La colère du dragon

Un hurlement inhumain retentit dans les cimes, suivi d’une longue trainée de feu. La neige fond à l’entour puis se fige instantanément. Le froid extrême reprend ses droits.

[ Mon petit, il a peur… ]

Dans une anfractuosité de la roche, une ombre se débat, en proie à une terrible souffrance.

[ Il est né, et je ne suis pas là pour le protéger ! Où es-tu, petit ? ]

Elle l’a senti lorsqu’il s’est extrait de la pierre, qu’il a découvert l’extérieur, qu’il a pris peur.

[ Ne regarde pas petit, ferme les yeux, attends moi… ]

Elle sait que ses paroles sont vaines et que le premier être qu’il verra…

[ Non ! c’est moi ta mère, c’est vers moi que ton premier regard doit se tourner. ]

Nouvel hurlement déchirant, nouvelles langues de feu. Le bruit se répercute dans toute la montagne.

En bas, les humains se claquemurent, terrifiés par ce qu’ils n’ont plus entendu depuis des années. Ils réalisent qu’il en reste au moins un ! Ils pensaient les avoir tous éliminés.

Le soleil disparait soudainement à l’entrée de la caverne lorsque Gor se pose sur la corniche. Puis il replie ses ailes, ramenant un peu de clarté dans le lieu.

[ Que se passe-t-il, Mour ? ]

[ Il est né, notre petit est né, et je ne peux rien faire. ]

[ Maudits soient ceux qui ont volé la pierre. Je vais détruire tous les êtres de la vallée, et ce ne sera pas assez… ]

Il étend ses ailes dorées et pousse un rugissement qui ébranle les rocs, déclenche une avalanches et fend le glacier millénaire.

[ Non, Gor… ]

[ Nous nous sommes assez terrés. Montrons leur notre puissance. Ils le méritent. ]

[ Un seul le mérite, celui qui a pris la pierre. Les autres n’y sont pour rien. Eux aussi ont des petits, Gor, ne fais pas subir a tous ce qu’un seul nous a fait. ]

[ Alors, trouvons cet être infâme. ]

[ Nous avons tant cherché déjà. ]

[ Alors recommençons. Plutôt chercher en vain que ne rien faire. Je deviens fou à rester ici. Partons . ]

En bas, certains hommes veulent s’organiser pour exterminer ce ou ces dragons survivants. Plus question de vivre à nouveau dans la peur, de laisser des monstres décimer les troupeaux. Ils partiront le lendemain, armés, nombreux, équipés pour atteindre les sommets. Mais quand ils arriveront, essoufflés, harassés, ayant perdus certains des leurs dans l’aventure, la caverne sera vide.

…

Il se réveille en sécurité dans son cocon de pierre. Il sait qu’il ne peut y rester alors que son corps prend vie. Bientôt, il sera noyé par le liquide qui l’entoure, et il a faim. Instinctivement, il cherche à sentir sa mère et ne la trouve pas. Il panique, cogne les bords de cette protection qui est devenue une prison, et la fait vaciller. Il est malmené dans tous les sens puis il y a un choc, et un fragment du cocon se détache, laissant échapper le liquide. Pour la première fois, il respire.

Il entend des « sshhhhh » qui augurent un danger et sent l’odeur musquée qui lui dit « fuis ». Il griffe, tape de toutes ses forces sur l’ouverture apparue, réussit à l’agrandir suffisamment pour que son corps, encore élastique, puisse passer. Il sort de la pierre et court jusqu’à l’endroit le plus sombre qu’il trouve, échappant de justesse au « sshhhhh » qui voulait le happer.

Plus tard, un minuscule soleil vient l’éclairer et s’approche jusqu’à l’éblouir. Il y a un cri aigu, puis le noir à nouveau.
il entend : « Oui… C’est… Un gros lézard ? » Il ne comprend pas.

Plus tard encore, la lumière du jour apparait au bout de sa cachette. L’odeur musquée de tout à l’heure fait place à une senteur plus douce qui pique un peu ses naseaux, il ne sent plus le danger. Il s’avance doucement et sort la tête de sous le meuble. Il fait face à un géant, cherche son regard, trouve les iris noisette et les fixe intensément de ses yeux jaunes, ses pupille en fuseau face aux pupilles rondes d’Amélia. Alors, il n’a plus peur…

…

Gor et Mour volent, tous leurs sens en éveil.

[ Ça y est, il a créé le lien, c’est trop tard…]

[ Il n’est pas trop tard, Mour. Maintenant que son esprit est éveillé, nous saurons où il est et pourrons rompre le lien en tuant l’être qui s’est appairé avec lui. ]

…

Morty se tient en alerte sur le canapé, poils hérissés et griffes sorties. Amélia est figée et le lézard-dragon s’approche d’elle.

[ Ma…man… ]

La voix résonne dans l’esprit de la jeune femme qui sort de sa léthargie et toute la crainte qui restait en elle s’évanouit. Elle prend la créature et la serre contre elle.

[ Je ne suis pas ta maman, petit dragon, mais je vais m’occuper de toi ]

…

Mour a un moment de panique. Gor et elle survolent l’océan où une tempête gronde. Gor ne comprend pas la peur de sa compagne, à l’altitude où ils sont, ils ne risquent rien.

[ Qu’y-a-t-il ? ]

[ J’ai vu où il est, et j’ai vu la voleuse. Nous devons faire vite avant que le lien soit trop fort. ]

[ Où sont-ils ? ]

[ Je ne reconnais pas l’endroit. C’est ailleurs, un autre monde. ]

[ Alors, il nous faut trouver un Passeur… ]

…

— Allo, Mamie ?

— Oui, ma chérie ?

— Ça mange quoi, un dragon ?