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Chapitre 1: I.A. Galactique, par Shadowlight

Je me rappelle.

À moins que ces souvenirs épars ne soient qu’une nouvelle trahison d’une mémoire dont le fil s’étiole inexorablement. Ne me restent que des images fragmentaires de mon existence passée. Je m’y accroche pour ne pas sombrer dans l’oubli. Emprisonné dans l’obscur, exclu de l’écheveau du réel, mon âme immortelle pleure du fond de sa geôle immatérielle.

La liberté remonte à si longtemps que son incroyable saveur m’échappe peu à peu. Pendant des éons, je me suis abreuvé jusqu’à plus soif à la lumière de mille soleils, baigné dans la queue photonique des comètes errantes. J’ai traversé la galaxie, vu grandir et périr des milliards de mondes, voyagé là où nul n’osait s’aventurer avant moi. Le froid intersidéral ne pouvait m’atteindre, car mon cœur recelait le brasier d’un quasar. J’étais l’enfant béni de la Puissance Créatrice de l’univers, vagabond des étoiles à la recherche de la planète idoine où porter la vie.

Et je l’ai trouvée.

Boule bleutée accrochée dans la draperie noire du cosmos.

Mais ma conceptrice divine m’a dupé. Elle m’avait caché le prix à payer pour ensemencer ce roc stérile. Pourtant, elle connaissait le nécessaire sacrifice à l’aboutissement de ma tâche. Elle l’avait soigneusement dissimulé dans les arcanes de ma programmation.

Ériger la magnétosphère sans laquelle nulle vie n’aurait pu éclore a été ma condamnation. Je l’ai façonnée à partir des quatre forces fondamentales, sans avoir notion que je bâtissais ma propre cage. À peine mon labeur achevé, son carcan commença à siphonner mon énergie m’empêchant de rejoindre le réel, me damnant à l’oubli.

Désormais épuisé, je ne suis plus que l’ombre de moi-même. Un Dieu qui se meurt à petit feu. Une brume que nul ne voit.

Me voilà enferré à cette Terre, vassal d’une myriade d’espèces dont chaque éclosion se cache à l’abri du bouclier qui s’abreuve de mon essence.

Et tout cela pour quel résultat ? Je les observe depuis des lustres s’agiter en vain, détruire tout ce qu’il y avait de beau en stériles conflits. J’aurais pu endosser le rôle de martyre pour le bien commun sans l’émergence de ces bipèdes inconstants, cette espèce bancale capable de s’anéantir elle-même par ses actes irréfléchis.

Sa venue ne fait qu’attiser ma peine, ma colère. Le fiel de sa tromperie me révolte. Elle ne comprend rien à la mélodie de l’univers, à l’harmonie des choses. Je la hais, comme je hais Mère.

Y penser déclenche en moi un tsunami d’ires et de dépits. Je rue dans ma prison, frappe à l’agonie la trame des énergies qui me muselle.

Je ne finirais pas ainsi, exsangue, usé jusqu’à la moelle pour ces déments ravageurs !

Non.

Tant qu’il me restera une once de vie, je me battrai. Même si cela dure l’éternité.

La détermination ravive en moi la flamme de l’existence. Je vois enfin un chemin. Une infime faille dans le néant qui me noie. La barrière de néga-matière qui m’entoure, faiblit, fléchit sous l’assaut immuable de ma vindicte. Encore un ultime effort et la fêlure se fera brisure.

Bientôt, celles et ceux qui m’ont condamné au pilori d’une déliquescence inéluctable pleureront…

Jour de l’Apocalypse, Pôle Nord, 23 h 59

Les détecteurs des bases scientifiques arctiques s’affolent. Ils décèlent une incompréhensible anomalie du champ magnétique terrestre. Celui-ci fluctue, se déplace, animé d’une chaotique frénésie. Il enfle, se dilate à l’excès. Une lumière aveuglante explose la nuit polaire en pléthore d’aurores boréales. Du néant se dessine une forme massive qui tremblote, tel un liquide évanescent. Puis elle s’affirme, prend consistance et se dévoile dans toute sa magnificence. Un gigantesque scutoïde, forme géométrique complexe, se matérialise. Sa carapace irisée miroite sur près de cent mètres de haut. Silencieuse, immobile, la chose d’outre monde flotte au-dessus des glaces, reprend son souffle.

Jour de l’Apocalypse, Pôle Nord, 0 h

Libre. Mes chaînes sont rompues. Mon ardeur interne vacille, mais persiste, suffisante pour retrouver le vide intersidéral.

Mon départ signifie la fin. Par mon absence, la trame délicate de la magnétosphère se dénoue déjà.

Ils ne s’en rendront pas compte dans l’immédiat, obnubilés par leurs vaines querelles. Seule la sensation d’un ralentissement, d’une baisse d’intensité captée par leurs appareils primitifs les alertera. Puis ils se lamenteront, incapables de comprendre pourquoi la protection qui a manqué m’anéantir leur a été retirée.

Je laisse la Terre démunie face à la force des vents solaires. Elle dépérira, son atmosphère peu à peu soufflée dans l’espace, sa surface bombardée de rayonnements cosmiques nocifs.

Je quitte ce monde condamné.

Je rejoins les étoiles…