Duel de chair, par Wargen

Je me penchai en avant et posai mes lèvres sur les siennes. Pour le faire taire. Un petit baiser. Puis j'insistai, cherchant à lui faire ouvrir sa bouche pour y insérer ma langue…




Chapitre 9: Duel de sang, par Wargen

Du bruit. Du mouvement. Une masse chaude. On me touchait, on me déplaçait. On me caressait. Où... Je ne comprenais pas. Je n'étais pas bien. J'avais la nausée. J'essayais d'ouvrir les yeux, mais ils ne voulaient pas. Encore du bruit, comme si cela formait des sons articulés. On me parlait ? Je ne comprenais pas. A moins que...


 


Un œil qui s'ouvrait, la paupière s'arrachant en deux dans un effort surhumain. Une masse floue émettait des sons devant moi. Ma deuxième paupière se soulevait. Pour retomber immédiatement, suivis de l'autre. Une main sur mes cheveux. Un son compréhensible. Faible. Anne. C'était moi, Anne.


 


-Anne, il va falloir vous lever.


 


Une voix chuchotée. Celle de Michon. Me concentrant, je forçai de tout mon être pour ouvrir les yeux. La lumière dansante de la bougie était aussi vague que mon esprit. Ma bouche s'ouvrit :


 


-Je...


 


Je n'allai pas plus loin. Michon se leva du lit, et commença à vadrouiller au loin de ma vision et de mes pensées floues.


 


-Je sais que vous n'avez pas l'habitude de vous lever si tôt, mais nous avons fort à faire ce matin.


 


Mon cerveau avait du mal à assimiler la phrase qu'il venait d'entendre. Comme si tout mon moi voulait retomber dans les limbes du sommeil :


 


-Je... tu...


 


Un grand bâillement. Je levai le buste et m'assis. Puis, la tête tournant, je me rallongeai sur le ventre. Michon passa près de moi en chuchotant :


 


-Gnîîîîh gnîîîîh, mademoiselle la musaraigne !


 


Je donnai un coup de pied sans conviction dans le vide, ratant ma cible. Il était maintenant de l'autre côté :


 


-Voulez-vous que je vous apporte une petite bassine d'eau ? C'est très efficace pour réveiller les âmes engourdies.


 


J'arrivai enfin à faire marcher ma voix, et ronchonnai :


 


-Pour que tu me la renverses dessus, non merci.


 


Ma vue semblait enfin claire et stable, mes yeux ne piquaient plus beaucoup. Michon s'affairait, tournait dans la pièce, bougeant des choses d'un côté à l'autre, changeant de bas, rangeant un vêtement. Je regardai son torse imberbe et maculé :


 


-Tu pourrais te nettoyer.


 


Il regarda les traces de semence séchée sur son corps, et haussa les épaules :


 


-Pour quoi faire ? » Il me regarda et sourit de toute ses dents : « Je pourrais invoquer un porte-bonheur dans l'épreuve à venir.


 


L'épreuve à venir. Un déclic dans ma tête. Le duel. Ce matin.


 


-Mais...


 


Je regardai par la fenêtre, l'extérieur étant encore dans la pénombre.


 


-...qu'elle heure est-il ?


 


-Je n'ai pas encore entendu la cloche sonner les six heures, mais cela ne devrait plus tarder.


 


-Mais c'est tôt !


 


-Savez-vous, mademoiselle, que bien des choses doivent se faire tôt pour que le monde tourne, et que bien des gens se lèvent tôt pour pouvoir les réaliser ?


 


Je ne répondis rien, bien consciente que ma position m'accordait des privilèges bien enviables. Comme celui de pouvoir se lever à l'heure de son choix.


 


-Et je vous rappelle que nous avons rendez-vous assez tôt dans la matinée.


 


Je le regardai honteusement. Il avait raison.


 


-Et il est bon d'être prêt et en pleine forme. Allez-vous habiller, et rejoignez-moi à la petite cuisine, il est préférable de se sustenter avant d'y aller.


 


Je ramassai ma culotte et ma chemise de nuit, jetant un œil dans le couloir. Personne. Je traversai, nue et à pas de loup, un couloir et un hall pour me rendre à ma chambre. Devant la porte de laquelle je découvris une silhouette sombre. Je reconnus les formes généreuses de Soizic.


 


-Mademoiselle... sa voix était chevrotante.


 


-Je t'ai dit de me donner du Anne. Et viens, ne reste pas plantée là !


 


Nous entrâmes dans la chambre sans faire de bruit et je refermai la porte derrière nous. En tâtonnant quelque peu, je parvins à allumer une bougie. Qui me révéla une Soizic débraillée, aux cheveux ébouriffés et aux yeux rouges. De sommeil ?


 


-Que fais-tu...


 


Elle se précipita dans mes bras, cachant son visage et le début de ses larmes sur mon épaule.


 


-Pourquoi ?


 


-Pourquoi quoi ? » Je savais néanmoins très bien ce qu'elle voulait dire.


 


-Michon... pourquoi... que vous lui avez-vous... » Elle ne trouvait pas les mots. Ses sanglots l'étranglaient. Ses larmes coulaient sur ma peau.


 


-Michon a décidé de lui-même, ma chère Soizic. Je n'ai malheureusement rien eu à lui imposer.


 


-Mais mademoi... Anne, il va mourir !


 


-Non, il va réussir. Je le sais, et il le sait.


 


Je sentis ses doigts se crisper dans mon dos, ses ongles racler sur ma peau.


 


-Mais je l'ai vu tirer au pistolet hier ! Je vous ai espionné. Il... il a tout raté.


 


-Non, il a fini par toucher au but.


 


Elle renifla. Les cloches sonnèrent les six heures.


 


-Oui, mais au bout de combien d'essais ? L'autre aura tout le loisir de le toucher avant.


 


-Sa cause est juste, et l'affront qui m'a été fait est digne d'offenser les cieux. Le bon Dieu guidera sa main, ne crains rien mon enfant.


 


J'avais prononcé cela mécaniquement, sans conviction. Bien entendu, le bon Dieu ne guiderait pas sa main et Michon allait mourir stupidement. Je le savais. Je le ressentais au plus profond de moi. Mais je ne voulais pas heurter cette pauvre hère.


 


Je sentais sa poitrine généreuse tressauter contre la mienne au rythme de ses sanglots. Je sentais l'odeur de lavande qui se dégageait de ses beaux cheveux roux ébouriffés. Dans lesquels je vins passer une main consolante. Nous restâmes ainsi quelques minutes, le temps qu'elle se calme. Elle se dégagea doucement de moi et me regarda piteusement de ses yeux rougis. Je lui caressai tendrement la joue de l'arrière de la main :


 


-Ne t'en fais pas, belle enfant, tout se passera bien, et Michon reviendra vivant. Et tu pourras le croquer à pleine dents. Maintenant, aide-moi à m'habiller avant de retourner te reposer.


 


 


Apprêtée d'une robe suffisamment avenante pour la solennité de l'acte à venir, je rejoignis la cuisine des servants. J'y trouvais Michon et Valère en pleine conversation, qui cessa à mon entrée. Michon était attablé devant une assiette de lard et de choux bouillis déjà bien entamée. Il avait revêtu sa jaquette bleue cintrée et son collant blanc immaculé, ses plus beaux vêtements, signe qu'il voulait se présenter sous ses plus beaux atours devant son adversaire. Valère versait de l'eau chaude dans un bol, dans lequel des feuilles se mirent à tournoyer. Il semblait aussi alerte et réveillé que Michon, alors que j'arrachai un nouveau bâillement. Il leva son visage vers moi :


 


-Mademoiselle veut-elle de la tisane ?


 


Je hochais la tête positivement.


 


-Et du chou bouilli au lard ?


 


Je regardai l'assiette de Michon avec dégoût.


 


-Non, je ne crois pas que...


 


-J'imagine qu'il s'agit de votre premier duel à mort, Anne. Mon humble expérience me pousse à vous conseiller vivement de ne pas y aller le ventre vide. Mais si vous le souhaitez, nous avons ici une miche de pain de la veille et une motte de beurre salé.


 


Je haussai les sourcils avec intérêt à la mention de « salé ». Valère me fendit un sourire :


 


-Oui, votre grande-tante a des goûts de qualité et sait même se jouer de la gabelle en se faisant livrer ses produits des bonnes contrées du royaume.


 


-J'en prendrai volontiers !


 


Il me trancha un morceau de pain, puis me servit de l'eau chaude dans un bol tandis que je beurrai ma tranche. La trempant dans l'eau chaude infusée de plantes et l'attaquant à grandes bouchées, je les écoutais distraitement parler de la tenue d'un pistolet, du positionnement du corps, du recul de l'arme lors du tir. Armé de son sérieux habituel, Michon avalait le chou bouilli et les conseils de Valère, le relançant sans cesse. Je regardais les feuilles tourbillonner dans mon bol, légèrement nauséeuse. Savoir que ce jeune homme plein de vie et d'envie allait mourir dans quelque temps hantait mon esprit et me retournait l'estomac. Je voulais le supplier de ne pas y aller. Lui révéler que je lui avais honteusement menti, que le sieur Bono ne m'avait aucunement déshonorée. Mais cela ne sortait pas, et les feuilles continuaient de flotter devant mes yeux. Grande-Tante désapprouverait totalement. Que me ferait-elle alors ? Me renverrait-elle, piteuse et honteuse, en Soulogne pour me faire remplacer par la vraie baronne de Soulogne ? Je tomberais au plus bas dans son estime. Il ne fallait pas ! Même si Grande-Tante avait des façons de faire que je ne comprenais pas, elle savait ce qu'elle faisait. Toujours. Il fallait que j’apprenne à lui faire confiance, elle était bien plus au fait que moi de la vie dans la Capitale, et surtout à la cour du Roi. Mais tout de même, de là à aller sacrifier un pauvre jeune homme si innocent, de façon si inutile ? Je levai les yeux vers Michon, qui regardait, les yeux brillants, Valère lui expliquer je ne sais quoi, une goutte de gras sous la bouche. Je la lui essayai délicatement et il me rendit un sourire benoît.


Dehors, le jour s'était levé, la lumière naissante ayant remplacée l'obscurité. Le soleil était cependant toujours caché sous les bâtiments. Les cloches sonnèrent sept heures.


 


-Où le duel doit-il se dérouler, déjà ? demanda Valère.


 


Michon répondit immédiatement :


 


-A la cour des miracles de la rue du Bacq, pour les huit heures.


 


Valère se caressa le menton, pensivement :


 


-Votre homme s'y connaît, il a choisi un bon endroit, même si j'aurais opté pour une heure un peu plus matinale. Sur les coups de sept heures, pour ne pas prendre de risques.


 


Comme nous le regardions tous les deux étonnés, il se sentit de devoir compléter :


 


-Les cours des miracles sont des zones de non-droit de la Capitale tenues par des bandes de brigands locaux, dans lesquelles la Maréchaussée n'ose intervenir. Un endroit idéal pour un duel quand on connaît le chef de la bande qui contrôle la cour des miracles.


 


-Mais pourquoi devrait-on craindre la Maréchaussée pour un duel d'honneur ? lui demandai-je, étonnée.


 


Il me regarda, surpris :


 


-Eh bien, gente demoiselle, parce que les duels ont été interdits par l'Ancien Roi, et que notre nouveau Sire a maintenu l'interdiction.


 


-Mais...


 


Comme je laissai ma phrase en suspens, il reprit :


 


-La Soulogne est une contrée éloignée de la Capitale. L'autorité du Roi diminuant avec la distance, peut-être que le duel d'honneur y est pratiqué car son interdiction n'est pas connue. De toute façon, voyez comment elle peut être dévoyée ici-même, à la Capitale, sous le nez et à la barbe de notre Roi bien aimé ! Vous noterez avec amusement que même feu votre grand-oncle Monsieur Le Teiller, pourtant secrétaire d’État et au fait des lois, avait pratiqué plusieurs duels d'honneur, dont un à la cour des miracles de la rue du Bacq, après l'interdiction par édit royal. Mais je parle, je parle, et nous allons être en retard. Allez rapidement prendre vos affaires et rejoignez-moi dans la cour, j'ai fait harnacher Michel III et la charrette. Cela ira plus vite qu'à pieds, nous en avons pour une demi-heure de trajet environ. Je prends pour ma part le coffret aux pistolets de Monsieur et des bandages. Et... à défaut de changer vos vêtements, prenez peut-être quelques rechanges avec vous. Vous vous rendrez compte que vous n'êtes pas convenablement apprêtés pour ce dont nous avons à faire.


 


Nous prîmes la route cinq minutes plus tard, remontant vers le nord et le fleuve, avant de bifurquer vers l'ouest et, d'après Valère, rue de la Tour, rue de Grenèle et enfin rue du Bacq.


Le cheval allait cahin-caha, les rues étant déjà bondées à cette heure qui me semblait pourtant si matinale. Beaucoup de piétons, des charrettes chargées de tout et de rien, de rares cavaliers, des animaux guidés ou errants, une foule bigarrée et cosmopolite remplissait les rues et ralentissait la circulation. Valère s'était habillé simplement et, en tant que guide de la charrette, semblait se fondre dans la masse. Nous attirions par contre, avec Michon, tous les regards, nos vêtements semblant incongrus pour la population que nous croisions. Le bruit ambiant était soutenu, entre les conversations, les engueulades, les cris d'animaux et les crissements mécaniques des essieux et des roues. Je me rendais compte que nous étions bien tranquillement et heureusement abrités des sons de la ville dans l'hôtel particulier de Grande-Tante.


 


La chaleur commençait également à monter, surtout lorsque les rayons du soleil dardaient à travers la muraille de bâtiments qui bordaient les rues. Une odeur d'excrément s'infiltrait doucement dans mes narines, s'accentuant avec la distance et le changement de type de bâtiment, les maisons de maître ou bourgeoises laissant place à des bâtiments plus décrépis et des bicoques de fortune.


 


La foule, la chaleur, le bruit, la nausée, je sentais remonter en moi la panique qui m'avait assaillie lors de l'arrivée en ville. Je glissai ma main dans celle de Michon, et me rapprochai de lui. Il me regarda, l'air distant, même si un sourire vint effleurer ses lèvres. Valère, devant nous, continuait de nous présenter les lieux et fournir des anecdotes, ne se rendant pas compte que nous ne l'écoutions plus. Je regardai Michon dans les yeux. Ma bouche s'ouvrit. Je voulais lui dire. De faire demi-tour. De fuir le duel. Mais elle se referma, et je baissai les yeux. Il posa ma tête sur son épaule, et se mit à me caresser les cheveux.


 


-Nous y voilà. La cour des miracles de la rue du Bacq.


 


Valère fit arrêter la charrette devant un porche en bois miteux donnant dans une muraille de bâtiments en mauvais état. Les bâtiments de l'autre côté de la rue ne valaient guère mieux. Nous nous étions éloignés du centre-ville, et la rue s'était légèrement dépeuplée. Une autre charrette était stationnée dans la rue, de l'autre côté du porche. Trois personnes patientaient à côté. Je reconnus immédiatement le sieur Bono et la grande et froide Annabelle. J'imaginai donc que la troisième personne, un homme fluet à l'air sérieux, crâne dégarni et petite barbichette grise, tout habillé de noir, devait être le second témoin, le médecin dont avait parlé Jean Bono à la Taverne du Rince-Cochon. Nous apercevant, Jean Bono s'avança dans notre direction et fit une petite courbette à l'attention de Valère :


 


-Jean Bono, pour vous servir. Grand profanateur répugnant et immoral, adepte de pratiques déshonorantes et sataniques, ce qui me vaut d'être convoqué en ce jour et ce lieu pour que le grand dadet ici présent puisse laver l'honneur souillée de mademoiselle ici présente.


 


Il nous indiqua en m'adressant un clin d’œil. Je sentis la main de Michon se crisper dans la mienne. Il indiqua ses deux comparses qui s'étaient approchés et l'entouraient :


 


-Je vous présente mes deux témoins : la belle Annabelle qui s'en voudrait que vous égratigniez mon pauvre corps, et mon ami médecin William qui se fera une joie de récupérer le cadavre du grand dadet pour poursuivre ses connaissances sur l'anatomie du corps humain.


 


Me levant, je m’écriai :


 


-Scélérat, vous n'avez pas le droit ! Ce ne sont pas les règles d'un duel d'honneur, et il n'a jamais été question de cela ! S'il venait à trépasser, Michon aura le droit à une sépulture chrétienne en Soulogne, auprès de sa famille !


 


Michon se leva également, et, le surplombant de toute sa hauteur maintenant inimaginable, regarda le sieur Bono d'un air froid et distant :


 


-Et votre ami travaillera-t-il sur votre cadavre si vous veniez à trépasser ?


 


Jean Bono explosa de rire :


 


-Ahahahahahahah ! Cette histoire est hilarante, mon jeune ami ! » puis, se tournant vers Valère et reprenant son sérieux : « Monsieur, si je ne vous connais pas encore, je vous ai déjà vu chez Monsieur et Madame Le Teiller. Connaissant l'intérêt de Monsieur Le Teiller pour les duels d'honneur, je suppose que vous connaissez les « règles » associées, ainsi que celles du lieu. » Il pointa le porche du pouce. « Vous vous doutez donc que, si j'ai proposé la cour des miracles de la rue du Bacq, c'est que je connais personnellement Barnabé, qui m'a garanti l'immunité et la tranquillité des lieux le temps de notre affaire. Un mot de ma part, et l'immunité et la tranquillité des lieux disparaît, ainsi donc que notre duel d'honneur. Mademoiselle resterait souillée, la pauvrette, jusqu'à la fin de ses jours. De plus, le duel d'honneur étant interdit par notre très cher Roi, je ne vois pas de quelles règles la gente demoiselle veut parler. Donc, pour qu'il y ait duel, il y aura cadavre de grand dadet fourni à mon ami ici présent.


 


Valère se tourna vers nous :


 


-Malheureusement, le sieur Bono est en position de force et sa demande de dernière minute, proprement répugnante et contraire à la morale chrétienne, peut s’entendre. A moins de finalement décliner le duel, Michon, je ne vois pas d'autre solution que de l'accepter si vous souhaitez laver l'affront fait à Anne de Pont de Sainte-Croix.


 


Un déclic. Enfin une bonne nouvelle ! Je voyais enfin la solution pour couper court à cette mascarade et éviter la mort inutile de Michon. Refuser le duel du fait de la demande inacceptable du sieur Bono ! Ma bouche s'ouvrit mais Michon fut plus rapide :


 


-Si cela permet au duel de pouvoir se réaliser, j'accepte la demande crapuleuse de dernière minute du sieur Bono, et accepte que mon cadavre, si je péris, finisse entre les mains du médecin William ici présent.


 


Ma bouche resta ouverte, sans qu'aucun son n'en sorte. Seul un terrible « non ! » interminable cogna dans ma tête. Jean Bono se frotta les mains :


 


-Voilà qui est parlé fort justement, mon jeune garçon ! Dites-vous que votre sacrifice ne sera pas vain, et servira à pouvoir un jour sauver des milliers de vies ! Mais donc, m'étant présenté et ayant introduit mes témoins, est-il possible que vous en fassiez de même, mon jeune ami ?


 


Michon souffla par le nez :


 


-Michon, de Soulogne. Je vous défis en duel pour racheter l'honneur de...


 


-Ouiouioui, on sait tout ça mon garçon. Les deux autres personnes ?


 


-Anne de Pont-de-Sainte-Croix, baronne de Soulogne, objet du présent duel d'honneur, et Valère, euh...


 


-Valère, de Gronoblo, au service de feu Monsieur Le Teiller depuis trente ans. Témoin de sept duels d'honneur ayant impliqués Monsieur Le Teiller.


 


Jean Bono émit un sifflement admiratif.


 


-Que voilà du beau monde. Et maintenant, les présentations étant faites, je vous propose de rentrer les charrettes dans la cour des Miracles.


 


Il fit traîner le « a » de Miracles, exagérant son effet en tendant un bras de bienvenue en direction du porche. Pendant toute la conversation, les passants louchaient furtivement dans notre direction, mais faisaient mine de ne pas nous voir lorsque nous jetions un œil dans leur direction. Comme si notre position devant le porche nous classait de facto dans le rang de gens peu recommandables.


 


Michel III reprit son avance lente et passa sous le porche, le son des sabots se répercutant sur le bois miteux. De l'autre côté du porche s'ouvrait une grande cour terreuse et boueuse complètement vide de vie, encore épargnée par les rayons du soleil, entourée d'une muraille de bâtiments en bois de deux étages qui semblaient menacer de s'effondrer. La muraille du fond donnait sur trois petites ruelles s'enfonçant dans un écheveau de bâtisses difformes en bois, les étages supérieurs des bâtiments de part et d'autre des ruelles arcs-boutants les uns aux les autres. La cour d’accueil était jonchée d'objets en tout genre, tables, chaises, planches en bois, tonneaux, signe qu'elle était, en temps normal, occupée, vivante voire grouillante.


Des murmures parvinrent d'au-dessus de nous. Ma main revint se blottir dans celle de Michon. Levant la tête, je ne remarquai rien de probant, mais quelques mouvements furtifs dans des fenêtres aux étages semblaient indiquer que nous étions scrutés. Valère guida la charrette au centre de la cour, suivis par celle de William dans laquelle étaient remontés Jean Bono et Annabelle. Je voulais être présente pour pouvoir apporter mon soutien physique et psychologique à Michon, pensant qu'il aurait besoin d'aide dans cet instant fatidique. Mais il se trouvait que je me retrouvais pour ma part démunie, craintive et en besoin d'aide, alors que Michon, tandis qu'il descendait de la charrette, paressait calme et serein.


 


Valère prit la parole :


 


-Sieur Bono, veuillez préparer votre arme, pendant que je m'occupe de celle de Michon. Comme le veut l'adage, je contrôlerais les armes, assisté de William, avant que vous ne preniez place.


 


Encore dans la charrette, je donnai le coffret aux pistolets à Valère qui sorti l'ensemble des ustensiles et commença à préparer l'arme. Jean Bono, de son côté, sortit son pistolet de l'arrière de sa ceinture, l’examina et le chargea d’un geste satisfait.


 


Je descendis et me rapprochai de Valère et Michon. Ce dernier était concentré sur les opérations de Valère, et ne montrait aucun signe de tension, de peur ou d'inquiétude étant donné la situation. Je tremblai intérieurement, les pourquoi et les comment engluant mon esprit. Tout cela était si stupide.


 


Les deux hommes s'approchèrent du centre de la cour et du sieur Bono. Je retournai m'appuyer à la charrette, prise de vertiges et une sensation de froid se répandant dans l'ensemble de mon corps.


 


-Alors, piccolo gattino, tu joues à la vergine effarouchée ?


 


Annabelle avait quitté sa charrette et s'était approchée de moi.


 


-Madame, je ne vous permets pas !


 


-Mademoiselle Anne de Pont de Sainte-Croix, il faut bien que tu te rentres dans ta petite tête de passera qu'ici, je me permets ce que je veux. Et toi aussi, d'ailleurs, si tu le veux.


 


Valère et William contrôlaient les deux pistolets.


 


-Partez ! Je ne veux point vous parler.


 


Je tremblai.


 


-Ne t'affoles pas, ma belle. Sache que mio uomo ne va faire qu'une bouchée du tien. Enfin, mio uomo. Comme tu as peut-être déjà pu t'en rendre compte, difficile de savoir ce qu'il pense réellement. Et s'il est un onesto uomo quand il te dit Ti amo en roucoulant.


 


Mes yeux devenaient brillants.


 


-Michon va laver mon honneur. Le sieur Bono va expier ses péchés.


 


Michon et Jean Bono s'éloignaient chacun de huit pas du centre de la cour. Annabelle m'agrippa par le haut de la robe, me tournant face à elle :


 


-Ah, nous y voilà ! Sache que Giovanni Bono n'est peut-être pas l'uomo perfetto, il est sufficiente, c'est un bellissimo-parlatore, il mente spesso, mais s'il y a bien une chose sur laquelle il est integro, avec la danse, c'est sur la violence faites aux donne. Jamais, au grand jamais, il ne lèverait la main sur une donna. C'est pour ça que je sais que tu es une piccolo bugiardo sporco.


 


Valère : « Messieurs, levez armes ! »


 


Les larmes coulaient sur mes joues, tandis que je me dégageai d'Annabelle.


 


Valère : « Feu ! »


 


Crac !


-AAAAAAAAAAARRRRRRRRRRHHHHHH !!!!


Bang !


-AAAAAAAAAAAAAARRRRRRRRRHHHH !!!


Bang !