux derrière l'oreille de Marie-Claire, et fait glisser mes doigts dans ses cheveux, sur sa peau. Tout va bien. Je ferme les yeux.


 


De l'eau qui coule. Je rouvre les yeux. Ce n'est pas sur moi que cela tombe. Je baille, tandis que je comprends qu'il s'agit du bruit de la douche. Marie-Claire n'est plus là. Je me frotte les yeux et me redresse, m'asseyant sur le bord du lit qui grince. Le réveil indique 10h24. J'ouvre le tiroir de la table basse. Rien. J'attrape mon pantalon qui traîne par terre, en sort le paquet de cigarette et le briquet, et rejette le vêtement par terre. Je me lève, nu, et me plante devant la fenêtre. Dans mon dos, le bruit de l'eau s'arrête. Une voiture passe dans la rue. Un couple de retraités déambule lentement. Je tire une clope du paquet, et le jette sur le lit. Le silex du briquet est un peu usé et je dois m'y reprendre à trois fois pour avoir une flamme. J'allume la cigarette et en tire une bouffée, quand un corps humide m’enlace par l'arrière :


 


-Mon bel étalon est réveillé. Et dire que je me proposais de lui faire une grosse gâterie s'il ne fumait pas et allait nous chercher de bons petits croissants...


 


L'action de la nicotine ne se fait pas attendre, dérouillant mon cerveau. Les mains de Marie-Claire glisse sur mes pectoraux et mes abdominaux.


 


-... mais je vais devoir me contenter d'une simple petite gâterie s'il va nous chercher de bons petits croissants.


 


En bas, dans la rue, il sort de sa voiture. Il est encore là. Cela fait quatre jours qu'il est là, tous les matins, regardant vers ma fenêtre. Que me veut-il, bordel ?