Enquête, par Laurent

Dans un bureau sentant la clope et le café, un type était plongé dans tout un tas de papiers. Son apparence était négligée. Quelqu'un toqua à la por…




Chapitre 2: Le loup et le chaperon rouge, par SaraB

15 décembre 2018


L'amour est un mystère. Parfois, c'est un souffle chuchoté qui peut tout consumer en un instant. Ou alors un message sur le téléphone de ton ex que j’aurais laissé soigneusement visible.


Submergée par la révélation qu'elle avait déclenchée, tu as fui, sans un mot d'explication, délaissant même le déjeuner que tu avais planifié avec Sami. Pendant ce temps, Sami te noyait sous un flot incessant de messages inquiets depuis plus d'une heure. C'est un mystère pour moi que tu n'aies pas encore choisi de mettre en silence cet incessant rappel.


Après deux ans tissés de chimères et de fraudes, tu as enfin compris l'impossibilité de continuer à manipuler le futur. Refusant désormais de subir en silence, tu te dresses, intrépide, face aux tempêtes à venir. C’est en cet instant que je retrouve l'éclat de la femme dont je suis épris. Peu importe si nos destins semblent écrits, si nous ne sommes que les pantins d'une trajectoire prédéfinie — une idée à laquelle j'étais jadis résigné.


Ta détermination te mène à l'abri de tes réflexions, dans ce sanctuaire de calme et de sérénité qui t'a si souvent apaisée. Telle une sculpture minutieusement façonnée au fil des jours, tu prends enfin la décision qui devient inévitable — celle que, dans l'ombre, j’attendais avec une patience feutrée. L'heure propice que j'ai baptisée avec un certain recueillement : mon instant de vérité.


J'ai découvert que la véritable force n'est pas seulement physique. Elle réside dans la capacité à comprendre les autres, à percevoir et décrypter leurs désirs cachés. Il faut beaucoup de patience et un contrôle de soi pour trouver cette faille chez l’autre. Cela peut être un désir, une phobie, l'objet de son amour, un secret inavouable, une culpabilité... Pour quelqu'un comme toi, cette brèche est bien plus difficile à trouver, mais tout le monde a un talon d'Achille. Connaître les secrets inavouables de quelqu'un signifie pouvoir le manipuler, le doubler ou même le saboter. Et je suis doué, vraiment très doué. Très jeune, j'ai compris que même nos amis peuvent devenir nos ennemis et qu'il vaut mieux avoir une longueur d'avance.


C’est tellement mystérieux l’Amour. Un mot n'est qu'un mot, juste un mot. Un ensemble d'adjectifs défilent dans ta tête, aucun ne reflétant réellement ce que tu éprouves. Trahie à nouveau, tu te promets que cette fois-ci est la dernière. Je te vois assise sur ce banc, dos aux arbres blanchis, ta tristesse t'engloutissant à chaque battement de cœur. Tu dissimules ton chagrin arborant un masque impassible. Tu t’imagines sûrement que personne ne le remarquerait. Mais je te connais, je peux voir à travers ton jeu. Je te regarde écrire frénétiquement dans ton journal, déchirer une ébauche après l'autre de cette lettre que tu ne sais comment adresser.


Promenons-nous dans les bois


Pendant que le loup n’y est pas…


Un frisson te parcourt le dos alors que tu perçois une comptine étrange, s'enfonçant avec insistance dans l'atmosphère autour de toi. Tu fermes brusquement ton journal, laissant s'échapper une feuille vierge qui tombe sur le sol. Je la ramasse discrètement, la gardant pour le moment où elle me sera utile. Tu sais manier les mots, ma douce. Après avoir lu la lettre, je me demande quel genre de folie, tu comptes faire. Dans les profondeurs de ton sac, tu échanges ton journal – l’un des rares cadeaux utiles qu’il t’aura faits, pour un appareil photo. Tout en soupirant bruyamment, tu te redresses, déterminée à percer mon mystère. Cette chanson douce qui, pourtant, semble être une mise en garde. Je trouvais bien plus amusant de rajouter des éclats de rire d’enfants.


Si le loup y était


Il nous mangerait…


En toute insouciance, tu continues ton chemin, ne t’arrêtant que pour saisir quelques photos. L’une de tes nouvelles passions consiste à capturer des instants. À tes yeux, une image bien prise ne saurait mentir, au contraire. Tu as toujours aimé capturer les moments, comme s'ils révélaient des secrets autrefois bien cachés. Il t’a offert cet objet sans réaliser l’impact qu’il aurait sur vous. Je t’ai toutefois prévenu ma belle. Certaines choses doivent rester enfouies. Comme cette photo d'eux dans un moment intime qui fut la goutte qui a fait déborder le vase.


Promenons-nous dans les bois...


(Je guette le moindre de tes faits et gestes mon amour)


Tu ne m’entends pas évidemment. En bon petit Chaperon Rouge, tu ne te rends pas compte du danger et nous continuons chacun notre chemin. Tu es triste et tourmentée. Je suis tendu et empli d’adrénaline. Le chasseur et sa proie. Je suis à l’affût du moindre changement d’air, des vols d’oiseaux ou encore, du bruissement des feuillages. Tu pourrais une fois encore changer d’avis et t’en retourner les rejoindre. Chose qui me contrariait beaucoup, car, aujourd’hui, nous sommes dans l’une des rares fois où je n’ai aucun contrôle sur la situation. J’aperçois la rivière, aussi calme et lisse que peut l’être un cours d’eau en ce début d’hiver. Et nous continuons sur le chemin. Je suis suffisamment proche pour entendre les clics du capteur de merveilles et toi, les craquements des brindilles restantes, cachées sous la neige, qui annonce une présence.


Promenons-nous dans les bois


Pendant que le loup n’y est pas…


(Je suis là, devant toi.)


Soudainement, je suis devant toi et ton regard s'élargit manifestement choquée. Tu n'as pas anticipé cette rencontre, et les révélations subséquentes bouleversent tant ta compréhension de la situation que ton sens de l'identité. Tu as une stature moyenne, des cheveux bouclés taillés en un court carré qui encadre avec éloquence ton visage, et une teinte rousse qui, à mon sens, sublime ta peau claire, tes lèvres légèrement rosées et tes yeux en amande qui portent la couleur changeante de la noisette. Cependant, ces détails sont ineptes – un embellissement frivole à notre récit.


Le silence nous enveloppe un moment, seuls les battements irréguliers de ton cœur troublé brisent la quiétude de cette scène suspendue dans l'instant.


Promenons-nous dans les bois


Pendant que le loup n’y est pas.


Si le loup y était.


Il nous mangerait.


(Il est trop tard.)


Pardonne mon approche, Hailey, mais il est impératif que tu me suives sans tumulte. Rapidement, tu t'évanouis. Ta chute est souple, tes cheveux éparpillés sur l'épaule improvisée que je te fais, tandis que je récupère ton sac tombé avec une célérité perturbée – soucieux de chaque fragment de toi.


La nuit engloutit nos silhouettes dans son opaque étreinte alors que je te transporte à travers l'enceinte du bois, où les flocons de neige commencent à danser avec lenteur, dissimulant nos traces, les transformant en mémoire floue de notre passage. Là où nous allons, personne n'a besoin de te retrouver.


La chanson se dissipe dans l'air frigorifié, l'écho d'un ancien mystère qui reste entre les mains prudentes du destin.


C'est tellement mystérieux, l'amour. Le lendemain, tu te réveilles en sursaut, une sensation d'effroi parcourant ton corps. Ton dernier souvenir te ramène à cette forêt, avec les arbres blanchis encerclant ton chemin. Ta vision tourne légèrement, et un vertige désagréable t'envahit lorsque tu te lèves. La vision d'une robe légère en remplacement de tes vêtements te surprend. Tu te sens perdue et confuse, cherchant frénétiquement des indices pour nier cette étrange réalité, clignant des yeux à plusieurs reprises dans l'espoir de te réveiller chez toi ou aux côtés de Matthew. Malheureusement, aucune issue ne se présente, plongeant ton esprit dans une inquiétude grandissante.


J’observe tes réactions depuis la caméra fixée au plafond. Je connais ta réticence à la nouveauté, d'où cet endroit. J'ai mis quelques années pour le peaufiner, j'espère qu'il sera à la hauteur de tes attentes. N'abîme pas trop tes cordes vocales, princesse, ce sous-sol est complètement insonorisé. Tu observes le plafond pour narguer la caméra et son faisceau rouge, signalant sa mise en marche. Tu lèves ton majeur en signe de défi, mais c'est une tentative pitoyable pour te rassurer.


— C’est quoi ces conneries ?


Je sais ce que tu te dis : « c’est sans doute une mauvaise blague, on va venir m’ouvrir d'ici à un moment... ». Navré ma puce. Personne ne viendra jusqu’ici. Jamais. Tu t’en apercevras bien assez tôt. Tes paroles réconfortantes sont vaines. Toujours étourdie, ta tentative de te relever se solde par une chute douce, et tu finis par t'asseoir, massant tes chevilles avec hésitation.


— Qu'est-ce que c'est que cette chaîne, putain ? J’ai l’air d’un clebs ou quoi ?


La rage s'empare de ta voix tremblante tandis que tu inspectes avec incrédulité la lourde chaîne cliquetant sinistrement autour de ta cheville. Tu es toujours aussi amusante, mon ange. Là où d'autres se seraient horrifiés et auraient du mal à garder leur calme, tu prends ça d'une manière bien trop légère, ce qui me surprend d'autant plus. Finalement, tu te redresses avec détermination et commences à explorer la pièce, cherchant en vain ton sac, objet auquel tu tiens beaucoup.


Tu sais, on en apprend beaucoup d'une personne en examinant son contenu ? J’ai pu m’en apercevoir à plusieurs reprises.


Au fond s’y trouvent les choses les plus importantes, celles qui n’en sortent jamais ou très rarement. Des objets que tu qualifies de vitaux, à tort. Ton appareil photo, ton cahier d’écrits et tes stylos favoris. Je n’ai connu personne d’autre que toi avec cette capacité. Avoir des stylos préférés, c’est saugrenu ! Mais cela te ressemble bien, princesse. Viennent ensuite les objets de la vie courante, ceux qui te définissent aux yeux du monde : ton portefeuille désespérément vide, ta carte d’identité et tes clefs. J’ai pris soin de jeter la lettre de l’abruti en plus de tes photos, ne t’en fais pas.


Tu continues ton inspection, mais tu ne vois rien. Cet endroit est sombre et humide. Assez grand pour contenir une petite table avec une rame de papier et tes stylos favoris, ainsi qu'une chaise bancale. Tu m’excuseras, mais c’est ce qui se passe quand tu fixes du bois dans un sol de béton. Tu as sans doute remarqué que tu étais sur un lit des plus confortables. Le sommeil est une chose importante, c'est pour cela que j'ai choisi de t'offrir ce matelas Bultex coûteux, celui-là même que tu convoitais lors de notre dernière visite en magasin.


Il n’y a aucune fenêtre, tu n’en auras pas besoin. Le peu de lumière filtre par cette énorme porte en bois, qui, tu l'apprendras bien assez tôt si tu restes sage. Elle cache un couloir muni d'une pièce contenant une petite douche, à laquelle tu n'as bien évidemment pas accès, suivie d'une vraie porte. Les murs de la pièce semblent être faits de briques. Souviens-toi, j’hésitais entre deux modèles : la plaquette de parement pierre naturelle multicolore élégance et celle en pierre naturelle beige/grise élégance. Tu trouvais la première plus amusante, originale. Je présume qu’elle te plait autant que ce jour-là, à Leroy Merlin. Qu’il te rappellera notre crise de rire interminable pour une raison des plus minables ! Amanda et ses manies. Elle ne nous gênera plus, sois-en sûre.


Au fond se trouve le vieil escalier rongé par le temps que j’ai récupéré l’air de rien au Café. Ils comptaient le brûler, tu sais. Prenant appuie sur le mur de pierre, tu montes lentement les marches et, arrivée en haut, tu cherches en vain la poignée. Désolé mon Amour, cette maudite porte, comme tu le hurles, est fermée de l’extérieur. Tu n’es pas suffisamment sage. Regarde-toi. Tu manques de force et pourtant, tu te mets à gémir sans raison. Bon peut-être pas sans raison : de ton point de vue, tu es enfermée, on ne sait trop où une prisonnière probablement perdue au milieu de nulle part et loin de toute civilisation. Ce n’est pas tout à fait juste ma chérie. Et baisse d’un ton, tu me donnes mal à la tête. Je répondrai à tes questions au moment que je jugerai opportun. Où est donc passé ton détachement, l’impassibilité qui t’animait tout à l’heure ?


Je m’agace lorsque tu commences à hurler de frustration et à gémir bruyamment. Arrête de gueuler comme une truie putain de bordel de merde ! Regarde ce que tu me fais faire ! Un bruit sec retentit dans la pièce lorsque ma main heurte brusquement la table. Le résultat ne se fait pas attendre : ma tasse préférée bascule et s'écrase violemment, laissant s'échapper un fracas de débris. Tu vas payer pour ça et ce ne sont pas ces horribles cris d’incompréhension colérique qui t’aideront, sache-le. Calme-toi, tu frises l’hystérie. Ce n’est que moi, ton âme sœur.


Tu te recroquevilles sur toi-même, au plus loin sur le lit même si cela te blesse un peu plus le pied enchaîné. Tu n’as plus rien de différent de toutes ces autres petites putes finalement. Tu es maintenant terrorisée. La gorge nouée, tu penses certainement que tu vas suffoquer. Respire mon Amour. Voilà comme ça. Prends une grande goulée d’air et inspire profondément. Puis expire le plus calmement que tu puisses et recommence. Des larmes se mettent à couler le long de tes petites joues et des sanglots s’échappent. Mon joli petit hamster bouffi. Tu tentes de les contrôler, tu ne veux pas abandonner la partie, mais tu ne comprends pas l’inutilité de ta réflexion. Je reste indécis. Dois-je venir t’aider à contrôler les tremblements qui te prennent alors que cette vision de toi m’excite d’autant plus que je te connais ? Tu seras difficile à briser, ma bouleversante amie.