Sylvie

Sylvie se gratta la tête : elle étouffait sous ses cheveux. Pourtant, elle les avait lavés pas plus tard qu’hier, mais rien à faire. La faute à la touffeur de ce mois de juin, à ce soleil qui lui cognait le crâne, à la pollution qui bouchait sa peau de particules grises… Elle aurait donné n’importe quoi pour la fraîcheur d’un arbre.

Arrivée dans son appartement d’étudiante, liquéfiée, elle se dépêcha d’arracher ses vêtements qui lui collaient à la peau, fonça sous la douche et ouvrit à fond le robinet d’eau froide. Un frémissement la parcourut comme une corde tendue trop vite, obstruant sa colonne d’air. Elle se força à respirer à fond. Punaise, que c’est bon !

Elle se sécha rapidement, enfila son pyjama et fila dans sa chambre : elle avait hâte de se faire saigner les doigts sur ces trois extraits de Bach que le prof lui avait donné à apprendre pour lundi ! Elle installa ses partitions, s’assit face à son pupitre, cala son violon dans le creux de son épaule. Archet levé, elle expira… inspira… C’est parti !

***

           Sylvie tendit la main vers son réveil. C’était quoi, cette nouvelle sonnerie, des chants d’oiseaux ? Il en avait changé tout seul ? Au lieu de la table de nuit attendue, ses doigts rencontrèrent quelque chose de frais et doux. C’est quoi ce bazar ? Agacée, elle rabattit la couverture sur ses oreilles. Ou plutôt voulut le faire : l’épais tissu avait disparu. Elle se redressa en grognant et décolla ses paupières. Si c’était encore Manon qui lui faisait une farce, elle allait… Ce n’était pas sa colocataire. Les yeux grands ouverts, tout sommeil oublié, elle sentit son souffle s’accélérer. Merde, c’est quoi ce b… ?

Un écureuil passa en trottinant et escalada un tronc à l’écorce noueuse. Un petit oiseau coloré se posa près de sa main, lança une trille et s’envola dans les hauteurs. Du vert, à perte de vue. Des arbres, partout, comme elle n’en avait jamais vu. Immenses.

_ Tes vêtements sont bizarres.

Elle écarquilla les yeux. Au pied d’un arbre à quelques pas, juste en face d’elle, fondue dans les fougères, une enfant d’une douzaine d’années. Sa peau était sombre. Des flammes de rire dansaient dans ses yeux en amande comme les petites perles au bout de ses tresses africaines.

_ Pardon ? demanda Sylvie.

_ Tes vêtements sont bizarres.

Elle regarda sa mise. Elle était en pyjama, pieds nus. Elle haussa les épaules. Ce n’était pas vraiment ce qu’il y avait de plus étrange.

_ Où suis-je ?

_ Élyehl. Tu n’es pas de la forêt, hein ?

_ Heu… Non, en effet. Tu as une idée de ce que je fais là ?

_ Il t’a choisie, répondit-elle en désignant du menton un point derrière Sylvie.

La jeune femme se retourna et vit du bois.

_ Qui ?

_ Lui, dit-elle avec le même geste. C’est un honneur tu sais. C’est rare que des étrangers soient choisis.

Sylvie se leva, prit un pas de recul… Non, il n’y avait personne. À moins que…

_ L’arbre ?

_ Ben oui.

Ben oui !

_ D’accord, donc tu es en train de me dire que cet arbre m’a amenée ici ?

L’enfant acquiesça. Sylvie passa ses mains sur son visage. Cette gamine était folle !

_ Écoute, je ne sais pas quel est ton délire, mais ça ne m’amuse pas du tout. Je dois rentrer chez moi.

_ Tu ne peux pas rentrer chez toi. Tu dois…

_ Je ne dois rien du tout ! Où sont tes parents ? Hey !

Sans crier gare, la gamine avait bondi dans les branches. Disparue.

Sylvie s’ébroua et, lentement, fit un tour sur elle-même. Elle était seule. Un frisson parcourut son corps. Son regard s’arrêta sur l’arbre désigné par la fillette. Chez elle ou n’importe où ailleurs, il aurait paru imposant, majestueux, les gens se seraient arrêtés en disant : mais quel âge il a, celui-ci ? Mais ici, il paraissait presque… chétif ? Un nouveau frisson la saisit. Elle se sentait toute petite.