Yeniçeri

La rumeur se répandit très rapidement dans les rangs. Mais les dires étaient divers : l'ennemi avait fait le premier pas et commençait à avancer en rangs serrés ; l'ennemi faisait marche arrière et se repliait dans la cité ; l'ennemi avait envoyé ses cavaliers contourner les lignes de la coalition afin de provoquer des escarmouches sur ses flancs. Malgré la hauteur, le positionnement de l'armée en forêt ne permettait pas d'avoir une vue dégagée sur les troupes et la cité ennemies. Rien n'avait de sens, mais tout était bien présent. Personne ne semblait avoir peur du combat à venir, et même si tous les soldats étaient bien conscients qu'une partie d'entre eux n'en reviendrait pas vivant, ils semblaient confiants dans la victoire à venir. Dans tous les cas, il n'en demeurait pas moins qu'après trois longs jours ennuyeux de préparation et d'attente, les choses allaient enfin évoluer.

Le jeune soldat réarrangea son caftan beige, bien moins gênant depuis que le bonnet retombant sur la nuque et les plumes d'apparat avaient été enlevées de la tenue traditionnelle. Il resserra sa ceinture autour de sa taille, sortit de son fourreau accroché à l'arrière de sa ceinture son sabre courbé et affûté, fit quelques moulinets et mouvements en le tenant à deux mains, pour se dégourdir les poignets. Tous ses camarades réalisaient les mêmes mouvements autour de lui, tels qu'on le leur avait enseignés lors de leur formation militaire. Ils rangèrent alors leur arme de corps-à-corps, et sortirent leurs deux pistolets des étuis à droite et gauche de leur ceinture. Ils testèrent le fonctionnement des chiens à vide, s'assurant de la production d'étincelle lorsque ceux-ci frappaient la batterie. Ils ramonèrent les canons des armes à l'aide de la tige de métal de chargement, puis rangèrent les armes dans leur étuis. Le chargement des munitions ne devrait s'effectuer que lorsque l'ordre en serait donné, afin d'éviter que le pulvérin ne s'humidifie. Ils s'assurèrent néanmoins que leur sacoches de poudre, leur sacoche de pulvérin et leur sacoche contenant les balles déjà enveloppées de bourre, étaient bien accrochées à leur ceinture. Celle-ci se trouvait donc lourdement chargée, mais son poids était compensé par un ensemble vestimentaire beige léger et souple, mais suffisamment chaud, n'entravant pas les mouvements des soldats au corps-à-corps. Chacun partit ensuite dans divers mouvements de flexions et d'étirements afin que les corps soient fins prêts aux efforts musculaires à venir.

Afin d'éviter tout défaut de préparation, l'armée était déjà positionnée dans sa formation de combat classique. Le jeune soldat se trouvait en extrémité gauche de sa ligne de bataille, la troisième et dernière ligne de bataille du corps principal. Regardant sur sa droite, il ne pouvait atteindre du regard le fond de sa ligne de bataille : les trois lignes étaient composées chacune d'environ 20 000 hommes et s'étendaient tout en longueur dans les bois dans lequel l'armée était stationnée. A sa gauche se trouvait le début du corps des forces Zulandaises. Celle-ci étaient également composées de 20 000 hommes, répartis sur un seul bloc carré compact de profondeur correspondante à celle cumulée des trois longues lignes du corps principal. De manière symétrique, le corps des forces Azélanes comprenait également 20 000 hommes positionnée de la même manière. Le jeune homme savait également qu'une ligne de 30 000 archers composite légers et mobiles se tenait dans son dos, ligne protégée des deux côtés par deux groupes montés de 10 000 cavaliers chacun.

La fière armée de 150 000 hommes, sans compter les techniciens des armements du Grand Spécialiste, ne semblait pas faire le poids face au nombre, supposé à 350 000 soldats, de l'ennemi. Mais cette armée n'avait toujours pas été vaincue, et semblait capable de poursuivre son inexorable marche en avant, quelque soit le nombre de l'adversaire.

L'étendard rectangulaire à bout cintré, à fond rouge entouré d'un liseré or, comprenant 6 quartiers de lune rouge entourés d'or, 3 au dessus et 3 en dessous d'un sabre couleur or à lame recourbée et fendue en deux en extrémité, claquait au faible vent qui parvenait malgré tout à s’insinuer dans la forêt, au dessus de son régiment.

Mehmet Aga était fier d'être Ottoman.

La région de l'Anatolie était instable depuis la chute de l'empire des Seldjoukides. Le sultanat des Seldjoukides de Roum, qui contrôlait alors la péninsule, ne survécut pas à l'invasion mongole de 1242 menée par Baïdju. Celle-ci créa un désordre politique et structurel dans la région, qui permit à de petits émirats turcs dirigés par un bey, des beylicats, de s'installer en Anatolie. Le beylicat des Ottomans se trouvait à Söğüt au nord-ouest de la péninsule, proche des frontières de l'Empire byzantin.

La prise de la ville byzantine de Mocadène par chef tribal oghouze Osman Ier en 1299 marqua le commencement de l'Empire ottoman et le début de la constitution de la première armée ottomane. Jusqu'à sa mort en 1326, Osman Ier conquit d'autres villes et places fortes byzantines et des beylicats turcs voisins.

Les successeurs d'Osman Ier continuèrent sa politique d'expansion, et Orhan Ier s'empara de Nicée en 1330, de sorte à former un Empire s'étendant au nord-ouest de la péninsule, avec un pied en mer Noire, un pied en mer de Marmara et un vis-à-vis sur Constantinople. L'Empire ottoman commença alors à mettre en place le devchirmé, un système de prélèvement forcé d'enfants non musulmans sur les territoires nouvellement conquis, afin de former, après conversion à l'Islam, des troupes combattantes d'élite, les Yeniçeri, ou Janissaires. L'Empire ottoman posa son premier pied sur le territoire européen par la prise de Gallipoli en 1354. En moins d'une décennie, l'ensemble de la Thrace tomba sous leur coupe, isolant Constantinople de ses alliés potentiels. Les Ottomans colonisèrent massivement cette région avec des membres de tribus turques, pour ne pas répéter les erreurs des conquérants Mongols et laisser une trace durable dans les régions conquises.

Andrinople, qui deviendra Edirne et une future capitale provisoire de l'Empire, signe d'une volonté d'expansion en Europe, tomba a une date incertaine entre 1361 et 1371. Les Serbes furent battus à la bataille de la Maritsa en 1371, ce qui permit aux Ottomans de vassaliser une partie des multiples souverains serbes et bulgares. Ainsi, l'Empire ottoman entourait complètement Constantinople.

L'invasion de Tamerlan en Anatolie et une lutte de pouvoir stoppa momentanément l'expansion ottomane, mais la victoire de Mehmed Ier sur ses rivaux permit à l'Empire de reprendra sa marche en avant. Et ce fut finalement en 1453 que, sous l'impulsion de Mehmed II, l'Empire ottoman signa sa plus belle victoire avec la prise de Constantinople, entraînant par là même la chute de l'Empire byzantin. En suivant, la Grèce continentale tomba complètement sous la férule ottomane.

L'Empire ottoman élargit ensuite progressivement sa souveraineté à toute la partie sud-orientale du monde méditerranéen, d'Oran jusqu'aux environ de Raguse en englobant les côtes de presque toute l'Afrique du Nord, le proche-Orient, la mer Noire, la Grèce et l'Albanie. S’étendant de plus en plus, la structure administrative de l'empire s'adapta, allant de la province dirigée par des pacha-beylerbey, à des divisions plus petites. L'empire comprenait également des état vassaux payant dont la légitimité était achetée par le paiement de tributs annuels. Sauf exception particulière, l'Empire tint à ce que chaque province soit gérée de manière délocalisée, en respectant les coutumes et structures traditionnelles. De plus, il assura sa cohésion sociale en permettant à tout un chacun, et aux janissaires notamment, d'accéder aux plus hautes fonctions. Plutôt que de céder au négationnisme du vaincu, l'Empire ottoman préféra retenir et intégrer à sa société les éléments qu'il jugeait importants ou utiles.

Néanmoins, le désir d'expansion était toujours présent. En 1517, Sélim Ier conquit l’Égypte et mit fin au sultanat mamelouk, en profitant pour transférer certaines reliques de Mahomet à Constantinople. Sous le règne de Soliman le Magnifique, entre 1520 et 1566, l'empire s’agrandit fortement, en s'accaparant l'est de l'Anatolie, l'Azerbaïdjan, le Yémen, les côtes Libyennes et une partie de la Hongrie. Après la conquête en Hongrie, les troupes ottomanes parvinrent jusqu'à Vienne en 1529 et 1532, dont elle firent le siège en vain. Dans le même temps, l'Empire se décida à créer une puissante flotte militaire pour contrarier les Vénitiens, Génois, Espagnols et Portugais. Cependant, la mort de Soliman le Magnifique en 1566 et la défaite maritime de Lépante en 1571 sonnèrent la fin de l'âge d'or et de l'expansion de l'Empire ottoman. Les frontières restèrent ainsi jusqu'en 1683, l'Empire devant faire face à des crises internes, économiques et politiques. Diverses guerres éclatèrent contre le Saint-Empire-Romain-Germanique, sans résultats probant d'un côté comme de l'autre. Sur les champs de bataille, l'armée ottomane resta une puissance impressionnante. Mais son retard économique et technique face à l'Occident s'accrut.

C'est alors que, dans cette période de trouble, un contre pouvoir émergea, en 1656, avec la nomination comme grand-vizir, premiers ministres des sultans, d'une lignée, la famille Köprülü, dont la puissance fut équivalente aux sultans, et qui entama une restructuration de l'Empire afin de retrouver sa grandeur. Cette restructuration passa par une réforme de l'armée qui lui permit de retrouver son lustre d’antan et de regagner quelques territoires, dont la Crète. C'est alors que, la confiance et le calme partiellement retrouvé dans l'Empire, le grand-vizir Kara Mustafa lança de nouveau la puissante armée ottomane sur Vienne, en 1683.

Mehmet Aga avait foi dans ses compétences militaires liées à sa formation de janissaire danseur de mort. Il était issu de la première génération de janissaire provenant du devchirmé modifié en 1705 par le Guide suprême, loué soit son nom, quel qu’il soit. Le devchirmé s'ouvrait alors à toutes la population de l'Empire ottoman, et non plus seulement aux non-musulman, tout en diminuant cependant le taux de prélèvement. Cette réforme permit de renforcer le pouvoir central du sultan et de faire peser une menace sur les aristocrates ottomans qui se montreraient trop gênants ou menaçant pour la structure interne de l'Empire. Elle permit surtout d'augmenter drastiquement, à moyenne échéance, l'ampleur de l'armée ottomane. Il fut décidé de conserver l'interdiction du mariage et de s'engager dans le commerce, le but des janissaire étant de vouer leur vie au sultan.

C'est ainsi que Mehmet Aga, originaire de l'eyalet de Tripoli et de famille de confession musulmane, fut prélevé en tant qu'impôt sur le sang afin de devenir un futur janissaire à l'âge de 5 ans. Il grandit en suivant les préceptes appliqués aux anciens janissaires d'origines non-musulmane : éducation, entraînement physique, maniement des armes. En lieu et place de l'apprentissage du maniement du mousquet long, il fut laissé aux nouveaux novices le choix entre le mousquet long, qui permettait un tir de précision mais était encombrant, ou deux pistolets, qui venaient de faire récemment leur apparition dans l'armée ottomane, moins précis à distance, mais plus maniables.

Afin de distinguer les deux futurs types de soldat, il fut décider de laisser l’appellation initiale de janissaire pour les combattant à mousquets, et d'appliquer le complément de « danseur de mort » pour ceux optant pour les deux pistolets. Mehmet était fier d'être un janissaire danseur de mort.

La conversion des enfants prélevés à l'Islam nécessitait autrefois un certain temps d'éducation spirituel et devenait inutile dans le cas d'enfants prélevés déjà musulmans. Elle fut donc remplacée par une initiation aux préceptes de l'ordre des Mevlevis, l'ordre des « Derviche tourneurs », dont le Guide suprême, loué soit son nom, quel qu’il soit, découvrit et loua les bienfaits lors de son arrivée dans l'Empire. Il considéra que ces préceptes seraient plus bénéfiques aux futurs soldats d'élite dans leur construction psychique et spirituelle, plutôt que de les enfermer dans des carcans obscurantistes de l'Islam.

Mehmet reçu donc, en plus de son entraînement militaire, une initiation qui lui permit de s'ouvrir à la perception du monde, de la beauté et de l'art, afin de se considérer comme un homme complet, et non plus seulement comme un soldat implacable.

Finalement, la formation intégra également, sous l'impulsion du Guide suprême, loué soit son nom, quel qu’il soit, l'apprentissage des préceptes fondant l'idéologie supérieure de l'Empire ottoman.

Et c'était ainsi qu'à 18 ans, sa formation militaire et humaine terminée, Mehmet avait pris la route de la guerre, confiant dans ses capacités et dans l'avenir de l'Empire ottoman. Il n'avait pas connu la défaite de Vienne en 1683, ni les odieux traités de paix qui en avaient suivis et avait imputé les premières grandes pertes territoriales de l'Empire. Il avait grandis et été élevé dans la haine de cette défaite, et dans la conviction qu'elle serait vengée. Que l'Empire retrouverait son lustre d'antan et reprendrait sa marche en avant, dans le but de sortir l'Europe de son idéologie obscurantiste et rétrograde. Et par la suite convertir le Monde à la juste, multiculturelle et supérieure cause de l'Empire ottoman.

Et c'était ce que l'Empire avait fait depuis l'arrivée du Guide suprême, loué soit son nom, quel qu’il soit. C'était pour cela que Mehmet attendait avec ses frères d'armes dans cette étrange forêt aux essences inconnues, loin des cèdres de son pays natal, aux portes d'une puissante ville du Saint-Empire dont il ne se souvenait plus du nom. Menik ? Tunich ? Ce qui importait peu, puisqu'elle allait tomber devant la puissante armée ottomane.

Le second siège de la ville de Vienne débuta le 14 juillet 1683. La garnison de la ville impériale, comprenant moins de 15 000 soldats réguliers, était ridiculement faible comparée à l'armée Ottomane composée de plus de 200 000 hommes, dirigée par le grand-vizir Kara Mustafa en personne. Elle tint cependant tête aux divers assauts successifs pendant près de deux mois. Du côté chrétien, sous la poussée du pape Innocent XI et de l'empereur Léopold Ier, une coalition comprenant plusieurs princes d'état du Saint-Empire parvint à se créer. Cette Sainte-Alliance reçut de plus l'aide inespérée du roi de Pologne. Le 12 septembre 1683, une armée composée de plus de 32 000 soldats impériaux, 27 000 soldats polonais et de la garnison de la ville fit face à l'immense armée Ottomane. Malgré le sous-nombre, les avancées implacables des troupes impériales, soutenues par les charges féroces des hussards polonais, mirent en déroute la puissante armée Ottomane.

Cette bataille marqua l'arrêt de l'expansion ottomane reprise par les Köprülü, et le début d'une guerre de reconquête de la Hongrie et de l'Europe de l'Est par les troupes du Saint-Empire. Buda tomba en 1686 après un siège de deux ans. Après deux défaites majeurs à Mohács et Zenta, le traité de Karlowitz fut signé le 26 janvier 1699 entre l'Empire ottoman d'un côté, et la Sainte Ligue, comprenant le Saint-Empire, la principauté de Tansylvanie, la Pologne-Lituanie, Venise et la Russie, de l'autre. Un nouveau traité de paix, le traité de Constantinople, fut signé en 1700 entre l'Empire ottoman et la Russie. Ces deux traités, signés sous le régime du sultan Mustapha II, eurent comme incidence la perte pour l'Empire ottoman de vastes territoires en Europe de l'Est.

Le successeur de Mustapha II, Ahmet III, qui prit le pouvoir en 1703, comprit que la paix ne serait pas durable et que la coalition chrétienne reprendrait ses incursions en Europe de l'Est et vers Constantinople, que l'église catholique avait toujours secrètement espéré reprendre depuis sa conquête par les Ottomans. Sa première grande décision fut de nommer, début 1704, un nouveau grand-vizir en dehors de la famille Köprülü. La stupéfaction gagna tout l'Empire quand il fut acquis que le nouveau grand-vizir n'était pas ottoman, ni même un janissaire, mais un chrétien venu d'Europe de l'Ouest. Personne ne savait d'où il venait précisément. Personne ne connaissait son âge. Personne ne connaissait son nom, qu'il garda pour lui en se faisant nommer Guide suprême, renommant ainsi le poste de grand-vizir par la même occasion. Personne ne sut comment il gagna les faveurs d'Ahmet III, et un mouvement de contestation débuta à la tête des eyalets, les provinces administratives de l'Empire dirigées par les pachas. Le Guide suprême prit des décisions fortes sur le domaine militaire et économique afin d'assainir les finances de l'Empire, et pouvoir calmer les révoltes des troupes d'élites, les janissaires, qui sourdaient. Ces réformes centralisatrices se firent au détriment des pouvoirs locaux, et entraîna des tentatives d'indépendance des eyalets d'Egypte, de Crimée méridionale et de Bosnie. Le Guide suprême, à l'aide des troupes d'élite de l'armée impériale remobilisées, écrasa dans le sang ces tentatives de coup d'état entre 1705 et 1709. Ces actions militaires, ainsi que des réformes en faveur de l'amélioration du niveau de vie de la population de l'empire, permirent de contenir les autres mouvements contestataires de pacha rebels.

Le sultan, retrouvant par là un empire apaisé après des décennies de tensions internes, décida d'augmenter le pouvoir et l'autonomie du Guide suprême, éblouis par la réussite de ce dernier. Le peuple ottoman fut conquis par les réformes sociales engagées et l'amélioration de la production interne à l'empire. Même le retour à un empire sans religion officielle, au profit de l'instauration d'un culte de l'Empire et du Sultan, et une plus grande liberté donnée dans la reconnaissance des traditions locales de chaque eyalets, ne suscitèrent pas remouds au sein de la vieille aristocratie ottomane. Le Guide suprême décida alors, en 1711, de reconstituer une puissante armée impériale ottomane et, après consultation symbolique du sultan, reprit l'expansion de l'Empire ottoman en Europe de l'Est.

Il battit Pierre le Grand sur le Prout et conquit la Morée sur les Vénitiens. Une grande bataille eut lieu à Peterwaradin, où l'armée Ottomane écrasa les Impériaux. Suite à cette victoire importante, l'armée Ottomane eu le chemin libre pour reconquérir les territoires perdus en 1699. La Hongrie retomba complètement sous le giron de l'Empire ottoman, aidé par des seigneurs locaux nostalgiques de l'époque ottomane. Le Guide suprême décida de laisser la Hongrie indépendante en nommant un membre de la famille Thököly à la tête de l'état, qui resta néanmoins vassal de l'Empire. Vienne tomba en 1717 après un siège d'un mois. Le siège et la capitulation de Raguse début 1718 nécessita 6 mois, mais ne monopolisa qu'une petite partie de l'armée ottomane. Le gros continuait sa route vers l'Europe centrale. Salzboug tomba en même temps que Raguse.

Et c'est à la fin de l'été 1718 que l'armée impériale ottomane se présenta aux portes de Munich.

Un bruit assourdissant explosa de l'arrière des lignes ottomanes. Mehmet sursauta, comme l'ensemble des soldats alentours. Mais il ne s'inquiéta pas. Il avait reconnu ce bruit si particulier, annonciateur de mort et de dévastation. Les techniciens du Grand Spécialiste venait d'effectuer le premier tir avec la « Sainte Sophie », ce qui devait indiquer que le Guide suprême, loué soit son nom, quel qu’il soit, avait lancé les hostilités du côté ottoman. Les ordres concernant les autres corps d'armée ne devraient donc pas tarder à arriver. L'explosion fracassante du boulet à destination, quelques minutes plus tard, résonna jusqu'aux troupes ottomane, malgré la distance.

Mehmet avait déjà vu cet engin de la mort en action lors du siège de Raguse auquel il prit part suite à la fin de sa formation militaire. Il s'agissait d'un énorme canon dont l'angle de tir était ajustable à 180°, et doté d'une puissante de feu considérable. Il était donc capable de tirer sur une cible sans vue directe, comme c'était le cas ici, et sur des distances à ce jour inégalées. En contrepartie, elle n'était pas capable d'effectuer un tri de grande précision, et nécessitait des techniciens d'une grande compétence mathématique pour orienter les tirs. Du fait de son poids incommensurable, elle restait également très peu maniable. Il n'en demeurait pas moins qu'elle était une arme d'une efficacité inégalée pour détruire des fortifications ennemies, et la cible de son premier tir devait plutôt être la ville assiégée que les troupes ennemies, afin d'y semer l'effroi et de forcer l'armée ennemie à rester en dehors de ses murs. Elle avait été conçu, comme d'autres nouveaux engins de guerre ces 7 dernières années, par un ingénieur, d'origine Française ou Prussienne se disait-il, que le Guide suprême, loué soit son nom, quel qu’il soit, avait converti à la cause de l'Empire ottoman, le nommant par là-même Grand Spécialiste, et lui allouant des crédits très importants pour continuer ses inventions meurtrières.

A ce bruit, une clameur et un mouvement débuta dans les troupes de guerriers à la peau d'ébène qui composaient les neuf-dixièmes du corps des forces Zulandaises. Ceux-ci devaient penser que ce premier tir marquait le début du combat, et voulaient se lancer dans une charge féroce sur l'ennemi, comme ils savaient si bien le faire.

Du fait de leur provenance d'un pays lointain au sud de l'eyalets d'Egypte, ces guerriers féroces s'intégraient au corps des forces Zulandaises, nom donné par le Guide suprême, loué soit son nom, quel qu’il soit, aux forces auxiliaires provenant d'états Tiers, en tant que tributs, ou vassaux soutenant militairement l’Empire ottoman. Ils avaient été offert à l'eyalets d’Égypte, et donc à l'Empire ottoman, comme cadeau de bonne entente de la part d'un lointain empire africain. Ils reniaient l'utilisation d'arme de jet ou à feu, et maniaient de longues lances en bois ornés de pierres saillantes et coupantes, un poignard, ainsi qu'un grand bouclier en bois de forme ovale recouvert de peau de bêtes. Leur équipement était sommaire, mais le fait qu'ils ne redoutent la mort, couplé à leur agressivité, leur sauvagerie, leur agilité et leur couleur de peau, en faisait des guerriers difficilement contrôlables mais très efficace pour semer la peur, la terreur et la mort chez l'ennemi chrétien.

Mehmet avait moins d'affinité avec les troupes hongroises et du khanat de Crimée qui formaient le corps des forces Azélanes, nom donné par le Guide suprême, loué soit son nom, quel qu’il soit, aux forces auxiliaires Européennes. Leur qualité de soldats étaient indéniables, il maîtrisaient les armes modernes et se montraient plus disciplinés, mais Mehmet sentait que leur âme guerrière était moins passionnée que les soldats des forces Zulandaises, et que ces soldats étaient moins fiables en cas de coup dur. Leur méthode de combat, privilégiant l'escarmouche au combat direct, renforçait cette impression de calcul et de réserve. Cela luit importait peu, cependant : sa position dans la troisième ligne du corps principal, dans la ligne des janissaires danseurs de mort, lui permettrait d'être loin des forces Azélanes qui ne lui inspirait guère confiance, mais au plus prêt des forces Zulandaises dont l'insouciance et la sauvagerie le galvanisait.

Les réprimandes des trois lignes du corps principal, les azabs, troupes irrégulières ottomanes recrutées dans le cadre de cette guerre qui formaient la première ligne, les janissaires qui formaient la seconde ligne, et les janissaires danseurs de mort qui formaient la dernière ligne, ainsi qu'un mouvement de la cavalerie du flanc gauche, permirent de faire revenir le calme et l'ordre dans le corps des forces Zulandaise. Les cavaliers de la force de soutien, composé entièrement de sipahis, voyaient leur rôle augmenter depuis l'intégration des forces auxiliaires des corps Zulandais et Azélans. En plus de leur traditionnel rôle de soutien des janissaires contre la cavalerie ennemie, ils se retrouvaient à devoir maintenant faire respecter l'ordre et la discipline dans les rangs auxiliaires.

Alors qu'un nouveau tir de la « Sainte Sophie » se faisait entendre, des messagers apportèrent les ordres tant attendus du Guide suprême, loué soit son nom, quel qu’il soit, sur la conduite de la bataille à venir.