Princesse Fefo-part 2, par Wargen

La plume de la flèche touche presque ma pupille. Mon bras, en plein effort pour garder l'arc bandé, suit la trajectoire supposée de l'animal. Dès qu'il sort des fourr&eacu…




Chapitre 20: Princesse Fefo-part 3, par Wargen

Michon termine de m'harnacher d'une armure de plate.


 


-Princesse, je sais bien que cela ne vous fera pas changer d'avis, mais je me permets de vous rappeler que ce n'est pas une bonne idée. Et... si je ne suis qu'un parmi d'autres, sachez que je tiens grandement à vous.


 


-Mon grand Michon, tu n'es peut-être qu'un parmi d'autres, mais tu es le premier et je tiens à toi.


 


Je lui fais baisser la tête et l'embrasse.


 


-Maintenant, tu as raison. Ma décision est prise et je ne la changerai pas.


 


Michon soupire :


 


-Je vous souhaite bonne chance, princesse.


 


-Je te remercie. Je prie les dieux que tout se passe bien.


 


Je récite une petite prière dans ma tête à l'attention de la Déesse de la nature. Michon relève mes cheveux et glisse le heaume sur ma tête. Ma vision se rétrécie grandement. Il m'aide à monter sur le puissant cheval d'emprunt, me met les pieds dans les étriers et, une fois installée, m'équipe de l'écu et d'une lance.


 


J'effectue quelques pas et mouvements pour apprendre à manipuler ce cheval que je ne connais pas. La clameur au loin se fait plus forte. L'adrénaline commence à envahir mon cerveau. J'ai des fourmillements dans les jambes. Alors, prenant mon courage à deux mains, je dirige mon animal vers le lieu du tournoi, Michon me suivant en retrait, à pieds, en portant plusieurs lances de rechange.


 


Le champ s'ouvre à moi, laissant apparaître la piste, la lice et les grands gradins en bois qui entourent la zone. La foule est dense. Sept cavaliers sont déjà alignés devant la tribune royale, Père ayant commencé son discours. Il s'arrête en me voyant avancer lentement vers les autres chevaliers. L'ensemble de la foule tourne son regard dans ma direction. Je me sens petite, mais mon armure ne laisse rien transparaître. Père lève les mains et fait taire la sourde clameur qui bruissait dans les gradins :


 


-Allons donc, un nouveau compétiteur fait son entrée ! Même si le Tournoi de la Majorité concerne  les bacheliers pour leur dix-huitième année, il est ouvert à qui le désire et a les moyens d'y participer, qu'il soit de noble descendance ou non. Toi, le nouveau venu, désires-tu participer au Tournoi de la Majorité ?


 


Je pense au plus profond de moi que je coche toutes les cases pour y participer. A part, peut-être, celui de ne pas être un homme. Je montre mon poing ganté et cogne ma poitrine en signe d'acquiescement. Des vivats roulent des tribunes. Père reprend :


 


-Toi, le mystérieux nouveau venu, tu tombes à pic. Nous allons donc organiser le tournoi par phase d'éliminations successives. Mais avant que je ne donne les consignes, te présenteras-tu à nous ?


 


Après quelques secondes de tension, mon heaume fait le signe de la dénégation. Père sourit et reprend la parole de sorte à ce que l'ensemble de la foule l'entende :


 


-Ainsi donc, tu souhaites garder l'anonymat jusqu'à ta défaite... ou ta victoire. Qu'il en soit ainsi. Mes chers concitoyens, nous accueillons donc en grande fête, en cette année, pour le Tournoi de la Majorité : le grand Miso, fils de mon cher primo-conseiller ; le fier Jacques, fil du duc de Belige et Ran ;  Barnabé le Gros, fils du duc de Labat ; Henri, fils du vicomte d'Issy ; Gontrand, fils du comte de Sourl ; le jeune Arnaldur, prélat du grand-prêtre du Dieux de la guerre et de la mort ; Helmund, le fils de l'ambassadeur Thor de notre cher royaume voisin du Vallala ; et notre mystérieux nouvel arrivant.


 


Il explique à l'ensemble des chevaliers et de la foule le fonctionnement du tournoi et forme les premiers duels. Je me retrouve contre Henri, fils du vicomte d'Issy.


 


Avant le début du premier tour, certains chevaliers se rendent auprès de leur dulcinée qui accroche un long morceau de tissu sur leur heaume. Miso se rend auprès d'Aliénor, la jolie fille du duc de Lieudit. Je me dirige vers la place vide auprès de Père et Mère, et pointe ma lance en direction du drap brodé de deux ours noirs adossés sur fond or qui représente mes armoiries. Boucle-d'Or jaillit en rigolant de son siège, descend les marches et vient accrocher un ruban or à ma lance. Père se lève et rejoint ma petite sœur adoptive :


 


-Je vois que tu as de grandes ambitions, mystérieux chevalier. Je suis désolé que ma grande fille n'ait pu se joindre à nous pour ce tournoi, mais je lui ferais personnellement passer le message qu'elle eut pu avoir un vaillant prétendant si elle avait daigné se joindre à nous. J'espère que le sourire attendrissant de sa jeune sœur pourra compenser et te donner le courage pour les passes à venir. Maintenant va, et que les Dieux puissent être avec toi.


 


Je relève la lance, cogne ma poitrine et dirige mon cheval vers la piste.


 


Miso défait difficilement Helmund, Arnaldur bat rapidement Gontrand et, contre toute attente, Barnabé le Gros tombe le fier Jacques. A notre tour. J'élance mon cheval au galop, pointe le cœur d'Henri avec la lance. Au moment de l'impact, je dévie sa lance d'un coup de bouclier, tandis que la mienne vient se fracasser sur la poitrine du jeune homme qui se désarçonne et vole en arrière. La foule exulte.


 


Second tour, Miso se voit défier Arnaldur, tandis que je me retrouve contre Barnabé le Gros. Alors que je m'approche de la tribune royale, ma petite sœur adoptive courre accrocher un nouveau ruban à ma lance. Elle tape dans ses mains et m'affiche un visage radieux. Je souris sous mon casque.


 


Dans une lutte à quatre passes, Miso défait difficilement Arnaldur et se retrouve en finale. Bien qu'il soit massif et donc plus facile à toucher, Barnabé le Gros me semble également plus lourd et donc peut-être difficile à bouger. Alors que je lance mon cheval, l'idée d'essayer de le désarçonner me semble mauvaise. Il me faudra plutôt... Je n'ai pas le temps de finir mes pensées que nous nous rencontrons déjà, et dans un mouvement similaire, nos écus dévient nos lances, qui touchent dans le vide. Le cheval arrive au bout de la piste et je le fais se retourner prestement. J'attaque ma nouvelle course d'élan au plus vite, voyant que Barnabé a du mal à faire tourner son animal. Il attaque à peine sa course d'élan que j'arrive déjà pleinement lancée sur lui. Nos lances touchent au but et je dois serrer les rênes à pleine main pour ne pas basculer en arrière. Barnabé ne bouge pas d'un pouce sur sa monture. Mais ma lance s'est complètement fracassée sur lui, tandis que seule l'extrémité de la sienne a volée en éclat. Je suis donc déclarée vainqueur du duel.


 


Je retourne à la tribune royale et Boucle-d'Or revient accrocher un ruban à ma nouvelle lance. Elle me lance, toute excitée et joyeuse :


 


-Ça a tout cassé !


 


Mère qui s'était approchée, ébouriffe les cheveux de ma sœur adoptive :


 


-A ton avis, ma chérie, est-ce que le mystérieux chevalier va encore casser toute sa lance sur le grand Miso, ou va-t-il tomber sur plus fort que lui cette fois-ci ?


 


Elle me regarde, songeuse :


 


-Faites attention à Miso. Il est plus coriace que vos deux premiers concurrents.


 


Je la remercie d'un hochement de tête, puis me redirige, sous la clameur, vers le début de la piste. Je croise Miso, qui venait de se faire raccrocher un ruban à la lance par Aliénor :


 


-Alors, l'inconnu, prêt à mordre la poussière ? Tu as perdu ta langue lors du choc contre Barnabé le Gros ? Je m'en vais te faire perdre bien plus que cela, tu vas voir !


 


Il continue sa route en se gaussant. Je me contiens et tente de ne pas ouvrir la bouche pour trahir mon identité.


 


Arrivée en bout de piste, au signal de Père, je lance ma monture en avant, imité par Miso en face de moi. Le moment de l'impact se rapproche, et je vise avec ma lance. Miso ralentit très soudainement sa monture, et la pulsion de ma lance pointée en avant ne touche que le vide, avant de glisser sans puissance sur l'armure de Miso. J'ai tout de même le temps de dévier du bouclier la lance de Miso qui ne me touche pas. Arrivée en bout de piste, je fais tourner très rapidement ma monture et attaque de nouveau. Mais au contraire de Barnabé, Miso a également fait voler rapidement sa monture et attaque sa course d'élan. Je tente de me focaliser sur mon adversaire, mais l'armure brillante de Miso reflète le soleil et gêne ma vue. Comme à la première course, Miso ralentit sa monture juste avant le choc. Je fais de même et, légèrement aveugle, donne un coup d'écu qui dégage heureusement sa lance. Il fait de même avec la mienne, et nous arrivons de nouveau en fond de piste sans avoir touché. Nous attaquons la troisième course d'élan. Faisant bouger mon écu, je remarque une tache brillante sur l'armure de Miso. Un sourire se dessine sur mes lèvres. Quelques mètre avant l'impact, je pivote mon bouclier et guide la tache de lumière dans la fente du heaume de Miso. Je le vois se redresser sur sa monture, surpris, et appuie de toute mes forces des talons dans les flancs de mon cheval qui donne brusque coup d'accélération. Ma lance vient fracasser la poitrine d'un Miso décontenancé, qui vient s'écraser par terre quelques mètres plus loin sous la force de l'impact.


 


La foule est en délire, mais le son résonne en sourdine dans mon casque. Je stoppe le galop, retourne ma bête et me rapproche au pas de Miso au sol. Il a enlevé son casque et se tient la tête entre les mains. Michon me rejoint, m'aide à descendre de mon destrier, attrape mon bouclier et ma lance brisée, et s’éclipse. Miso relève le visage larmoyant dans ma direction :


 


-C'était mon jour de gloire. Enfin ! J'avais tout préparé pour. Et même cela, vous me l'enlevez. Je n'en peux plus, ma Reine. Je me rends. J'abandonne. Je déclare forfait.


 


-Je ne suis pas encore Reine. Si tant est que je le sois un jour. Comment m'avez-vous percé ?


 


-Voyons, je suis jeune, je suis beau, je suis talentueux et excelle en tout. Sauf qu'il y a toujours une personne pour faire mieux que moi. Et dans toutes les grandes actions que j'entreprenne, il y a toujours une personne pour les faire s'échouer. Et dans les deux cas, cette personne, c'est vous, ma Reine. Je me fiche que vous ne le soyez pas encore. Vous l'êtes déjà, pour moi. J'ai grandi entouré de parents qui vous en veulent et m'ont inculqué une haine à votre encontre. Petit, j'ai trouvé cela rigolo et ai pris le pli. Je n'ai jamais cherché à comprendre et savoir d'où ce ressentiment pouvait venir, il était là, et cela suffisait à mon père et ses proches. Mais maintenant, il faut que j'ouvre les yeux : tout cela est inutile, bête et bas. Vous êtes une Reine courageuse, guerrière, intelligente, subtile et avez toujours dû lutter ardemment et avec succès contre des pouvoirs qui ne voulaient pas de vous. Vous avez toujours réussis à vous imposer quand tout se liguait contre vous. Vous jouissez même d'un physique agréable dont je ne suis pas indifférent, même si je sais que je pars de trop loin dans votre estime pour arriver à mes fins. Non, tout ce ressentiment et cette haine sont mesquins et stupide, et il faut bien se rendre à l'évidence que vous serez une Reine compétente, glorieuse, admirée et juste. Le fait que vous soyez une femme n'est pas un facteur limitant, vous le prouvez à longueur de journées. Mon père se trompe à votre sujet et s'aveugle dans ses idées conservatrices.


 


Je lui tends la main et le relève. Il me toise de toute sa hauteur, équivalente à celle de Michon :


 


-Ma Reine, sachez que je vous serais à partir de maintenant loyal et tenterais de vous servir du mieux que je peux. Je dois bien admettre que je vous jalouse, mais cette jalousie vient du fait que vous vous surpassez tous les jours pour prouver que vous êtes à même de devenir ce que vous êtes destinée à devenir : une Reine devant diriger un royaume contre vents et marées. Je vous jalouse également pour m'avoir enlevé la gloire de cette journée, mais votre victoire est méritée.


 


-Je ne pense pas que votre défaite en ce jour ne changera les sentiments qu'Aliénor vous porte, si cela peut vous rassurer.


 


-Je n'ai pas de soucis à ce sujet. » Il me sourit « Au moins puis-je également me rassurer en me rappelant que je ne porte pas votre prénom, que je trouve toujours aussi moche et peu seyant. J'espère que vous le ferez changer en accédant au trône !


 


Il me regarde quelques secondes, pensif, puis se détourne et se dirige vers son cheval qui était revenu doucement dans notre direction. Je me rends compte que la foule joyeuse scande des hourras pour le chevalier mystérieux. Père est en train de se diriger vers moi. J'enlève alors mon heaume, mes cheveux se libérant et retombant sur mes épaules. Un moment de stupeur gagne la foule et Père s'arrête, éberlué. Puis le délire reprend de plus en plus fort au nom de « Princesse Fefo ! Vive la princesse ! ». Père accoure et me prend dans ses bras en rigolant. Le primo-conseiller, les ducs et les grand-prêtres présents quittent les tribunes des visages mauvais.


 


 


 


Mes doigts glissent sur les cordes de la harpe. Le jeune barde chante, les yeux fermés, complètement absorbé dans sa prestation. Sa voix d'ange est pure et me donne chaud. Boucle-d'Or, assise contre le mur, écoute avec attention, séduite pas ce qu'elle entend. Le barde est jeune, il est beau, il est compétent, il n'est pas réceptif aux signaux que je lui envoie. Cela fait plusieurs mois qu'il est arrivé à la capitale, et il s'est intégré rapidement au château pour prodiguer ses services. Il est multi-instrumentiste, chanteur, compositeur, poète. Il me donne des cours de harpe, et des cours de diction à Boucle-d'Or qui retrouve petit-à-petit un usage structuré de la parole après avoir passé une période inconnue en pleine nature sauvage. Et ce soir, j'arriverai à mes fins, quoiqu'il en...


 


La porte s'ouvre et Père entre dans la chambre. Surprise, je pince une corde d'une mauvaise manière, provoquant un son désagréable. Le barde s'arrête de chanter. Boucle-d'Or fait une grimace. Père semble soucieux :


 


-Je m'excuse de vous déranger, mais une situation d'urgence requiert ma grande fille. Fefo, vient avec moi.


 


-Oui, Père.


 


Je le suis jusqu'à la salle du conseil où ce dernier est entièrement réuni. Une fois installés, le primo-conseiller Gin prend la parole :


 


-Mon Roi, comme vous le savez, votre fille unique, la princesse Fefo, est rentrée dans sa dix-huitième année. Et elle n'a toujours pas pris époux. Cette situation est inédite, mais j'ai consulté les textes et ils avaient parés à cette situation. Dans un pareil cas, la princesse célibataire doit rendre visite aux cours des royaumes voisins pour se présenter et envisager un contrat de mariage avec un prince voisin si une situation intéressante se présente. Cette décision est importante, c'est pourquoi je me suis permis de réunir le conseil élargi pour statuer sur ce qui doit être fait vis-à-vis des textes.


 


Un tour de table est réalisé. Chacun donne son avis. Comme un piège qui se referme sur moi, bien évidemment, l'ensemble de conseil valide la proposition du primo-conseiller. La décision finale revient cependant à Père :


 


-J'ai entendu tous vos avis éclairés et vos recommandations, et vous remercie. Je pense comme vous qu'il est bon que ma chère fille se rende en voyage de présentation dans les cours des royaumes voisins. Nos relations diplomatiques se sont légèrement distendues ces derniers temps, et cela permettra de redonner un élan à l'ère d'ouverture et de paix que je compte poursuivre avec l'ensemble de nos voisins. Cela dit, je considère ma fille comme suffisamment intelligente et censée pour choisir son futur époux par elle-même. Si je serais le plus comblé des hommes lorsqu'elle me présentera son futur mari, je ne lui imposerais aucun mariage forcé, et n'attendrais pas forcément de ce voyage diplomatique qu'il s'achève par une lettre d'engagement pour une union de ma fille avec un prince ou un roi étranger. Ma chère fille, il faudra que tu œuvres dans les prochains jours à la préparation de ce voyage et de la suite qui t'accompagneras. Je me chargerais, avec le conseil, de dresser ton parcours, afin que cette question pratique ne te perturbe pas. Nous ferons partir des diplomates dans les royaumes voisins pour annoncer ta venue. Messieurs, ma fille, je vous remercie pour cette réunion exceptionnelle et vous libère pour cette soirée maintenant bien entamée.


 


 


 


-Es-tu sûre de ne pas vouloir venir, Tata Yoyo ?


 


-A mon âge, pour un si long chemin ? Voyons, mon enfant, ce n'est pas raisonnable.


 


-Mais, je... c'est...


 


La vieille femme me regarde en souriant.


 


-Ne t'en fais pas, ma chère Fefo. Je vais faire une lettre de recommandation auprès de la grande-prêtresse de la Déesse de la nature pour qu'elle mette à ton service la jeune Diane, une apprentie prêtresse belle comme la lune et formée aux arcanes de mon savoir. Elle n'a pas autant d'expérience que moi, mais elle est prometteuse, et je sais que vous vous entendrez bien.


 


Elle me glisse un sourire malicieux :


 


-Et ça évitera que tu emportes tout ce tas de potions avec toi, il t'encombrera plus qu'autre chose. D'ailleurs... n'es-tu pas un peu ambitieuse vu tout ce que tu comptais emporter comme philtres, charmes et autre potions miraculeuses ?


 


Je rougis bêtement.


 


 


 


Les au-revoir sont émouvants et je quitte mes parents et Boucle-d'Or à regrets pour ma plus longue période hors du royaume. Je rejoins la petite troupe des sept compagnons qui ont acceptés de me suivre dans ce périple. Sept jeunes gens d'âge similaire, dans la force de leur jeunesse insouciante et pleine d'envie de dévorer le monde. Le grand et puissant Michon, mon premier et plus fidèle compagnon, lié à tout jamais à moi par les plaisirs de la chair. Le grand, beau et courageux Miso, devenu un compagnon fiable et fidèle. Le gracieux barde Basile, dont le pouvoir de la langue et des mots saura nous faire comprendre dans les contrées lointaines, et dont je ne désespère pas de pourvoir le faire entrer une nuit dans ma couche. La frêle, douce et diaphane Diane dont la connaissance de la nature me permettra de remplacer les potions miraculeuses de Tata Yoyo. L'imposant Arnaldur, dont seule la grande toge blanche recouvrant la cotte de maille laisse entendre qu'il est un homme de foi et non un puissant et sauvage guerrier. Abbath, fils du marchand James Lecapital, nous apportant une connaissance des langues étrangères et un pouvoir de négociation bienvenu. Et en représentant de la noblesse du royaume, Barnabé le Gros, aîné du duc de Labat, seul duc à ne pas s'opposer à moi.


 


 


 


Douze mois. Douze longs mois riches en aventures et expériences. Nous avions traversé maints royaumes, proches puis plus distants. Le boisé royaume de Vallala, le froid et montagneux royaume d'Aglagla, l'empire fédéral des états Mauraves, l'immensité désertique du royaume de la Douce Éternité, les steppes infinies de la Grande Horde d'Or, l'empire lointain et mystérieux du Soleil levant, l'humide et étouffant royaume M'rnc...


 


L'ambiance dans la troupe resta joyeuse, festive et amicale. Petit à petit, tout le monde passa dans ma couche. Je pus récompenser Miso de son allégeance, goutter à la puissance d'Arnaldur, découvrir la sensibilité privée de Barnabé le Gros, chercher refuge dans les bras réconfortants de Michon, me laisser entraîner aux ébats de même sexe avec la douce Diane, et venir à bout du méfiant et calculateur Abbath. Seul Basile, dont je soupçonnais maintenant un attrait unique pour les hommes, me résista tout du long, et ce malgré les philtres d'amour dont je noyais ses boissons.


 


Ce voyage fut l'occasion pour tout le groupe de mettre à l'épreuve ses compétences, faire face à la nouveauté bienvenue, et revenir plein de souvenirs physiques ou intangibles.


Par son sens de la diplomatie et des langues, Basile permit de nous ouvrir toutes les portes et faire en sorte que notre accueil se passe du mieux possible partout où nous mettions les pieds. Abbath put démontrer son sens de la négociation et du consensus en évitant un incident diplomatique avec le seigneur de guerre de la Grande Horde d'Or, qui prit une remarque de ma part comme une validation de sa volonté de me prendre pour femme et allait m'enlever pour la grande chevauchée nocturne, rite nuptial local. Arnaldur prouva mainte fois sa valeur au combat en triomphant, dans le sang et avec son marteau de guerre, de bandits ou de gardes de seigneurs locaux malavisés ; il put s'initier aux rites spirituels d'un ordre local de moines-guerriers de l'empire Turcoïde, qui atteignent les Dieux en tournant sur eux dans des rotations sauvages et infinies. Barnabé le Gros, qui s'avérait être un cuisinier hors-pair, revint la tête pleine de nouvelles saveurs et recettes, et les bagages remplis de nouveaux ingrédients appétissants. Miso tomba en pamoison devant la sublime princesse du royaume du Bacharâ et oublia totalement Aliénor, pris d'un sentiment de nostalgie prononcé dès notre départ du royaume de sa nouvelle bien-aimée. Michon put démontrer ses talents de forgeron dès lors qu'il en avait l'opportunité, et établir, sous la houlette très intéressée d'Abbath, un contrat de vente d'armes avec le royaume des Deux Cilicies. Diane en profita pour s'ouvrir aux diverses pratiques naturalistes et chamaniques, venant de dogmes ou cultes à des divinités diverses, dont le principal point commun est qu'ils étaient tous tenus par des femmes, quel que soit la civilisation dont nous faisions face.


 


De mon côté, je ramenais du périple bon nombre de lettres de proposition de mariage ou d'alliance, de courriers  dithyrambiques remis juste avant mon départ dans lesquels de jeunes princes poursuivaient à l'écrit la flamme qu'ils m'avaient déclarés à l'oral lorsque je me trouvais en leur royaume, de parchemins renouvelant la volonté de relations de paix et de prospérité avec notre royaume ou offrant la possibilité d'ouverture de route de commerce. Je dus faire le tri dans l'ensemble des cadeaux qui me furent remis, et n'emportais avec moi que les objets les plus beaux et insolites. Comme ce morceau de roche noire émettant régulièrement des pulsations verdâtres, un « Cœur du Démon » comme l’appela le Roi du royaume tribal du Tchiganiwa en me l'offrant.


 


Après tant de nouveaux lieux visités, tant de nature diverses et de paysages différents, le retour sur nos terres se déroule comme la découverte d'un nouveau territoire. Nous ne reconnaissons plus les forêts, les lacs, les rivières, les landes que nous traversons, alors que nous les connaissions depuis tout petit. En s'approchant de Thiercelieux, la rumeur se fait plus forte, les paysans nous précèdent et se précipitent à la capitale. Une grande fête est préparée pour notre retour. Et, tels des soldats revenant d'une guerre victorieuse, nous entrons dans la ville sous un tonnerre de vivats et d'acclamations, sous une pluie de pétales de fleurs. Nous remontons lentement les artères principales bondées en direction du château, gouttant à ce sentiment de symbiose avec un peuple heureux et joyeux. Arrivée dans la grande cours principale du château, je mets pied à terre et entend ce rire qui me fait si chaud au cœur. Me retournant, je réceptionne Boucle-d'Or et la soulève dans mes bras en tournant. Elle rit, radieuse :


 


-Fefo, enfin ! Ça fait tellement longtemps !


 


-Oh oui, Boucle-d'Or, tellement longtemps. Comment vont Père et Mère ?


 


-Ils arrivent, ils arrivent ! Tu vas voir !


 


La tenant toujours dans mes bras, reniflant ses longues boucles dorées, je les vois apparaître au pas de la grande porte. Et mon regard se fige. Père me regarde en souriant. Il semble avoir fortement vieilli en une seule année. Il éternue, crachant des glaires ensanglantées. Mère se dévoile lentement derrière lui, un sourire mélancolique aux lèvres. Son ventre pointé et tendu laissant clairement apparaître qu'elle est enceinte et que l'accouchement ne devrait pas trop tarder.


 


 


 


Abattue, confuse, je regarde la porte fermée devant moi. Un coup d’œil par la fenêtre me laisse apercevoir une petite pièce sombre et complètement vide. Envolées les étagères de fioles. Partis les divers objets insolites. Disparues les plantes et racines séchées pendant du plafond. Je reste interdite pendant une durée que je ne maîtrise plus. Des larmes coulent sur mes joues.


 


Une main ridée se pose sur mon épaule. Une vieille voix nasillarde à mes oreilles :


 


-Je suis désolé que tu l'apprennes de cette manière, mon enfant.


 


Je me tourne et fais face à trois femmes. Deux vieilles et plus ou moins rabougries, me rappelant Tata Yoyo. Une plus grande et d'âge moyen, possédant déjà le regard malicieux de Tata Yoyo et de ces deux vieilles acolytes. La plus vieille des trois reprend la parole :


 


-Tata Yoyo est morte peu de temps après ton départ. Une perte regrettable pour la communauté. Et soudaine, trop soudaine. Elle nous a longuement parlé de toi. Nous expliquant que tu avais du potentiel.


 


Elle pose une main réconfortante sur mon bras. Je cache mon visage en larmes dans son épaule :


 


-Nous savons ce que tu es venues chercher ici. En plus de revoir Tata Yoyo après tant d'absence. Malheureusement pour toi, il est trop tard, et nous ne pouvons plus rien faire pour empêcher l'enfant à naître. Un coquin de sort s'est joué de toi, et il y a des frontières que notre communauté ne peut franchir. Mais nous serons toujours là pour toi. Lors de la prochaine pleine lune, Margaret ici présente viendra te chercher, et nous t'initierons pour que tu intègres notre communauté. Voilà la moindre des choses que nous pouvons te donner en ces temps difficiles pour toi.


 


 


 


Père se tient sur le balcon, surplombant toute la foule en délire. Il pleure à chaudes larmes, mais tient à ne pas sacrifier à la coutume. Mère est morte pendant un accouchement trop long et épuisant. Comme si elle avait tenu à aller jusqu'au bout de son rôle, quel qu’en soit les conséquences malgré son âge avancé. Le petit bout qui pendouille entre les jambes du nouveau-né porté à bout de bras au-dessus du vide et d'un peuple en fête par un vieil homme en proie à des sentiments contraires extrêmes ne laisse pas de place au doute : c'est un garçon.